L’ancien Ministre et parlementaire en mission, après avoir rappelé les actes fondateurs et évoqué la kyrielle des réformes intervenues avec le succès qu’on sait, dresse l’état des lieux sans concession d’une décentralisation devenue technique et sans aucun souffle.
Il propose sa voie, pour « la régénérer », à « un élu au carrefour de tous les paradoxes ». Pour ce faire, il faut que ce dernier admette le changement de paradigme intervenu. La France n’est plus celle d’il y a un demi-siècle, et se trouve également confrontée aux nouveaux défis que constituent le choc écologique, un bouleversement géopolitique, la transition numérique et démographique, comme l’individualisme croissant du citoyen…
Alors, plutôt que d’appeler formellement à un grand soir, qui modifierait nos horizons et l’univers dans lequel nous vivons, Éric Woerth imagine une méthode nouvelle, par la révolution des esprits.
Partage du pouvoir plutôt que dilution
Pour être moins radicaux, les effets n’en sont pas moins détonants et risquent de déclencher quelques syndromes d’apoplexie. Pour sortir de « l’impuissance publique », Eric Woerth prône le partage du pouvoir plutôt que sa dilution, ainsi que l’instauration de l’unité et de la confiance.
A cet égard, il propose d’agir sur les trois outils fondamentaux que sont les moyens financiers, l’humain et le pouvoir règlementaire, plutôt que sur les structures elles-mêmes. Il n’est pas question, ici, de résumer les 160 pages d’un travail ciselé où chaque mot compte, mais plutôt de vous donner l’envie d’en prendre connaissance, pour y puiser progressivement des solutions qui s’imposent.
Je m’attarderai seulement sur deux des pierres angulaires qui me sont chères.
Au premier chef, Éric Woerth consacre le partage des impôts nationaux en les ordonnant dans une nouvelle logique qui les met en relation étroite avec les compétences nouvellement réparties ; il rétablit, par principe, quelques pouvoirs de taux, chers à certains, pour maintenir le lien avec le citoyen, mais ne va pas jusqu’à un impôt résidentiel.
Surtout, il institue la nouvelle gouvernance entre les collectivités et l’Etat, que nous sommes plusieurs à appeler de nos vœux depuis quelques lustres, afin de les replacer dans une logique nationale de responsabilité et de contrainte financières, en contrepartie d’une véritable libre administration.
Rigoureux partage des compétences
Corrélativement, le rapport donne toute sa dimension fondamentale à un réel et rigoureux partage de compétences, qui vient légitimer l’utilité et le maintien des trois niveaux : bloc communal, Département et Région, tout en réintroduisant un conseiller territorial d’une nouvelle génération.
Ce nouveau conseiller territorial, en binôme, donnera la part belle aux territoires dans les Régions, tout en réduisant le format du conseil départemental dans les petits départements. Ainsi, en Haute-Marne, 16 conseillers départementaux seront élus (au lieu de 32), dont 8 « fléchés » siégeant également à la Région (pour un nombre identique de sièges au Conseil régional Grand Est).
Les départements ne font pas les frais de l’opération. Il se voient devenir des grands acteurs du social, avec la CSG comme ressource (ils délaissent les DMTO fléchés vers le bloc communal) mais également, dans les territoires ruraux, ils deviennent les intervenants majeurs pour l’ingénierie, l’eau et l’assainissement, en lien avec le préfet redevenu acteur pivot, ils reprennent l’ensemble des routes avec faculté d’instaurer une écotaxe…
Pour le bloc communal, on observe le retour du logement et de bonnes choses comme une péréquation verticale, qui viendra se substituer au FPIC qui disparait. Figurent également dans ce rapport le retour à une gestion autonome de la ressource humaine pour les collectivités, et un élargissement du pouvoir réglementaire, qui sont les autres axes prépondérants de ce carré magique.
De quoi combler les élus à la recherche d’une « vision nouvelle » de la décentralisation et d’une prise de pouvoir réaliste des collectivités, qui s’accompagnera… des responsabilités qui vont avec.
Exit le non-cumul des mandats. Le Ministre va un peu loin à mon goût en autorisant le cumul parlementaire et villes-EPCI, sans limite de strate. Le statut des présidents de conseils départementaux et régionaux aurait aussi mérité une sérieuse remise à niveau qu’on ne trouve pas ici. Sans doute a-t-il voulu laisser un peu de place au débat (?)
Je ne vous parlerai que peu de l’important chapitre consacré au mode électoral de Paris et Marseille, affaire de tropisme et de cosmétique plus que d’efficacité administrative. C’est pourtant ce qui aurait retenu (défavorablement) l’attention du Président de la République…
Manque d’ambition sur la DGF
Un petit reproche, celui de ne pas assez rentrer dans le vif de la construction de la nouvelle DGF, qui exigera sans doute de se pencher plus complètement sur la notion de charges des territoires, au niveau du bloc communal, mais le sujet était brûlant et n’était pas au rang des figures imposées.
La suppression du pôles d’équilibre territorial et rural (PETR) ne me choque pas là où il y a agglomération. Je serai beaucoup plus prudent dans l’hyper-ruralité, même si la contractualisation demeure, en recours de substitution.
L’honnêteté intellectuelle me conduit à vous avertir que l’accueil général du rapport n’est pas toujours aussi dithyrambique que le mien, mais qu’il n’a pas, non plus, déclenché l’ire des caciques du genre. Tout juste, Gaspard Koenig y a-t-il vu le prolongement de la main du pouvoir central et de l’intercommunalité « étouffant la démocratie villageoise » (Les Echos du 05/06/2024). Je lui répondrai courtoisement, pour avoir observé mes congénères depuis plus d’un demi-siècle, que j’ai plutôt fait le constat désespérant de la lente emprise de l’individualisme au quotidien, rongeant le collectif qui faisait Nation et le « grignotage du pouvoir (de la représentation du peuple) par le pouvoir juridictionnel » ( Marcel Gauchet, Le Figaro Magazine 07/06/2024). C’est, à mon sens, cette double mâchoire qui a provoqué « l’effondrement du sens civique » et je crains que la démocratie participative ne sache le régénérer, ni lui donner une nouvelle efficacité…
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