Les artistes, des tickets gagnants pour les politiques culturelles

A Thiré, petit village vendéen de 538 âmes, le chef d’orchestre américain William Christie organise, depuis 2012, de grandes rencontres musicales. Vrai succès populaire, l’événement rassemble environ 10 000 spectateurs chaque année. Une aubaine pour la commune, dont la vie culturelle est dynamisée par la seule présence de l’artiste. Autre exemple à ­Astaffort (Lot-et-Garonne), où Francis Cabrel a créé la « villa ­Médicis » de la chanson. De quoi attirer de nombreux artistes dans ce village de 2 000 habitants.

A l’autre bout du spectre, en Seine-Saint-Denis, là où le béton remplace les haies, c’est le rap qui foisonne. Depuis la fin des années 1980, le 93 est devenu un emblème en la matière. Le groupe NTM et son « Seine-Saint-Denis Style » ouvrent la voie. Puis, viennent ­Tandem, avec le clip « 93 ­Hardcore » tourné dans une dizaine de communes, ou ­Sofiane, du Blanc-­Mesnil (59 900 hab.), à l’origine du projet « 93 Empire ». Aujourd’hui, ­Gazo, ­Tiakola ou ­Werenoi – décédé en mai 2024 – dominent les ventes. Un vivier d’artistes qui fait émerger des projets culturels enracinés.

Avoir un artiste sur son territoire peut impacter directement la vie culturelle… à condition que cela soit incarné politiquement. « L’incidence de la présence des artistes est très variable en fonction de leur implication réelle dans le tissu social et du crédit qu’on leur accorde, remarque ­Jean-Luc ­Pouts, directeur de l’agence Culture et territoires. L’intention politique est très importante. » Et dans le 93 justement, qui accueillait déjà le premier festival hip-hop français « Fête et Forts » à ­Aubervilliers (89 500 hab.), en 1984, l’intention politique est bien là.

Soutien institutionnel adapté

« Nous voulions faire vivre ce territoire riche en hip-hop », confirme ­Claire ­Loucopoulos, cheffe du bureau du développement artistique du département de la Seine-Saint-Denis.

Un plan voté en octobre 2023 prévoit un budget annuel de 350 000 euros, réparti entre un incubateur de projets, des partenariats locaux et un travail de mémoire. Moun KPP, 32 ans, formé à ­Montreuil (110 000 hab.), fait partie de cinq projets hip-hop soutenus en 2024-2025 par la ville, en partenariat avec le réseau départemental des musiques actuelles.

« Dans le rap, il y a cette idée de rendre à ceux qui t’ont aidé. Ton quartier est souvent le premier à te soutenir, donc c’est naturel d’y organiser des événements »

« Il y a beaucoup d’open mic [scène ouverte, ndlr] vers chez moi. C’est là que j’ai ­rencontré les membres de mon premier groupe, raconte l’artiste. Dans chaque cité, il y a quinze rappeurs ! Juste à côté, deux d’entre eux ont percé récemment. » Un bonus pour la vie culturelle locale ? « Dans le rap, il y a cette idée de rendre à ceux qui t’ont aidé. Ton quartier est souvent le premier à te soutenir, donc c’est naturel d’y organiser des événements », selon Moun KPP. Le plan d’accompagnement dont il fait partie est le fruit d’une rencontre entre des institutionnels et un milieu artistique pour lequel ce n’était pas gagné d’avance. « Le hip-hop n’était pas exclu des soutiens, mais nombre de ses acteurs n’avaient pas l’habitude de travailler avec les institutions », précise ­Claire ­Loucopoulos.

Moun KPP a été rassuré sur ce point : « Ils connaissaient l’aspect contre-culturel du rap, utilisaient le bon vocabulaire… C’est un gage de confiance. » Tout en gardant son indépendance : « J’ai choisi un coach vocal. L’institution ne m’impose rien. » Il se tourne désormais vers le chant : « Je sais rapper dans divers styles. Pour un projet intro­spectif prévu en 2026, je veux mieux maîtriser ma voix et mettre les bonnes notes sur mes émotions. » Un objectif rendu accessible grâce à l’action publique.