Appels aux parlementaires, lettres au ministère de la culture et de la communication, pétition en ligne, les initiatives se multiplient, tant du côté du secteur privé (éditeurs, libraires, exploitants de lieux de diffusion) que des acteurs publics (collectivités, associations professionnelles ou d’élus), pour tenter de faire revenir le gouvernement sur sa décision d’appliquer aux produits et prestations culturels l’augmentation du taux réduit de TVA, passé de 5,5 % à 7% au 1er janvier 2012 (l’entrée en vigueur de la mesure a été différée au 1er avril 2012 pour le livre, le temps que les libraires puissent s’organiser sur le plan opérationnel).
Adoptée par le Parlement dans le cadre de la loi de finances rectificative du 6 décembre 2011, cette mesure fiscale s’annonce comme une des principales cibles des amendements qui seront discutés lors de l’examen du prochain collectif budgétaire prévu courant février.
Des impacts multiples – Les collectivités sont directement touchées de multiples façons. A commencer par les achats de livres par les bibliothèques et centres de documentation, un domaine sensible en période de crise, où il n’est pas rare de voir des collectivités brider les budgets d’acquisitions pour assurer les frais de fonctionnement des équipements. « C’est un mauvais coup porté à la culture et à la connaissance. C’est aussi un mauvais coup porté à un secteur économique fragile mais qui reste garant de la diversité intellectuelle. Auteurs, éditeurs, libraires sont touchés. Le sont aussi les collectivités publiques et privées gérant des bibliothèques et des services de documentation, qui verront leur pouvoir d’achat réduit au détriment de leurs usagers et de la filière », dénonce l’IABD, l’Association des professionnels de l’information et de la communication, qui réunit bibliothécaires, documentalistes et archivistes.
Plus globalement, c’est l’ensemble du champ culturel qui est concerné. « Que ce soit pour l’achat de livres destinés aux bibliothèques, pour les dépenses en billetterie auprès d’opérateurs privés comme les cinémas (dispositifs ‘‘collège au cinéma”, ‘‘lycée au cinéma”…) ou encore pour les achats de spectacles, la hausse entraînera des surcoûts qui, dans un contexte déjà d’une extrême tension, nuira aux politiques culturelles locales », s’alarme la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC).
Augmenter les tarifs ou les impôts – – Les acteurs publics se retrouvent devant un dilemme : soit ils répercutent la hausse de la TVA et majorent donc leurs tarifs, réduisant de fait l’accès des publics économiquement les plus fragiles à la culture, soit ils prennent en charge cette augmentation, « avec pour conséquence l’obligation d’accroître les impôts locaux pour compenser la hausse », met en garde la FNCC.
Le syndicat d’agglomération nouvelle (SAN) Ouest-Provence (Bouches-du-Rhône), présidé par Bernard Granié, adjoint (PS), au maire de Fos-sur-Mer, va, par exemple, devoir ajouter 100 000 euros à son budget « culture », qui se monte déjà, pour 2012, à 4,722 millions d’euros en fonctionnement (et 130 000 euros en investissements). Sa régie Scènes et Cinés gère trois théâtres, deux espaces culturels, une salle de musiques actuelles et trois cinémas. Pour le public, l’impact s’échelonne de 50 centimes à un euro sur les billets plein tarif. « Cependant, dans un contexte économique difficile pour les familles, le choix politique a été de ne pas toucher aux tarifs sociaux en vigueur concernant le cinéma et le théâtre. Il a été également décidé de maintenir la gratuité des prêts de livres, CD, et DVD », précise le SAN.
Les élus ont par ailleurs décidé de monter au créneau, en s’adressant directement, par courrier, au Président de la République et au ministre de la Culture. Autre action, pour sensibiliser la population, une campagne de communication sur le territoire intercommunal, via une affiche montrant des fauteuils de spectacles au centre d’une mire.
Le privé fragilisé – Nombres de communes s’inquiètent aussi de l’impact de la mesure sur les structures privées (librairies labellisées LIR*, cinémas art et essai…), qui maillent leurs territoires, et notamment les plus petites d’entre elles, que, souvent, elles aident indirectement par le biais des commandes publiques ou de leur action en faveur du commerce de proximité. « Là encore, les pouvoirs locaux ne pourront qu’être mis à contribution », observe le président de la FNCC, Philippe Laurent, maire (divers droite) de Sceaux (Hauts-de-Seine). « En tout état de cause, il s’agit là d’une nouvelle charge transférée sur les collectivités locales dans le domaine de la culture. », s’insurge l’élu.
