1. PSYCHOLOGIE
La perspective envisagée ici, est de présenter brièvement les différentes approches possibles du fonctionnement mental de l’être humain afin de prendre en compte le sujet dans sa globalité à travers ce qu’il donne à voir, à entendre et à comprendre. En cela, cette compréhension de l’être humain devient pour le professionnel qui accompagne un patient, un outil d’aide à la décision, à la fois pour saisir ce qui se joue dans la relation, dans les symptômes qui se donnent à voir mais aussi pour permettre au professionnel de se dégager des émotions suscitées par les situations rencontrées tout au long de sa carrière.
Comprendre le fonctionnement psychique de l’autre permet de ne pas projeter sur lui ses propres sentiments, permet de se mettre à distance en ne prenant pas les réactions d’un usager comme étant contre soi ou pour soi mais pour ce qu’elles sont : une charge émotionnelle complexe construite à partir d’une histoire personnelle et unique. Aussi en tant que professionnel, nous ne sommes pas pris pour ce que nous sommes mais, la plupart du temps, pour ce que nous représentons. Ce transfert, qu’il soit positif ou négatif, est continuellement présent dans la relation au soin ou la relation éducative.
En outre, la psychologie et ses différents travaux constituent des outils concrets d’observation, des repères pour comprendre où en est l’individu.
En effet, quand nous sommes amenés à accompagner des individus présentant des maladies, des handicaps mentaux ou psychiques, nous devons appréhender cette a-normalité au regard du versant normatif. Quand on dit de Jacques, adolescent de 13 ans, qu’il présente le développement intellectuel d’un enfant de trois ans, il est nécessaire d’identifier quels sont les acquis attendus sur le plan intellectuel pour un enfant de trois ans dans nos sociétés occidentales. Et c’est seulement à partir de là que nous pourrons commencer à élaborer avec l’aide de l’équipe pluridisciplinaire (médicale ou médico-sociale) des actions permettant à Jacques de tendre vers le développement intellectuel d’un enfant de quatre ans… À condition de pouvoir identifier les acquis attendus sur le plan intellectuel d’un enfant de quatre ans.
Il existe plusieurs champs en psychologie, les principaux sont les suivants : la psychologie clinique (psychanalyse), le courant constructiviste, la psychologie cognitive.
2. LE DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT DU POINT DE VUE DE LA PSYCHANALYSE
Le point de vue psychanalytique sur l’enfance est lié aux travaux de Sigmund Freud et de ses principaux continuateurs : sa fille Anna Freud, Mélanie Klein et Donald Winnicott.
a. Sigmund Freud
Nous l’avons dit, la théorie psychanalytique intègre comme un aspect essentiel l’historicité du sujet. Sigmund Freud avance dans sa théorie sur la croissance psychique de la personne que l’enfant est passé par différents stades caractérisés par des investissements préférentiels sur diverses zones érogènes du corps : la zone orale d’abord, anale ensuite, urétrale, et enfin génital.
Dans les associations verbales, des patients en cure analytique reviennent systématiquement sur des contenus concernant leur passé, oubliés, révoqués et reconstruits. De ces antécédents, les plus systématiquement évoqués concernent les relations ambivalentes aux parents, relation d’amour et de désir pour le sexe opposé, rivalité avec le parent du même sexe. Cette relation triangulaire appelée « complexe d’&Œlig;dipe » est située, dans la chronologie du développement, entre trois et cinq ans environ, période où l’identité de l’enfant est suffisamment constituée pour donner lieu à des fantasmes de possession amoureuse du parent du sexe opposé.
L’acceptation de la réalité, à savoir l’impossibilité de réaliser ce fantasme, est plus ou moins bien réussie, et constitue un aspect essentiel de la structuration de la personnalité, ainsi que des formes d’investissement libidinal ultérieur.
b. Les stades du développement selon Freud
Le stade oral (de la naissance à 12-18 mois)
Il s’agit du premier stade de l’évolution libidinale. Le plaisir sexuel est lié de façon prédominante à l’excitation de la cavité buccale. Le bébé éprouve le plaisir de téter le sein ou le biberon puis commence à sucer son pouce. Vers 8-10 mois, l’activité orale devient, par la bouche, de plus en plus agressive. C’est l’époque où l’enfant peut communiquer un refus manifeste de la nourriture. Agressivité qui peut être aggravée par celle de la mère lorsque celle-ci tend à gaver l’enfant. C’est également l’âge où l’enfant en vient à mordre ses parents ou d’autres enfants. Dans tous les cas, c’est par la bouche que l’enfant entre en contact avec le monde qui l’entoure.
