A l’heure où l’Union europénne mise sur les clusters pour développer sa compétitivité, Gilles Duranton, professeur d’économie à l’Université de Toronto, livre une analyse iconoclaste et tempère les bienfaits qu’on leur prête habituellement.
Pourquoi les pôles de compétitivité ont-ils tant le vent en poupe ?
Ils présentent un avantage pour les hommes politiques qui peuvent faire de la politique régionale et de la politique industrielle à la fois. De plus, ils permettent d’éviter un certain nombre de contraintes européennes liées aux règles de la concurrence. Mais leur rôle n’est pas bien déterminé : en France, les pôles de compétitivité ont été vendus comme une façon d’améliorer l’efficacité de l’aménagement du territoire, ce qui constitue une forme de révolution, du moins dans le discours.
En pratique, on peut s’interroger sur les intentions des hommes politiques. Lorsque l’on regarde la carte des pôles de compétitivité en France, on en dénombre 71 et ils sont très bien répartis sur le territoire, comme si les élus avaient cherché à avoir chacun leur pôle de compétitivité.
Les fonctions initiales des pôles de compétitivité ont donc été détournées ?
Ils peuvent être instrumentalisés par les hommes politiques qui peuvent décider de manière extrêmement précise les destinataires des fonds publics, en localisant le territoire et l’industrie qui en bénéficient.
On souligne souvent les vertus de l’interaction entre les chercheurs et les entreprises au sein des clusters. Ne peut-on tirer pas en tirer des bénéfices ?
Quand on double la spécialisation d’un territoire donné, on sait que cela engendre des gains de productivité de l’ordre de 2% à 3%. Il faudrait donc une réorganisation substantielle des activités économiques pour que les gains ne soient pas triviaux.
Quelles différences peut-on noter entre les modèles européen et américain de clusters ?
Il n’est pas facile de dresser une comparaison car les nomenclatures d’activités ne sont pas les mêmes. Les différences concernent surtout la France qui est un cas unique en son genre et où le gouvernement sélectionne les sites et alloue les fonds. Aux Etats-Unis, les clusters sont le résultat d’actions menées à un niveau très local, celui du county par exemple.
Que pensez-vous de l’initiative de la Commission européenne de créer des clusters de taille mondiale en Europe ?
Il existe déjà des clusters de taille mondiale en Europe, je pense notamment à celui de Londres. L’idée de développer artificiellement leur dimension transnationale me paraît un peu surréaliste. De plus, les hommes politiques ou les fonctionnaires ne connaissent pas par avance les secteurs ou les projets qui vont réussir.
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