Matignon a indiqué que la Mildt (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et toxicomanies) était chargée de la mise en place de cette expérimentation. Les services de Jean-Marc Ayrault n’ont toutefois pas précisé de calendrier de mise en oeuvre, ni le lieu d’implantation de cette salle dans la capitale.
« C’est un travail préparatoire qui va permettre de confirmer la faisabilité du projet dans ses dimensions sanitaires, sociales, économiques et en terme de sécurité publique », a ajouté Matignon.
Actuellement illégales en France, ces salles de consommation sont destinées aux toxicomanes de rue, précarisés et en rupture. Elles doivent leur permettre de consommer leurs propres produits dans de bonnes conditions d’hygiène et sous supervision de personnels de santé, et de réduire les troubles à l’ordre public.
En 2012, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, avait promis des expérimentations « dans le courant de l’année 2013 » et confié à la Mildt « une étude de faisabilité » des différents projets. Plusieurs villes, de gauche comme de droite (Marseille, Bordeaux, Strasbourg, Nancy, Toulouse), étaient sur les rangs pour tenter cette expérimentation. Mais pour l’heure donc, seul Paris a reçu le feu vert du gouvernement.
Aux alentours de la Gare du Nord ? – Le maire du Xe arrondissement de Paris, Rémi Féraud, volontaire pour qu’une salle de consommation ouvre près de la gare du Nord, s’est « réjoui » auprès de l’AFP de la décision du gouvernement.
« Le quartier de la gare du Nord en a besoin. Cela fera progresser la santé publique et la sécurité publique », a-t-il dit.
La salle – qui pourrait recevoir jusqu’à 200 passages quotidiens, sept jours sur sept – accueillerait des toxicomanes de rue précarisés, « consommateurs de drogues par voie intraveineuse mais aussi par inhalation (crack notamment), et refuserait les mineurs, mais également les personnes en état d’ébriété, trop agitées ou déjà sous drogue », a prévenu Elisabeth Avril, la directrice de l’association Gaïa-Paris qui attend pour sa part un « coup de fil du cabinet d’Ayrault ».
Après un entretien pour retracer son parcours de consommateur, l’usager se verrait remettre une carte d’accès à la salle, lui permettant de consommer la drogue qu’il aura lui-même apportée, avec du matériel stérile fourni par la salle et du personnel médical l’encadrant.
Une ouverture « avant l’été » 2013 – Le maire de l’arrondissement a espéré que la salle puisse être ouverte « avant l’été ». « C’est un souhait mais il n’y a pas d’urgence. Il faut se concerter avec les riverains, la police; trouver un lieu, l’aménager », abonde Céline de Baulieu, coordinatrice du projet chez Gaïa.
Rémi Féraud a, par ailleurs, précisé que la Ville de Paris travaille avec la SNCF – qui exploite la Gare du Nord – pour identifier un local, mais que celui-ci n’aurait pas encore été trouvé. L’hôpital Fernand-Widal et l’hôpital Lariboisière, proches de la gare du Nord, sont deux autres options. Un préfabriqué installé dans la rue est aussi envisagé. Inquiets, les riverains de « l’Association Vivre Gares du Nord et Est », ont posé leurs conditions: rien « à coté d’habitations, d’une école ou d’une crèche ».
Quel qu’il soit, le lieu d’implantation ne devrait pas être dévoilé avant l’ouverture définitive de la salle, puisqu’un long et difficile travail de concertation doit être mené en amont avec les riverains donc, mais aussi avec les forces de police. Que feront les forces de l’ordre si elles interpellent un usager aux abords de la salle, en possession de stupéfiants ? Et la justice ? Beaucoup de questions qui restent encore aujourd’hui sans réponse. Le but, c’est que la police n’arrête pas les usagers de drogue qui se rendent à la salle et que la justice ne condamne pas le personnel de ces espaces pour complicité, précise la Chancellerie.
