À la suite de la publication du dernier rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques locales, plusieurs titres de la presse généraliste ont relayé l’idée selon laquelle les collectivités territoriales contribueraient à l’alourdissement de la dépense publique en France. Dans sa communication, la Cour soutient notamment : « De nombreuses raisons expliquent la hausse des dépenses. Une partie correspond à des dépenses contraintes qui s’imposent aux collectivités, mais beaucoup résultent de leurs propres choix. »
Une complexité budgétaire
Cette affirmation, jamais démontrée dans le corps du rapport, vient alimenter un récit tenace selon lequel les collectivités participeraient activement à la dégradation des comptes publics. Une telle lecture mérite pourtant d’être interrogée, non pour exonérer les collectivités de toute responsabilité, mais pour restituer à l’analyse budgétaire locale la complexité qu’elle requiert.
Une confusion majeure réside dans l’agrégation indifférenciée des dépenses locales, comme si celles-ci résultaient essentiellement de choix discrétionnaires. Or, une part majeure des dépenses engagées par les collectivités est juridiquement contrainte. Il s’agit notamment des dépenses imposées pour la mise en œuvre des compétences qui leur sont attribuées par la loi. Il faut y ajouter le poids des normes, souvent fort légitimes mais systématiquement imposées par l’État ou par l’Union européenne : exigences environnementales, revalorisations salariales générales, etc. Loin d’être des dépenses volontaires, il s’agit bien souvent de dépenses d’exécution.
Imputer aux collectivités la responsabilité des effets financiers de ces contraintes revient, en réalité, à leur faire grief d’appliquer la loi et le règlement. Il conviendrait, au contraire, de distinguer, dans toute analyse rigoureuse, ce qui relève de la dépense libre de ce qui relève de la dépense imposée. C’est à cette condition seulement que l’on peut apprécier de manière pertinente la capacité de choix des collectivités territoriales, et, in fine, mesurer leur part réelle de responsabilité dans l’évolution de la dépense publique.
Réfléchir à la notion d’autonomie financière
Cette approche appelle une réflexion de fond sur la notion d’autonomie financière censée garantir la libre administration des collectivités territoriales. Or, cette autonomie repose sur un édifice juridique hautement contestable. En vertu de l’article 72-2 de la Constitution et de la loi organique du 29 juillet 2004, plus les collectivités bénéficient de ressources propres, plus leur autonomie financière est jugée forte. Pourtant, ces ressources financent d’abord des dépenses imposées. Où est, alors, la libre administration ?
Il devient dès lors nécessaire de réviser le cadre d’analyse actuel de l’autonomie, qui confond capacité d’agir et liberté d’agir. L’autonomie ne peut se mesurer uniquement à l’aune des recettes ; elle doit s’évaluer à partir des dépenses décidées librement. Ce changement de perspective, qui consisterait à fonder l’autonomie financière sur la nature des dépenses plutôt que sur celle des ressources, permettrait de rendre à la libre administration son contenu effectif.
Sans cette mise en perspective, la critique du niveau de dépense publique locale court le risque de sanctionner les exécutants plutôt que les prescripteurs, et de saper davantage la confiance accordée aux collectivités dans l’exercice de leurs missions.
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