L’appel à mobilisation lancé le 31 août par sept réseaux d’initiatives publique ne sera pas un pétard mouillé. Les parlementaires prennent le relais pour contester, à leur tour, les arbitrages, annonces et cadre réglementaire qu’ils jugent défavorables aux acteurs locaux, car entravant leurs projets de construction d’infrastructures en fibre optique.
La Commission de l’économie et de l’amĂ©nagement du territoire du SĂ©nat saisit donc l’AutoritĂ© de la concurrence, lui demandant de rĂ©aliser une expertise juridique s’appuyant sur les constats du rapport d’information « AmĂ©nagement numĂ©rique des territoires : passer des paroles aux actes », prĂ©sentĂ© par le sĂ©nateur HervĂ© Maurey (UC – Eure) et adoptĂ© le 6 juillet 2011 Ă l’unanimitĂ© par cette mĂŞme commission.
Le torchon brĂ»le avec l’Arcep – Il est soulignĂ© notamment, dans le communiquĂ© du SĂ©nat, « les limites excessives imposĂ©es, au nom d’une interprĂ©tation extrĂŞmement stricte des règles de la concurrence, Ă l’intervention des collectivitĂ©s territoriales dans le cadre du « programme national très haut dĂ©bit » (PNTHD).
En creux, la commission du Sénat critique les positions défendues par l’Arcep, le régulateur des télécoms. Et la saisine de l’Autorité de la concurrence vise manifestement à affaiblir et contourner l’Autorité présidée par Jean-Ludovic Silicani.
En langage diplomatique, les sénateurs remettent même en cause l’impartialité de l’Arcep, puisque selon eux, « la saisine de l’Autorité de la concurrence permettra de disposer d’une analyse indépendante et plus précise de la réalité des contraintes juridiques nationales et européennes que le droit de la concurrence exerce sur le déploiement et sur le financement public des réseaux haut et très haut débit et des infrastructures associées ». Sous entendu, la doctrine de l’Arcep n’est pas indépendante, et trop favorable aux opérateurs privés.
L’Arcep dĂ©fend sa ligne – Le mĂ©morandum « Replacer les collectivitĂ©s au cĹ“ur de l’amĂ©nagement numĂ©rique » co-signĂ©s par les « 7 d’Aurillac » est donc venu s’ajouter au rapport d’HervĂ© Maurey sur les bureaux du ministre de l’économie numĂ©rique. Ces deux documents s’inquiètent de la vision restrictive des possibilitĂ©s de pĂ©rĂ©quations, dans le cadre notamment de projets de dĂ©ploiement d’infrastructures Ă Ă©chelle dĂ©partementale menĂ©s par des RIP.
Interrogée par la Gazette, l’Arcep, rappelant en préambule le principe de liberté d’établissement et d’exploitation des réseaux et de fourniture des services de communications électronique inscrit dans le cadre du droit communautaire et du droit national apporte cette réponse :
La loi a confiĂ© Ă l’ARCEP le soin d’édicter les règles technico-Ă©conomiques du dĂ©ploiement de la fibre optique sur l’ensemble du territoire, afin d’assurer la cohĂ©rence des dĂ©ploiements, leur complĂ©tude, l’ouverture des rĂ©seaux et leur efficacitĂ©. (…) le cadre retenu prĂ©voit un très haut niveau de mutualisation des rĂ©seaux (90% du coĂ»t est mutualisĂ© sur 95% du territoire).
Cependant, à la possibilité de lancer des projets couvrant tout un territoire, y compris les zones denses, le régulateur justifie le cadre choisit :
En réduisant l’importance des investissements, ce cadre va accélérer les déploiements et favoriser les « petits opérateurs », donc les déploiements des collectivités territoriales. Ceci est particulièrement vrai pour les territoires très ruraux, peu denses, mais rien n’empêche une collectivité territoriale de déployer un réseau sur un territoire comportant des zones denses et rentables et donc de procéder ainsi à une péréquation, sous réserve bien sûr, qu’il n’y ait pas « d’aide d’Etat ». Une collectivité ne peut bénéficier d’un monopole, pas plus qu’un opérateur privé.
L’Arcep rejette également le reproche qui lui est fait par Philippe Leroy, sénateur UMP et signataire du Mémorandum (lire la Gazette des communes à paraître le 12 septembre), de considérer les RIP comme de simples « supplétifs » des opérateurs nationaux :
C’est parce que l’ARCEP ne cantonne pas les collectivités locales à un rôle subsidiaire et à certaines parties du territoire et qu’elle estime que ces collectivités peuvent être des opérateurs de communications électroniques de plein exercice qu’aucun régime spécifique les concernant, et qui serait par ailleurs contre-productif, n’a été prévu.
De son cĂ´tĂ© l’AutoritĂ© de la Concurrence annonce aujourd’hui qu’elle rendra son avis Ă la fin de l’annĂ©e. Dans lequel elle reviendra « sur le rĂ´le important que jouent les collectivitĂ©s territoriales dans l’amĂ©nagement numĂ©rique du territoire et formulera le cas Ă©chĂ©ant des recommandations aux pouvoirs publics français pour tenir compte des spĂ©cificitĂ©s de leurs interventions et en assurer la bonne articulation avec l’investissement privĂ© ».
La même Autorité avait déjà rendu un avis le 17 mars 2010 légitimant l’intervention de la puissance publique dans le PNTHD pour assurer une bonne articulation entre intervention publique et investissement privé. Mais réservait à l’époque le soutien financier de l’Etat aux zones non desservies par le secteur marchand.
Le principe de concurrence par les infrastructures édicté par la commission européenne a décidément du mal à s’adapter aux réalités territoriales.
Références
- Arcep : guide du déploiement de la fibre optique à l’attention des collectivités territoriales, juillet 2011
- Communiqué de l'Autorité de la concurrence, 9 septembre 2011
- Mémorandum des sept réseaux d’initiative publique, août 2011
- Rapport de la commission de l’économie et de l’aménagement du territoire, Hervé Maurey, 6 juillet 2011
- Avis n° 10-A-07 du 17 mars 2010 de l'Autorité de la concurrence relatif à une demande d'avis du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et du ministre chargé de l'industrie sur le programme national « très haut débit »
- Avis n° 10-A-18 du 27 septembre 2010 de l'Autorité de la concurrence relatif à un projet de décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes portant sur le déploiement de la fibre optique en dehors des zones très denses
Thèmes abordés