Le stade sadique-anal (de 18 mois à 3 ou 4 ans)
Le second stade de l’évolution libidinale se situe approximativement entre 18 mois et 4 ans. Il commence avec le début du contrôle sphinctérien et se positionne sous le primat de la zone érogène anale. La relation d’objet est imprégnée de significations liées à la fonction de défécation (expulsion-rétention). L’enfant est intrigué par ses sensations et le produit (ses excréments) qui était lui, qui sort de lui, et qu’il peut offrir à sa mère. Le plaisir qu’il éprouve est manifeste lors des longues séances de pot, fréquentes au début de ce stade. Et c’est aussi la période où l’enfant va apprendre grâce à son entourage que cette matière est sale, qu’il ne faut pas la toucher et que l’on doit jeter ses excréments. Freud estime que c’est à ce stade qu’apparaissent chez l’enfant, les premiers sentiments agressifs ainsi que les notions de propriété, de pouvoir, de contrôle, de maîtrise et de possession.
Les perturbations à ce stade peuvent avoir des conséquences graves :
- l’excès de liberté peut être à l’origine d’un laisser-aller moral important ;
- l’excès de rigueur, peut entraîner, à l’inverse, le culte de l’ordre, le fanatisme.
Le stade phallique (vers 4-5 ans)
Ce stade est caractérisé par une unification des pulsions partielles sous le primat des organes génitaux. C’est la période de la masturbation infantile directe ou indirecte, obtenue en sautant sur les cuisses par exemple. L’enfant fait la découverte de son sexe mais, qu’il soit garçon ou fille, il ne connaît à ce stade qu’un seul organe génital, l’organe mâle, le pénis. En effet, le petit garçon remarque à cet âge, l’absence de pénis chez sa mère ce qui suscite en lui la peur de perdre le sien : c’est l’angoisse de castration. La petite fille quant à elle, n’a pas peur de perdre son sexe mais elle est jalouse, elle aurait aimé avoir un pénis : c’est l’envie du pénis. Elle cherche auprès de son père à en acquérir un bout, tout du moins, à obtenir ce qu’elle ressent comme un équivalent : un enfant.
Cette découverte de la différence des sexes s’accompagne d’une grande curiosité sexuelle notamment, vis-à-vis du mystère que constituent les activités parentales dans leur chambre. L’enfant imagine alors les rapports sexuels de ses parents comme une activité sadique et agressive, s’établissant dans un rapport de dominé/dominant : c’est le « fantasme de la scène primitive ».
Le stade phallique correspond au moment culminant et au déclin du complexe d’Œdipe.
Ce primat du pénis disparaît petit à petit jusqu’à devenir absent dans l’organisation génitale pubertaire.
Le stade de latence (6-7 ans)
C’est le stade de l’apprentissage, le moment où l’enfant entre à l’école. À ce stade, le complexe d’OEdipe doit être achevé afin que l’enfant puisse être disponible pour intégrer les apprentissages transmis à l’école. L’ensemble de la sexualité infantile, à ce stade, est en sourdine.
Le stade génital
Ce stade se positionne sous le primat des zones génitales. C’est le temps de l’organisation génitale proprement dite qui s’institue à la puberté. C’est le moment où l’enfant va pouvoir aimer l’autre dans sa différence. Ce stade est enraciné dans tous les autres stades.
Comprendre les liens entre maladie mentale et les stades du développement selon Freud
Selon la théorie psychanalytique, la maladie mentale est une régression et une fixation au stade infantile. Les symptômes névrotiques ou psychotiques trouvent leurs origines dans les différents stades décrits par Freud. Pour n’en citer que quelques-uns :
- la mélancolie se fixerait dans le stade oral ;
- la paranoïa trouve son origine dans le premier sous-stade anal ;
- la névrose obsessionnelle se fixerait dans le deuxième sous-stade anal ;
- la névrose hystérique trouve son origine dans le stade phallique.
c. Mélanie Klein
Si Sigmund Freud a posé les bases de la compréhension du fonctionnement psychique du point de vue psychanalytique, c’est, entre autres, Mélanie Klein et Anna Freud, qui vont développer de façon spécifique une psychanalyse des enfants.