Parmi les premiers à réagir, dès novembre, le Syndicat de la librairie française (SLF), a pointé le danger de voir « passer dans le rouge tous les libraires de France ». Le SLF estime que « tout va dépendre de la façon dont ce relèvement va être appliqué par les éditeurs ». Car étant donné le principe du prix unique, ce ne sont pas les revendeurs qui fixent les prix, mais les éditeurs. « La marge nette moyenne des libraires est de 0,7% et la librairie n’a aucune latitude pour encaisser cette hausse de TVA », s’alarmait le délégué général du SLF, Guillaume Husson, dès la préparation du projet de loi.
Soutenir les librairies indépendantes – La région Ile-de-France a d’ores et déjà prévu de créer en 2012 un « fonds de soutien aux librairies indépendantes », doté de 250 000 euros, « pour les aider à passer une année difficile », précise le vice-président (PS) en charge de la culture, Julien Dray. Ce dernier observe que la hausse de la TVA intervient alors que les libraires franciliens ont déjà vu leurs ventes chuter de 3% au premier semestre 2011 en raison de la crise. La région apportera sa garantie auprès des banques, afin de lever leurs réticences à accorder des prêts aux libraires.
De même, la Fédération nationale des employeurs du spectacle vivant privé et public (Feps) alerte contre une future « amputation sur les recettes et donc une perte immédiate de ressources qui constituera un frein supplémentaire à la diffusion des spectacles produits. »
Le jeu en vaut-il la chandelle ? – Tous les acteurs soulignent par ailleurs une disproportion entre, d’une part, le coup de massue que leur inflige cette majoration de la TVA, et, d’autre part, la modicité, des recettes fiscales escomptées. « On peut légitimement se demander si les nouvelles recettes dont l’Etat espère ainsi bénéficier seront vraiment proportionnées par rapport à leurs effets sur les politiques culturelles publiques », s’interroge Philippe Laurent. Un argument avancé dans les différents secteurs culturels, où les professionnels ont fait tourner leurs calculettes.
« L’augmentation des recettes de TVA dans notre secteur aura un effet assez faible sur la réduction du déficit, mais frappera par contre de plein fouet des entreprises déjà en difficulté dans le contexte actuel », argumente le Feps.
Même perplexité du côté des professionnels du livre : le gain pour l’Etat est évalué par la profession à » 60 millions d’euros au maximum « , calcule le collectif Callimaque (édition, libraire), du nom du poète grec qui fit l’inventaire de la bibliothèque d’Alexandrie avant sa destruction. Après l’application de cette mauvaise mesure, la diversité du paysage éditorial français disparaîtra. »
La culture est-elle encore considérée comme un produit « de première nécessité » ?
« Nous considérons que les biens culturels sont des biens de première nécessité au même titre que l’eau que l’on boit, ou la nourriture dont on a besoin pour vivre. Nous considérons que tout homme, toute femme, tout être humain, a besoin au même titre que la nourriture de ces biens culturels. J’assume pleinement la singularité de la France en la matière », affirmait le président de la République le 24 janvier 2012 à Marseille, lors de ses vœux au monde de la culture. Une parole censée mettre du baume au cœur des acteurs culturels et ré-affirmer l’exception culturelle.
Mais pour l’IABD, l’Association des professionnels de l’information et de la communication, qui réunit bibliothécaires, documentalistes et archivistes, la hausse du taux réduit de TVA, « décidée sans aucune concertation préalable et dont le bénéfice fiscal sera très faible met fin à l’assimilation du livre aux produits de première nécessité ».
De même, la FILL (Fédération interrégionale du livre et de la lecture) souligne que « la prise de position très nette du ministre de la Culture et de la Communication en faveur de la librairie indépendante », lors des Rencontres nationales de la librairie, à Lyon, en mai 2011 (engagement suivi d’une mission, en cours, sur l’avenir du secteur) entre en contradiction avec une « décision qui semble oublier la réalité économique et sociale d’une filière et les enjeux actuels de la lecture publique ».
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