Une expérimentation qui reste à encadrer – « D’après nous, il n’y a pas besoin de changer la loi, il faut modifier le texte réglementaire » pour préciser le cahier des charges, explique à l’AFP Danièle Jourdain-Menninger, la présidente de la Mildt. L’idée serait de modifier le décret d’avril 2005 qui précise les modalités d’intervention des acteurs engagés dans une politique de réduction des risques auprès des toxicomanes. Une circulaire pénale territoriale pourrait aussi être prise. A charge aux ministères de l’Intérieur et de la Justice de prendre les actions nécessaires pour permettre l’expérimentation.
Le Conseil de Paris avait déjà voté le 10 décembre une subvention de 38.000 euros en faveur de l’association Gaïa Paris, pour lui permettre de préparer l’ouverture de la future salle de consommation. Cette somme devait venir financer l’organisation de réunions de sensibilisation avec les habitants du quartier et la préfecture de police de Paris, ainsi que permettre la mise en place d’un groupe de travail interassociatif pour réfléchir aux modalités d’intervention dans la salle de consommation.
Pour la suite il faudra trouver plusieurs centaines de milliers d’euros par an. Pour cela « on discute avec l’agence régionale de santé, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), le conseil régional, la mairie de Paris », explique Gaïa.
Les autres réactions à ce projet d’expérimentation
Jean-Marie Le Guen, Adjoint au Maire de Paris en charge de la santé et député (PS) de la capitale: « Nous sommes prêts. Depuis plus de 3 ans, la Ville de Paris mène une concertation avec les partenaires associatifs, institutionnels et la préfecture de police.
L’accord du Premier ministre valide à la fois la solidité de notre démarche et, plus généralement, reconnaît notre engagement très fort dans le champ de la prévention des conduites à risques et l’expérimentation de dispositifs sanitaires et sociaux innovants. Nous travaillerons de façon collective avec tous les acteurs de terrains et la Mildt pour nous assurer que le projet réponde à tous les objectifs que nous nous sommes fixés en termes sanitaire, social et de tranquillité publique » .
Pour l’UMP-Paris, le gouvernement s’engage « dans une impasse »: « comment concevoir la mise en place et le financement public de salles de consommation de drogues lorsque celles-ci sont interdites par la loi? ».
Le conseiller MoDem de Paris, Jean-François Martins, tient pour sa part à rappeler « que les toxicomanes, s’ils sont des délinquants, sont avant tout des personnes malades et dépendantes et à ce titre il est de notre devoir de les prendre en charge afin d’assurer un accompagnement social et médical qui seul pourra garantir leur guérison et leur réinsertion. »
« Jean-Pierre Couteron, président de Fédération addiction, qui regroupe des professionnels accompagnant les usagers de drogue, est partagé entre « satisfaction » et « inquiétude »: « Satisfaction, parce que ça va se faire. Inquiétude que l’expérimentation ne porte que sur un seul lieu, ce qui fait peser une énorme pression sur ce lieu », dit-il. « La réussite de l’expérimentation passe par plusieurs lieux ».
Du côté des riverains de l' »Association Vivre Gares du Nord et Est« , c’est l’inquiétude qui prédomine face aux risques de regroupement « du trafic, des dealers ». « La salle de shoot va générer un appel d’air pour les drogués des autres quartiers », affirme Pierre Coulogner, son président.
Cet article fait partie du Dossier
Les salles de consommation de drogues débarquent en France
Sommaire du dossier
- La France s’ouvre aux salles de consommation de drogues
- Matignon donne son feu vert pour une salle de consommation de drogue à Paris
- A Paris, l’idée d’une salle de consommation divise la population locale
- La « salle de shoot » s’installe dans le paysage parisien, après huit mois
- Salles de consommation : les conseils de nos voisins européens
- « La police comprend l’intérêt des salles de consommation » – Xavier Majo i Roca, Catalogne
- Bordeaux : la salle de shoot soutenue à droite comme à gauche
- Salles de consommation : les villes candidates se préparent à l’expérimentation
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