La rationalisation de l’organisation territoriale des services d’eau et d’assainissement est un sujet dont on parlait déjà il y a vingt ans. Elle prend une nouvelle ampleur avec la fin des missions d’ingénierie publique de l’Etat, et la réforme des collectivités, sources de bouleversements profonds pour ces services restant, en grande majorité, de petite taille. Cette caractéristique, ancienne, a perduré alors même que les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ont pris les compétences « eau » et « assainissement » à partir de 1999.
En pratique, ce sont surtout les communautés urbaines et d’agglomération qui sont mobilisées. S’agissant des communautés de communes, seules 8 % ont pris la compétence « eau » et 21 % celle de l’assainissement collectif, contre respectivement 43 % et 69 % pour les agglomérations. Les mouvements de regroupement de services liés à l’émergence de ces EPCI ont donc finalement été assez limités, tant en nombre que géographiquement. Malgré cela, ces changements ne se sont pas faits sans douleur car ils ont parfois conduit à « déshabiller » d’anciens syndicats de l’eau ou de l’assainissement. Le départ des communes périurbaines les a ainsi réduits au périmètre des communes rurales les plus pauvres, alors que, justement, c’est là que les conditions d’exploitation et d’investissement sont les plus difficiles.
Contraintes croissantes – Aujourd’hui, peut-être encore plus qu’il y a dix ans, le monde rural est au cœur des enjeux de ces regroupements. Une myriade de « petits syndicats » et de communes indépendantes ne dispose en effet que de très peu de ressources pour faire face aux difficultés qui se posent à eux, au quotidien (dégradation de la ressource, vieillissement des ouvrages, etc.). « Il existe un besoin de rationalisation. Les petits services peuvent difficilement respecter des contraintes réglementaires de plus en plus sévères en matière d’eau et d’assainissement, et sont encore moins en capacité de renouveler leurs réseaux », constate Patrice Yung, premier vice-président de la communauté d’agglomération Seine Eure et président de la commission des services publics locaux de l’Assemblée des communautés de France (ADCF).
Les maires concernés sentent qu’avec la disparition des missions d’ingénierie publique, qui servaient de béquille aux petites structures, ils n’ont pas vraiment d’autre choix que de mettre en commun leurs moyens. Une gestion à une échelle plus large permet incontestablement de réaliser les investissements nécessaires, de faire des économies d’échelle, d’assurer un service performant et sûr, à coûts maîtrisés. De nombreux exemples en témoignent.
Contrôle de la gestion – Pour autant, la transition reste difficile. Certains freins sont liés au tarif : le passage d’un service a minima, au coût très bas (parfois 0,50 euro le mètre cube), à un service regroupé bien géré impacte le prix d’une manière brutale qu’il est difficile d’expliquer à l’usager. Mais, surtout, pour beaucoup d’élus, transférer la compétence à une structure supraterritoriale, c’est perdre le contrôle de la gestion de l’eau : une perspective inacceptable.
Pourtant, sans moyens humains et techniques dédiés, le contrôle n’est rien d’autre qu’une illusion. « Dans le Douaisis [Nord – Pas-de-Calais], le changement d’échelle a surtout modifié les relations avec les exploitants, raconte Jean-Jacques Hérin, directeur de l’aménagement, des réseaux et des constructions à la communauté d’agglomération. Le service mutualisé de l’eau [qui concerne 87 000 habitants] est doté de trois employés, alors qu’auparavant, aucune commune, même Douai, n’avait de personnel propre. Les collectivités membres ont ainsi pu reprendre le contrôle de la situation : analyse des rapports des fermiers, renégociation des contrats, alignement des conditions… Sur un service trop petit, la collectivité ne peut pas assumer pleinement son rôle d’autorité organisatrice. »
Objectifs de qualité – Compte tenu des compétences techniques complexes qu’il faut désormais mobiliser pour gérer un service, le même raisonnement s’applique à ceux assurés en régie et dont le périmètre est étroit : seule une certaine masse critique permet une gestion publique performante. Or 50 % des services de l’eau et 65 % des services de l’assainissement en France sont en régie et, souvent, concernent des périmètres très restreints.
« Quel que soit leur cadre de gestion, un trop grand nombre de services sont obsolètes : ils n’atteignent pas le niveau qualitatif requis et ne répondent plus à leur mission de service public », juge André Flajolet, député du Pas-de-Calais, rapporteur de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 et président du Comité national de l’eau. « Un regroupement à l’échelle de bassins ou sous-bassins cohérents est indispensable pour mettre fin à de tels désordres, recommande-t-il. Un des leviers serait de subordonner les subventions à des objectifs de qualité des services. »
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