Le matériel sur lequel se base Mélanie Klein pour développer son approche reste essentiellement celui recueilli dans le travail thérapeutique. Mais il change de nature, par la force des choses (nous avons ici à faire à des enfants), par rapport à celui de l’analyse des adultes. C’est dans le jeu, sa thématique et les verbalisations qui l’accompagnent que s’exprime chez l’enfant les désirs inconscients. Un des apports de Klein fut de montrer, que les relations oedipiennes, située vers 3-5 ans par la psychanalyse classique, ont des précurseurs précoces. Dès le deuxième semestre de la première année, on voit à l’oeuvre dans les manifestations d’angoisse et les efforts déployés par l’enfant pour les maîtriser (les rites par exemple), la coexistence d’une culpabilité progressive intériorisée et un système de séduction vis-à-vis des parents par des mécanismes d’introjection : l’enfant cherche à s’incorporer et, simultanément, à détruire le corps de la mère, origine du plaisir et de la frustration, objet de désir et de haine. Cette ambivalence fondamentale amène l’auteur à décrire une vie fantasmatique fort riche chez le très jeune enfant qui précède la pensée organisée.
d. Anna Freud
Pour Anna Freud, la cure psychanalytique n’est pas possible chez l’enfant. En revanche, la psychanalyse des enfants peut intégrer le conseil pédagogique et, plus précisément l’aménagement volontaire de situations éducatives. La pratique psychanalytique s’en trouve ainsi modifiée. En effet, afin d’entamer une relation thérapeutique, le thérapeute fait apparaître l’intérêt qu’il a pour l’enfant et met en avant en quoi il peut être utile pour celui-ci. L’enfant s’aperçoit alors que ses parents prennent en considération les conseils du thérapeute et l’écoutent. Le thérapeute utilise alors les rêves de l’enfant afin de les interpréter, mais aussi ses rêveries diurnes et ses dessins.
Le maniement du transfert est radicalement différent puisque l’enfant vit dans le présent, « le pathologique » nous dit Anna Freud. Si chez l’adulte, le transfert repose sur l’éveil des affects antérieurement éprouvés, chez l’enfant, le transfert ne cherche pas à reproduire une situation vécue mais à obtenir de l’analyste ce dont il est privé dans la réalité. L’analyste sert alors de Surmoi externe à l’enfant, représente une partie de son Ça en tolérant la liberté d’expression de l’enfant et enfin, lui sert de Moi, en lui permettant le contrôle et la maîtrise de ses désirs et des interdits.
Le but de l’analyse est ici purement éducatif.
e. Winnicott et l’espace transitionnel
Donald Woods Winnicott (1896-1971) occupe une place particulière au sein du mouvement analytique tant par sa créativité que par son évitement de tout dogmatisme. Pédiatre de formation, Winnicott a su allier l’observation des enfants à une réflexion analytique poussée et originale.
Fortement impliqué dans les disputes entre les défenseurs de Mélanie Klein et ceux d’Anna Freud, Winnicott deviendra le chef de file de ce qui s’appellera le middle group et qui regroupera des analystes ayant des visions assez disparates.
Winnicott est le théoricien de l’espace transitionnel, ce qu’il va appeler « l’aire intermédiaire ». Cet espace transitionnel est, nous dit Winnicott, une « troisième aire », un espace paradoxal, qui se situe entre la réalité extérieure et la réalité interne, entre le dedans et le dehors.
Le concept de l’espace transitionnel, développé en 1970, s’étaie sur une découverte qui, dès 1951, avait fait grand bruit dans l’univers psychanalytique : celle des objets transitionnels. En s’appuyant sur ses observations de pédiatre, Winnicott décrit un type d’objet qui, même s’il n’avait pas échappé à l’attention des mères, n’avait reçu jusque-là, ni désignation, ni statut, dans la littérature analytique.
Donald Woods Winnicott invente le terme d’« objet transitionnel » pour décrire le petit bout de chiffon, le petit bout de couverture auquel le bébé puis le petit enfant s’attache passionnément, dès le début de la vie, en même temps qu’il découvre la zone érogène orale et qu’il stimule cette zone avec son pouce ou une tétine. Winnicott remarque que l’enfant s’attache avec passion à cet objet et qu’il éprouve pour lui une véritable addiction. Winnicott introduit alors les termes d’« objet transitionnel » et de « phénomène transitionnel » pour désigner cette « aire intermédiaire » qui se situe entre le pouce et le futur ours en peluche, entre l’érotisme oral et la véritable relation d’objet.
