[Centre – Val de Loire 2,57 millions d’hab. et métropole d’Orléans (Loiret) 22 communes • 292 000 hab.]
Un rayon de soleil dans la grisaille de l’actualité économique : la reprise, l’été dernier, sous le statut de société coopérative et participative (Scop) de la verrerie Duralex, et le maintien de ses 228 emplois. Un sauvetage industriel dont le succès revient, en grande partie, au soutien politique, technique et financier de deux collectivités de bords politiques opposés, la métropole d’Orléans et la région Centre – Val de Loire.
En avril 2024, l’entreprise est placée en redressement judiciaire par le groupe américain qui l’avait rachetée trois ans plus tôt. Aussitôt, les élus du personnel et la direction cherchent une solution pour sauver l’usine.
« Après six dépôts de bilan, nous n’avions plus confiance dans les repreneurs », rapporte François Marciano, le directeur. Qui lance alors l’idée de Scop, « seul moyen pour que l’argent reste dans l’entreprise ». Les présidents de la métropole et de la région rencontrent les salariés et décident de les aider. « Je connaissais bien cette entreprise, son potentiel, et il n’était pas question de la laisser tomber », indique le premier, Serge Grouard. Son homologue, François Bonneau, est sur la même ligne : « Sauver ce fleuron du savoir-faire français. »
Un front commun
« Nous nous sommes mis d’accord pour faire front commun et parler d’une seule voix : une ville de droite et une région de gauche, ce n’est pas si courant ! » sourit Serge Grouard. Après avoir « étudié dans le détail les comptes de l’entreprise », l’élu est « conforté dans l’idée qu’elle est viable et a été victime de mauvais choix ». S’ensuit une course contre la montre pour monter le dossier de reprise et trouver des financeurs. Les salariés se font accompagner par l’union régionale des Scop, et les deux collectivités mobilisent leurs services et leur expertise. Les réunions se multiplient en mairie, à la région ou en préfecture.
Expertises, audits industriels et études de marché permettent de vérifier la viabilité du projet. « Les déficits de Duralex sont dus à des défauts d’investissement, à des frais de holding exorbitants – la maison mère prélevait 6 millions d’euros par an – et au manque de stratégie commerciale », explique Florence Delacroix, déléguée régionale Urscop. « Avec ce projet, on fait le pari de réussir sans baisser les coûts – de personnel, d’énergie –, uniquement en augmentant les ventes, par un travail de marketing et de distribution qui n’a jamais été fait avant », ajoute Vincent Vallin, directeur de la stratégie qui a rejoint l’aventure.
Ce pari audacieux doit encore convaincre le tribunal de commerce d’Orléans, tandis que deux autres repreneurs, plus classiques, proposent de tailler dans les effectifs. Et là aussi, la voix des élus va peser dans la balance. « La région et la métro sont venues avec nous au tribunal pour défendre le projet, c’est du jamais vu ! » rapporte François Marciano. Le tribunal valide finalement le projet de Scop le 26 juillet 2024.
Une question de stratégie
Mais l’aventure aurait pu s’arrêter là, face à la difficulté de trouver des capitaux. La Scop, avec 4 millions d’euros de dettes et seulement 66 000 euros d’apport par les salariés, doit réunir au moins 10 millions. Or, les banques ne se bousculent pas. « Nous avons fait le tour des partenaires financiers, mais personne ne voulait y aller », se souvient Serge Grouard. Faute de candidats, les collectivités se transforment en investisseurs. La métropole rachète les murs de l’entreprise. « Avec un chèque de 6 millions, on comblait la moitié des besoins en capital », note le maire. Et la région lui accorde un prêt d’1 million.
« A partir de là, on a pu décrocher d’autres prêts – Crédit agricole, Socoden, France Active, et l’Etat –, mais sans l’aide des collectivités, la Scop n’aurait pas pu se faire », résume François Marciano. Puis, tout reste à faire : « La Scop n’est pas la clé de la réussite, tout dépendra de notre stratégie », prévient Vincent Vallin. La marque doit proposer de nouveaux produits, travailler sa stratégie commerciale et de distribution pour doubler son chiffre d’affaires (CA) en France et reconquérir le marché international, soit 80 % des ventes. Objectif : vendre 16 millions de verres en plus par an. « Le challenge est immense, on se donne trois ans pour y arriver », ajoute Vincent Vallin. Mi-décembre, le premier magasin d’usine a ouvert à Orléans, dans des locaux mis à disposition par la ville. « Ça a cartonné, en quelques jours, ils ont fait 100 000 euros de CA ! Preuve qu’il y a un vrai soutien populaire, tout le monde veut y croire », confie Serge Grouard.
« C’était le seul plan qui gardait tous les emplois »
« Cette reprise est un projet innovant, car il existe peu de Scop de plus de 200 salariés dans le secteur industriel, explique François Bonneau, président de la région Centre – Val de Loire. C’était aussi le seul plan qui gardait tous les emplois. Pour le soutenir, la région a œuvré main dans la main avec la métropole d’Orléans. Deux collectivités de bords politiques opposés qui portaient le même projet économique, c’était fort et ça donnait plus de crédibilité à la proposition. Notamment pour convaincre l’Etat qui, au début, était hésitant.
La région a participé aux réunions avec l’administrateur judiciaire et la préfecture, a défendu le dossier devant le tribunal, a accordé un prêt d’un million d’euros à la Scop, abondé de 60 000 euros le capital et proposé de garantir les prêts bancaires. »
« Notre connaissance du dossier a payé »
« On en a marre de voir la France se désindustrialiser, ce n’est pas une fatalité, déclare Serge Grouard, maire d’Orléans et président de la métropole. Pour avoir déjà aidé Duralex, je savais qu’elle avait les atouts pour réussir, et l’étude approfondie des comptes me l’a confirmé. Les deux autres offres de reprise sabraient dans les effectifs et, selon nous, n’auraient fait que repousser de deux ans la fermeture.
Mais le gouvernement n’avait pas confiance dans le projet de Scop et j’ai dû échanger avec le ministère de l’Industrie pour valider le sérieux de la proposition. Finalement, notre détermination et notre connaissance du dossier ont payé. On a apporté une aide financière conséquente — 6 millions d’euros pour la métropole — qui a eu un effet d’entraînement. »
« Associer les ouvriers au capital change la donne »
« Duralex est une usine vieille de 80 ans, qui a été pillée par plusieurs repreneurs, raconte François Marciano, directeur général de la Scop Duralex. Les 228 salariés ont conservé leur emploi à la reprise et, bientôt, nous serons 249 avec la nouvelle équipe de commerciaux. Les ouvriers sont très attachés à la boîte, mais c’était compliqué pour eux de prendre des parts dans le capital de la Scop car la plupart n’avaient pas d’argent de côté.
On a fixé la part à 500 euros, avec la possibilité de verser 50 euros par mois. Aujourd’hui, on a 66 000 euros de capital détenu par les salariés. Ils connaissent la situation, ils savent qu’ils n’auront pas de retour rapide sur investissement. Mais le fait de les associer au capital et aux décisions change les comportements. »
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