Faire le choix de l’inhumation ou de la crémation serait-il un révélateur du malaise social que nous traversons ? C’est en tout cas ce qu’affirme Etienne Mercier, co-auteur du baromètre IPSOS 2015 pour les services funéraires de la Ville de Paris, selon lequel « ce qui se passe dans la tête des Français quand ils pensent aux obsèques et à la mort est un extraordinaire marqueur de ce qui se produit dans la société ».
Car si l’enquête annuelle d’IPSOS réalisée en juillet dernier auprès d’un échantillon de 1000 personnes continue de montrer que la moitié des Français (51%) choisit l’inhumation tandis que l’autre (49%) opte pour la crémation, on assiste en 2015 à une évolution inattendue : la remontée du choix de l’inhumation (+2% par rapport à 2013).
Renforcement de l’inhumation chez les pratiquants et les jeunes
Une tendance contraire à ce qui était observé depuis plusieurs années et qui, selon les auteurs de l’enquête, « est impulsée par les croyants et pratiquants (80% en 2015 contre 75% en 2013), ce qui n’est pas nouveau, mais aussi, et c’est une surprise, par les moins de 35 ans (60% en 2015 contre 54% en 2013) et les Franciliens (64% contre 59%) ». En revanche, précisent-ils, concernant les 60 ans et plus, qui sont les plus concernés, « le choix de la crémation l’emporte nettement (57%, stable par rapport à 2013 mais +14 points par rapport à 2008) ».
En clair, il y a désormais une part majoritaire des jeunes qui privilégie l’inhumation comme mode d’obsèques. Selon Etienne Mercier, ce choix s’exprime « davantage chez les jeunes qui se disent pratiquants, de religion non-catholiques : juifs, musulmans, évangéliques ».
Un contexte de revalorisation de la tradition
« Ce positionnement des jeunes, des Franciliens, des croyants et pratiquants, en faveur de l’inhumation, ne se traduit pas dans les faits, analyse François Michaud-Nérard, directeur des services funéraires de la Ville de Paris et vice-président de l’Union du pôle funéraire public (UPFP), puisque la crémation continue d’augmenter à un rythme rapide. Les modalités des obsèques étant largement dictées par les plus de 60 ans, massivement en faveur de la crémation. Cela traduit plutôt une sorte de crispation de la société française avec des repères identitaires de plus en plus marqués. »
Un raisonnement largement étayé par l’enquête IPSOS qui évoque « un contexte de revalorisation de la tradition » au cours de ces dernières années. Chiffres à l’appui : en 2006, 34% des Français disaient s’inspirer de plus en plus des valeurs du passé dans leur vie ; ils sont aujourd’hui 47%.
Les funérailles pour les proches : un choix moins marqué
Néanmoins, poursuivent les auteurs de l’enquête, les intentions des Français concernant leur propre choix d’obsèques sont moins marquées quand il s’agit de choisir le mode de funérailles pour un proche. Dans ce cas, « une majorité de Français (52%) continue de très légèrement favoriser l’inhumation mais l’écart diminue ». Sauf pour les 60 ans et plus, qui continuent de privilégier majoritairement la crémation (53%).
La dispersion des cendres en pleine nature, choix majoritaire
Si la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire a considérablement encadré la destination des cendres après crémation, en leur conférant un véritable statut juridique, la majorité des Français continue de préférer la dispersion en pleine nature. Qu’il s’agisse de leurs propres cendres (59%) ou de celles d’un proche (52%). « Cette solution est plébiscitée par les non-croyants ou athées (70% quand ils pensent à leurs propres cendres), précisent les enquêteurs d’IPSOS. Les croyants sont logiquement plus nombreux à préférer que leurs cendres reposent au cimetière (52%) dans une case de columbarium ou une tombe (31%) ou encore au jardin du souvenir (21%). »
Fort attachement à l’organisation d’une cérémonie
Qu’il s’agisse des tenants de l’inhumation ou de la crémation, l’attachement à l’organisation d’une cérémonie pour accompagner les obsèques reste très fort. « La cérémonie religieuse reste le choix majoritaire mais les cérémonies civiles sont une option de plus en plus envisagée ». « Les non croyants ont tout autant besoin que les autres de vivre des rites au moment des obsèques, commente François Michaud-Nérard. Il appartient à la collectivité de leur proposer des rites, des officiants et des lieux adaptés ».
Mais qui doit financer ?
Les auteurs de l’enquête rappellent que « lors des précédentes éditions du baromètre, en 2008, 2010 et 2013, une majorité relative de Français considéraient que la prise en charge du coût des obsèques incombait au défunt lui-même de son vivant, devant les familles ». Pour la première fois cette année, ils observent « une inversion de tendance, une majorité relative considérant que cette dépense est de la responsabilité des familles(42%; +7 points par rapport à 2013), avant d’être celle du défunt (38%; -6) ».
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