L’espace transitionnel se situe, lui, entre la réalité extérieure et la réalité interne, un espace paradoxal parce qu’il n’est ni dehors, ni dedans. Mais alors où est-il ?
L’hypothèse de Winnicott est d’affirmer qu’il existe un espace paradoxal entre la réalité interne et externe, entre le subjectif et l’objectif. Winnicott dit « entre le subjectivement conçu et l’objectivement perçu ».
Donald Woods Winnicott va décrire un deuxième paradoxe fondamental : celui de l’objet trouvé/créé. Cette hypothèse s’étaie encore une fois sur les observations que Winnicott effectuait en tant que pédiatre. En effet, quand le nourrisson qui a faim, crie pour que sa mère lui donne le sein, celle-ci, par une adaptation presque totale, en lui donnant immédiatement le sein, permet à son bébé d’avoir l’illusion que son sein, à elle, est une partie de l’enfant lui-même. Le sein est pour ainsi dire sous le contrôle magique du bébé. Grâce à cette illusion première, l’enfant a le sentiment d’être le créateur de l’objet. Winnicott écrit :
« Le phénomène transitionnel représente les premiers stades de l’utilisation de l’illusion selon laquelle l’être humain n’accorde aucun sens à l’idée d’une relation avec l’objet. »
Le subjectif est donc premier.
Dans un deuxième temps, la mère, en désillusionnant progressivement le bébé de sa « toute-puissance », permet à celui-ci de se retirer de cet état d’illusion, à son rythme et selon ses capacités, afin de reconnaître l’existence de l’objet. L’investissement de l’objet transitionnel, le bout de chiffon que le bébé porte à sa bouche, est un événement prouvant la reconnaissance de l’existence de l’objet par l’enfant. Winnicott, dans Jeu et Réalité parle d’un voyage de l’enfant de la subjectivité vers l’objectivité.
L’illusion préalablement décrite est, selon Winnicott, une erreur fondatrice et génératrice de la possibilité d’expérimenter. C’est parce que le bébé croit à l’illusion qu’il pourra appréhender la réalité externe comme extérieure à lui. Plus tard, l’enfant puis l’adulte a la possibilité de faire l’expérience du jeu ailleurs que dans un contexte thérapeutique afin d’élaborer puis élargir cet espace potentiel. Le joueur vit une expérience similaire à celle que vit le bébé, passant de l’illusion à la désillusion. En jouant, le sujet donne forme à une illusion résultant d’un équilibre privilégiant la réalité interne à la réalité externe.
Le jeu, support d’élaboration psychique chez l’enfant
Le jeu permet à l’enfant de supporter le poids de la réalité qu’il subit en devenant acteur. Il a ainsi la possibilité de jouer les méchants ou les gentils. Il s’identifie ainsi à son père ou à sa mère le punissant ou à son père et à sa mère le gratifiant. C’est essentiellement le jeu qui permet à un enfant d’intégrer et d’élaborer les événements de sa vie, ainsi que les relations qu’il entretient avec son entourage. Le jeu, comme le rêve, permet aussi à l’enfant d’évacuer une charge d’angoisse suscitée par les conflits qui animent sa vie psychique. Le jeu transforme son angoisse en plaisir : le plaisir de jouer. Les enfants jouent par plaisir et ce plaisir leur permet de renoncer au plaisir pulsionnel.
Un enfant qui ne peut accéder au plaisir du jeu est un enfant en souffrance psychique.
Le jeu chez un enfant est un signe de bonne santé psychique. Dans son oeuvre, Winnicott amène un lien de continuité entre le jeu et la culture et définit l’expérience culturelle comme une extension de l’idée des phénomènes transitionnels et de jeu. Il insiste sur la nécessité de s’appuyer sur la tradition, en tant qu’elle est une réalité, pour pouvoir développer les capacités créatives des individus.
Winnicott introduit la question de l’être en psychanalyse et, en faisant cela, pose la question des fondements de la psyché.
f. Jacques Lacan et le stade du miroir
C’est le stade ultime du processus de séparation-individuation, c’est-à-dire de la constitution du « Je » chez l’enfant. Ce phénomène a été observé par Jacques Lacan. Il peut intervenir à partir de 6 mois mais conserve tout son sens jusqu’à 18 mois.
