La prise de conscience d’une inadéquation de l’offre de logements par rapport aux besoins date du début des années 2000, alors que la flambée des prix de l’immobilier commence tout juste. La loi SRU du 13 décembre 2000, qui prend acte de l’effondrement de la construction de logements sociaux depuis la fin des années 80 (89 000 logements sociaux construits en 1994, environ 43 000 en 1999 et 2000), pose dans son article le plus controversé, l’article 55, l’obligation d’atteindre un pourcentage de 20% de logements sociaux dans les communes de plus de 3500 habitants situées dans une agglomération de 50 000 habitants.
Une première pierre emblématique, qui ouvre le bal des nombreuses interventions publiques sur l’ensemble des secteurs du marché du logement.
Succession de lois
En 2003, la loi Urbanisme et Habitat du 2 juillet 2003 s’attaque au secteur privé, en créant le dispositif de défiscalisation Robien, qui permet aux foyers investissant dans la construction de logements neufs pour une mise en location de bénéficier d’un avantage fiscal.
Puis le volet logement du Plan de cohésion sociale de Jean-Louis Borloo prévoit un programme d’urgence en matière de construction de logement locatifs sociaux avec le financement e 500 000 logements sociaux sur cinq ans, une mobilisation du parc privé, avec pour objectif le conventionnement de 200 000 logements privés à loyer maîtrisé et le renforcement de l’accueil et l’hébergement d’urgence.
Le programme national de rénovation urbaine est également lancé par la loi de programmation du 1er août 2003, et prévoit, en ZUS, la production de 250 000 logements sociaux nouveaux, et la réhabilitation de 400 000 logements locatifs sociaux.
La loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable marque le relatif échec des politiques publiques, puisqu’elle introduit une procédure permettant de concrétiser le droit au logement opposable, institué depuis la loi Besson en 1990, et une obligation de résultat à la charge de l’Etat.
La crise économique est venue aggraver une situation déjà critique, et ce n’est que grâce aux différents dispositifs de soutien à la construction mis en place par les pouvoirs publics – déduction des intérêts d’emprunt, prêt à taux zéro, plan de relance… – que les chiffres ne se sont pas effondrés.
L ’année 2010 a d’ailleurs été exceptionnelle, avec 346 000 logements commencés, un chiffre inégalé depuis des années.
Selon les spécialistes du secteur cependant, il faudrait atteindre les 500 000 constructions annuelles pour assurer le renouvellement du parc et répondre aux besoins nouveaux, un chiffre jamais atteint.
Effets pervers du dispositif Scellier
Le dispositif de défiscalisation Scellier a permis une grande part de ces constructions : selon les chiffres de la Fédération des promoteurs immobiliers, sur la communauté d’agglomération de Montpellier, 81% des constructions sont dues au Scellier, 80% sur Lille, 76% sur Nantes, ou encore 57% en Ile-de-France.
Mais les niveaux de loyers du Scellier restent élevés et ne sont pas toujours en adéquation avec les revenus des ménages en besoin de logement.
Par ailleurs une part des logements Scellier ont été construits dans des villes où les besoins en logement étaient déjà partiellement comblés, et ont difficilement trouvé preneur à la location, mettant ainsi les investisseurs en difficulté. Ils ont pu également contribuer aux tensions et à la spéculation sur des territoires dont le marché du logement n’était pas tendu.
Depuis, le zonage du Scellier a été modifié, mais des dérogations sont toujours possibles.
Des territoires en grande tension
Aujourd’hui le manque de logements est toujours criant : selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre, 3,6 millions de personnes sont « non ou mal logées ».
La situation est révélatrice de grandes inégalités territoriales : l’Ile-de-France, Rhône-Alpes et Provence Alpes Côte d’Azur connaissent de grandes tensions, symbolisées notamment par les hauts prix de l’immobilier.
D’autres territoires sont moins touchés, notamment car les collectivités territoriales ont depuis des années mis en place des politiques volontaristes autour de l’habitat, comme Rennes ou Nantes, ou parce que ce sont des bassins d’emploi et des territoires moins dynamiques.
Pour autant, rares sont les zones dans lesquelles le besoin en logement est nul. « Il existe un « point mort » du logement, qui correspond au nombre de logements qu’il faut construire chaque année, à population équivalente, du fait de la désaffection du parc immobilier, du taux de vacance, de la croissance du nombre de ménages liée au vieillissement, au divorce, à la décohabitation des enfants… », explique Béatrice Herbert, chargée de mission à l’ANIL. « Si on veut accueillir des ménages supplémentaires, il faut construire au-delà de ce point mort ».
Territorialiser les politiques du logement
Depuis 2010, le secrétaire d’état au logement Benoist Apparu développe l’idée de territorialisation des politiques du logement, qui consiste à resserrer les aides à la pierre sur les zones tendues, qu’elles soient attribuées pour la construction de logements sociaux, ou sous forme de PTZ aux ménages pour la construction privée, ou encore pour les investissements Scellier.
Reste à définir ce qu’est une zone tendue, et à tenir compte de ce fameux point mort du logement.
Aujourd’hui le zonage du Scellier a été repris pour la distribution du PTZ, et les objectifs de construction de logement social, avec les aides à la pierre liées, ont déjà été revus à la baisse sur certains territoires. Une politique qui alarme les spécialistes du logement, car il est très difficile de définir un indice de tension fiable. Par ailleurs, absence de tension ne veut pas dire absence de besoins en logement.
« Nous constatons qu’il y a un recentrage des crédits sur les zones dites tendues alors qu’il existe des besoins dans d’autres territoires », explique Guy Taieb du cabinet Guy Taïeb Conseil. « A titre d’exemple, la détente peut être liée aux politiques publiques mises en œuvre. L’affaiblissement du soutien de l’Etat peut conduire alors à une augmentation rapide de la tension ». Or, il faut faire attention de ne pas couper les crédits à des territoires qui ont bien travaillé ces dernières années, et beaucoup construit, et qui risquent de très vite se retrouver en crise s’ils cessent leur effort. Les besoins en logements s’analysent de façon dynamiques, pas uniquement à l’aulne de la tension à un moment.
Références
- Loi n°2003-590 du 2 juillet 2003 urbanisme et habitat
- Plan de cohésion sociale
- Loi n°2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, Titre II "Dispositions en faveur du logement"
- Loi n°2003-710 du 1 août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine
- Agence nationale pour la rénovation urbaine
- Loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale
- Loi de finances pour 2009, art 31 créant le dispositif Scellier
- Arrêté du 29 avril 2009 relatif au classement des communes par zone applicable à certaines aides au logement
- Décret n° 2010-1601 du 20 décembre 2010 relatif aux plafonds de loyer et de ressources des locataires applicables à certains dispositifs d'aide à l'investissement locatif
- Rapport sur le mal logement 2011, Fondation abbé Pierre, 1er février 2011
Cet article fait partie du Dossier
10 ans de crise du logement : les données pour comprendre
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