Telles des étoiles qui s’éteignent mais dont on perçoit encore la lumière, les bibliothèques relèvent des « affaires culturelles » dans l’organigramme des collectivité locales. En 1959, Malraux (plus exactement de Gaulle) crée un ministère portant cette appellation. Bien sûr la culture est éternelle et nul n’imagine faire disparaître ce cadre. Mais, le rapport à la culture est lui très variable. Peut-on sérieusement considérer que les citoyens (jeunes et moins jeunes) d’aujourd’hui ressemblent exactement à ceux de la fin des année 50 ?
Depuis, l’enseignement s’est démocratisé, l’enfant est devenu un projet (grâce à la contraception) et s’est mué en une personne à prendre en compte dans sa singularité… et les enfants n’ont pas renoncé à leur autonomie en vieillissant. Avec mai 1968 et ses déclinaisons ultérieures, les revendications individuelles ont pris le pas sur le respect des statuts anonymes. Les élèves sont des personnes et les conjoints s’appellent par leur prénom et non en tant qu’« épouse » ou « mari ». Les travailleurs sélectionnent (quand ils le peuvent) leur métier ou leur poste en fonction de la possibilité qu’ils offrent de s’épanouir. Les technologies ont vu le jour et alimentent ce processus en leur offrant des outils pour dire « je ». La voiture, le téléphone portable connecté sont deux instruments emblématiques de ce basculement vers un individu qui revendique son autonomie.
Par contraste le citoyen de l’ère Malraux était conformiste, pris dans des statuts qu’il fallait respecter (le divorce est très rare avant 1970) et défini largement de l’extérieur. Les « affaires culturelles » étaient un moyen pour façonner les citoyens, les orienter vers les « grandes œuvres de l’esprit ». L’idée d’une prescription est alors constitutive de cette politique. L’autonomie des citoyens devait prendre place à l’intérieur de ce qui était sélectionné par du personnel légitime.
En s’appuyant sur ce constat, il paraît difficile de maintenir les institutions en l’état. Les bibliothèques et les bibliothécaires changent et n’exercent plus un tri sévère dont ont longtemps pâti la littérature populaire, les BD ou les mangas. Et, au quotidien, elles écoutent les citoyens dans leurs aspirations personnelles et collectives. Elles deviennent des opérateurs du possible. Elles accueillent des groupes pour des activités qui font sens aux habitants (du tricot à l’imprimante 3D, du prêt d’ustensile de cuisine au tournoi de jeux-vidéos, etc.). Et elles ont raison de le faire car elles forment un lieu rare (voire unique) dans lequel peuvent se croiser, se socialiser les habitants et construire un « nous ». Oui, le lien social se fabrique aussi par elles et à l’heure de la solitude et des fractures sociales, cela n’est pas inutile. Mais voilà, cela ne relève plus des « affaires culturelles ». Vaut-il mieux maintenir une définition obsolète de l’institution plutôt que de rendre service aux citoyens tels qu’ils sont effectivement ?
Bien sûr qu’il y aura toujours des livres dans les bibliothèques car c’est une source merveilleuse de découvertes. Mais, libérons-les de leur définition dominante par la culture !
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