Trois étapes sont à distinguer :
- l’enfant perçoit son reflet dans le miroir comme un être de chair et d’os qu’il cherche à saisir ou à approcher ;
- l’enfant comprend que son reflet n’est qu’une image. Il ne cherche plus à attraper, en le touchant, son reflet ;
- l’enfant comprend que son image est son image et le représente. C’est un moment de joie intense pour l’enfant. Il jubile. Cette compréhension lui permet de percevoir puis de reconnaître également l’image des autres dans le miroir, et en tout premier lieu, l’image de sa mère et de ses proches.
La reconnaissance de son image dans le miroir révèle que l’enfant a pris conscience de son identité corporelle. Ce processus lui permet d’accéder au « Je ». L’enfant pour la première fois, peut s’assumer et se percevoir comme une personne unifiée et différenciée. On peut dire qu’il a constitué son Moi.
g. Le développement affectif de l’enfant selon René Spitz
L’approche de René Spitz a ceci d’original qu’elle associe les concepts psychanalytiques et les méthodes traditionnelles d’investigation psychologique et d’observation directe.
Les stades de développement psychique décrits par Spitz sont assez proches de ceux de Piaget concernant la jeunesse de l’intelligence.
Convaincu de l’influence de l’environnement sur le développement de l’enfant, Spitz a mené des études comparées entre des nourrissons placés en institution : les premiers étaient en crèche pénitentiaire où leurs mères, emprisonnées, s’occupaient d’eux. Les seconds étaient en pouponnière, séparés de leurs mères, et bénéficiaient de l’hygiène et des soins médicaux assurés par un personnel qualifié. Les résultats montrèrent que le développement et la santé des nourrissons en prison étaient de loin meilleurs que ceux de la pouponnière. En effet, ces derniers dépérissaient sur le plan physique et intellectuel, présentant un véritable syndrome dépressif. Spitz mit rapidement en avant que cet état, nommé « hospitalisme », était dû à la séparation précoce d’avec la mère et à son non-remplacement par un substitut convenable, car si les besoins corporels des bébés en pouponnière étaient comblés, le personnel, trop peu nombreux, ne pouvait répondre à leurs besoins et désirs affectifs et sociaux. Spitz montrait ainsi l’importance des relations intersubjectives entre l’enfant et sa mère (ou son substitut parental) dans les premiers mois de la vie dans le cadre du développement du sujet. C’est à partir de ces observations que René Spitz élabora sa théorie de la « construction du lien objectal ».
René Spitz distingue quatre stades de développement, marqués par trois indicateurs du psychisme du petit enfant et de sa maturation, qu’il baptise les « organisateurs du psychisme »
- Jusqu’à 3 mois, le nouveau-né vit dans un état fusionnel. Ce stade, appelé stade anobjectal, correspond au stade narcissique primaire de Freud. À ce stade, le nourrisson ne différencie pas le milieu extérieur qui l’entoure de sa propre personne. L’extérieur, l’autre fait partie intégrante de lui. Cette perception confuse est appelée « syncrétique ».
- Grâce à sa maturation physiologique, son système nerveux et ses organes perceptifs notamment, l’enfant va petit à petit entrer en communication avec le monde qui l’entoure. Spitz baptise cette phase le stade du précurseur de l’objet : après 3 mois, l’enfant prend plaisir à gazouiller car il se rend compte que ce gazouillis a un pouvoir sur l’environnement. L’enfant commence à reconnaître le visage de sa mère, lui sourit. Il est en capacité de suivre son regard. Le nourrisson passe progressivement d’une perception par le contact à une perception à distance. Ce sourire est le premier comportement actif du nourrisson. Spitz parle de « sourire intentionnel ». Ce sourire est le premier indicateur qui témoigne de l’existence d’organisateurs du psychisme grâce auxquels « les processus de maturation et de développement permettent l’évolution vers l’intégration »nous dit Spitz. Ce premier organisateur psychique ponctue le passage d’un stade à un autre.L’enfant prend conscience de l’existence d’une réalité extérieure à travers sa mère ou, devrions-nous dire, « ses mères ». En effet, le nourrisson n’a pas conscience que la « mauvaise mère », celle qui refuse la satisfaction de ses désirs, et la « bonne mère », celle qui assouvit ses désirs et lui montre son amour, sont une seule et même personne. Mais, progressivement les frustrations deviennent supportables parce qu’elles annoncent une satisfaction ultérieure. Ce renoncement est à l’origine de l’intégration du principe de réalité.La mère est donc le point de rencontre de sentiments opposés d’agressivité et d’amour de la part du nourrisson. Cette ambivalence est nécessaire car une mère qui essaierait d’éviter toute frustration à son enfant entraînerait systématiquement un état de dépendance lui empêchant de prendre contact avec la réalité.
- Vers 8 mois, l’approche d’un inconnu ou le départ de la mère déclenchent une réaction de crainte, de repli et de pleurs. L’enfant ayant désormais conscience de sa mère, cet « objet privilégié », vit l’apparition d’un étranger comme une menace le privant de sa mère. C’est l’angoisse du huitième mois qui constitue le deuxième indicateur. Cette angoisse est une angoisse de séparation, une angoisse de perte de l’objet aimé. L’apparition de l’inconnu le laisse supposer que sa mère pourrait disparaître, comme si ce visage se substituait à celui de sa mère. Cette phase est appelée par Spitz le stade de l’objet libidinal.
- L’apparition du « non » est l’étape suivante. Dès que l’enfant acquiert la marche, un vaste champ de possibles s’ouvre alors à lui. Il va aussi affronter milles dangers potentiels qui vont multiplier les interdits et être ainsi écartelé entre son désir et la frustration de l’interdit, entre son amour pour sa mère et son agressivité. L’enfant adopte alors une solution de compromis en s’identifiant à sa mère : c’est l’âge du « non », troisième indicateur de Spitz où l’enfant indique à son entourage qu’il est capable de juger, de nier, d’exprimer sa volonté et ainsi sa personnalité. Spitz parle de stade de l’objet proprement dit.
h. Le Moi-Peau
Didier Anzieu, psychanalyste français, a élaboré un concept fondamental pour penser le psychisme. Pour cela, il a puisé dans différents courants : les travaux de Konrad Lorenz sur l’empreinte, les expériences de Harlow sur la nécessité de contact qu’éprouvent les singes avec d’autres êtres de la même espèce, mais également les travaux de pédiatres comme Bowlby, Winnicott et Spitz. Comme nous le verrons plus loin, Bowlby postule l’existence d’une pulsion d’attachement, pulsion primaire indépendante de la sexualité. Winnicott développe quant à lui le concept de phénomène transitionnel ainsi que l’importance du contact avec la mère pour intégrer son Moi et Spitz met en avant l’importance de la « construction du lien objectal ». Mais en outre, les données issues des tests projectifs, notamment les travaux de Cleveland et Fisher qui isolent deux variables nouvelles, celles d’enveloppe et celle de pénétration, vont contribuer à la naissance du concept de Moi-peau.
Selon Anzieu, le corps est l’élément vital sur lequel s’étaient les fonctions psychiques : le Moi s’étaie sur un Moi corporel qu’il nomme le Moi-peau. Le tout-petit reçoit les gestes maternels tout d’abord comme excitation puis comme communication. À travers les soins corporels que lui procure sa mère et les communications préverbales précoces qui vont transiter par les peaux respectives et par l’enveloppe sonore, l’enfant va petit à petit différencier une surface comportant une face interne et une face externe, permettant la distinction entre le dedans et le dehors, entre son corps et un volume ambiant, une « enveloppe » dans laquelle il se sent baigné et qui lui apporte l’expérience d’un contenant.
Le concept de Moi-peau fut accueilli, en 1985, avec beaucoup d’enthousiasme et il est, dans sa philosophie, à l’origine de nombreuses prises en charge de l’autisme ou des psychoses par son appréhension du psychisme.
En effet, chez les personnes psychotiques ou autistes (voir fiches 7 et 13), les angoisses de morcellement, ce sentiment de pouvoir se décomposer en morceaux, d’exploser tel un puzzle, sont prégnantes. L’ensemble des personnes intervenant dans l’accompagnement des personnes présentant ce type d’angoisses, se doit d’avoir une approche contenante : la voix, le groupe, l’eau, le cadre, l’environnement, sont autant d’éléments qui, parce qu’ils « soignent » ce Moi-peau, vont permettre à la personne en souffrance de s’apaiser.
En résumé, nous pouvons affirmer que le point de vue psychanalytique insiste particulièrement sur le respect de l’intégrité de la personne de l’enfant et sur l’importance de sa vie affective et fantasmatique tant du point de vue de sa dynamique que de sa richesse. Aussi, il est important de laisser l’enfant se développer en lui fournissant un environnement bienveillant mais bien réel. Il est nécessaire de considérer sérieusement la vie fantasmatique de l’enfant (ce qu’il exprime verbalement, ses rêves, ses réalisations graphiques), à la fois comme témoin des, éventuels, problèmes auxquels l’enfant est confronté et de la façon dont il arrive ou non à les résoudre, et comme « soupape » destiné à soulager les tensions qui résultent des conflits intrapsychiques.
3. LA THÉORIE CONSTRUCTIVISTE
Est désigné ainsi le courant théorique qui, en psychologie génétique et en psychologie de l’enfant, s’attache principalement au nom et aux travaux de Jean Piaget et de ses collaborateurs. On peut y rattacher également le point de vue développé en France par Henri Wallon, et, aux États-Unis, par Heinz Werner (1948).
Le point de vue constructiviste constitue une sorte de moyen terme original entre le point de vue maturationniste (innéiste) d’une part et le point de vue béhavioriste (environnementaliste) d’autre part.
Le point de vue maturationniste
L’organisme de l’enfant est engagé dans un processus de croissance. Selon les psychologues qui se revendiquent du courant maturationniste, la programmation du développement psychologique est sous la dépendance assez stricte du développement organique. Le point de vue maturationniste est étroitement lié au nom d’Arnold Gesell, médecin et psychologue de l’université de Yale, aux États-Unis (Gesell, 1953).
Gesell était persuadé que le développement psychologique est une affaire de maturation, comme le développement organique. Pour Gesell, le fait que les comportements apparaissent selon une séquence fixe dans toute l’espèce humaine reflète l’importance de la programmation interne, héritée et caractéristique de l’espèce. Si l’expérience et l’entraînement auxquels l’enfant peut être soumis peuvent déterminer des modifications mineures dans son développement, ils ne peuvent modifier le cours du développement de façon majeure. Selon les maturationnistes, il est important de respecter ce calendrier développemental. La famille, les éducateurs, les enseignants, ne sont là que pour faciliter la croissance et l’émergence des structures en fournissant les appuis, les conditions environnementales et les stimulations appropriées.
De nos jours, ces thèses sont réfutées. Toutefois, nous devons à Gesell les premières descriptions très précises des principales caractéristiques comportementales de chaque âge.
Le point de vue béhavioriste
Le terme béhaviorisme vient de behavior qui, en anglais, signifie « comportement ». Le point de vue béhavioriste, en le caricaturant un peu, est le pendant de la théorie maturationniste. Le premier courant béhavioriste émerge vers 1910, sous l’influence d’un psychologue américain nommé John Watson. Selon ce dernier, l’objet d’étude de la psychologie réside dans les interactions entre les organismes et leur environnement.
Il s’inspire, à l’origine, des travaux de Pavlov (1849-1939) sur les réflexes conditionnés dans l’apprentissage.
Le courant béhavioriste ne reconnaît pas un statut particulier à l’enfant en ce qui concerne l’analyse fonctionnelle du comportement. Le développement psychologique de l’enfant se constitue à partir des changements qui interviennent dans les modes d’interaction avec l’environnement. Ces changements reflètent les effets des expériences et des apprentissages. On parle alors de mécanismes de conditionnement et de contrôle du comportement. Nous ne sommes plus ici sur une connaissance introspective mais sur ce qui est directement observable : la réponse à une stimulation.
L’approche béhavioriste en psychologie est connue pour les nombreuses applications pratiques qu’elle a suscitées à partir des principes théoriques et des analyses expérimentales du comportement. Nous pouvons notamment citer Skinner (1969) et Gagné (1977) pour leurs applications dans le domaine de la psychologie à l’éducation et à l’enseignement.
a Psychologie du développement selon Jean Piaget
La psychologie du développement s’inscrit dans un courant qu’on appelle le constructivisme, qui, en psychologie génétique (à comprendre non pascomme l’étude des gènes mais renvoyant à l’aspect évolutif des conduites, au changement) et en psychologie de l’enfant, s’attache principalement au nom et aux travaux de Jean Piaget, mort en 1981, à l’âge de 85 ans, et actif jusque dans ses dernières années. Piaget a laissé une oeuvre colossale qui compte plus de cinquante ouvrages et des centaines de publications en langue française.
Jean Piaget fut l’un des premiers auteurs à tenter de comprendre comment l’enfant devient intelligent. Pour vous aider à comprendre ce qu’est le point de vue constructiviste, laissons ici la parole à Jean Piaget, extrait de La Psychologie de l’enfant (Piaget et Inhelder, 1966) :
« Si la maturation organique constitue à coup sûr un facteur nécessaire, jouant un rôle sans doute indispensable pour l’ordre invariant de succession des tâches, elle n’explique pas tout le développement et ne représente qu’un facteur parmi les autres. […] Le rôle de l’exercice et de l’expérience acquise […] est, lui aussi, essentiel est nécessaire mais c’est un facteur complexe et qui n’explique pas tout. […] Le troisième facteur fondamental, mais à nouveau insuffisant à lui seul, est celui des interactions et transmissions sociales. Quoique nécessaire et essentiel, ce facteur est insuffisant. […] Dans le cas du développement de l’enfant, il n’y a pas de schéma préétabli, [mais] une construction progressive telle que chaque innovation devient possible en fonction de la précédente […]. »
Piaget insiste sur l’activité du sujet. Cette activité se construit graduellement en intégrant les éléments internes et des éléments externes. Chaque étape n’est permise que si elle repose sur et dépasse l’étape précédente. On part des réflexes et autres organisations du jeune enfant pour enrichir graduellement les structures cognitives.
De 0 à 2 ans
Ces structures cognitives sont, jusqu’à 2 ans environ, purement sensorimotrices. On parle alors du stade sensori-moteur. Puis se construisent les grands systèmes humains de représentation de la réalité : l’image mentale, le langage, l’expression graphique, le dessin, etc.
Le stade sensori-moteur se divise en six sous-stades se caractérisant par une organisation particulière :
- Au sous-stade 1 (de 0 à 1 mois et demi), les schèmes(1) portent sur des réflexes présents à la naissance, comme la succion ou l’agrippement. Par exemple, un objet d’une dimension adaptée touche les lèvres de l’enfant, celui-ci commence à le sucer.
- • Au sous-stade 2 (de 1 mois et demi à 4 mois) apparaissent les réactions circulaires primaires. Les sensations et schèmes sont coordonnés. L’enfant commence à répéter certaines actions pour le simple plaisir, sans qu’elles soient une réaction à une stimulation externe.
- Au sous-stade 3 (de 4 à 8 mois), le comportement de l’enfant se dirige vers les objets environnants. L’enfant répète des actions qui ont des effets intéressants dans l’environnement. Ces réactions circulaires deviennent alors secondaires car elles portent sur des objets extérieurs.
- Au sous-stade 4 (de 8 à 12 mois) apparaît la première forme de résolution de problèmes. Deux réactions circulaires secondaires peuvent se coordonner en vue de la production d’un but.
- Au sous-stade 5 (de 12 à 18 mois), l’enfant peut varier les actions sur les objets et accède désormais à un grand nombre d’activités. Par exemple, un jouet peut être jeté, et utilisé pour toucher un autre objet, etc. On parle alors des réactions circulaires tertiaires, caractérisées par l’exploration et non plus la seule répétition de schèmes acquis.
- Au sous-stade 6 (de 18 à 24 mois), apparaissent les représentations. L’enfant peut réaliser des actions mentalement et penser à des objets absents. L’enfant utilise désormais le langage, il est en capacité de jouer à « faire semblant » et peut résoudre mentalement des problèmes.
De 2 à 7 ans
De 2 à 7 ans, l’évolution cognitive de l’enfant est marquée par l’accès à la fonction symbolique. On parle de stade préopératoire. L’intelligence de perception et d’actions laisse la place à une intelligence d’images utilisant des symboles pour représenter le monde. C’est la période de différenciation entre le signifiant et le signifié : la construction de la sémiotique.
Cette fonction symbolique se manifeste par :
- le langage ;
- le jeu symbolique ;
- l’imitation différée (l’imitation d’un événement déjà vécu en l’absence du modèle) ;
- le dessin ;
- l’image mentale.
Ce stade est aussi caractérisé par l’acquisition totale de la permanence de l’objet, c’est-à-dire que l’enfant peut penser à quelque chose ou quelqu’un sans que l’objet ou la personne soit présent. Mais le plus important est l’apparition de l’égocentrisme (direct ou indirect).
L’égocentrisme indirect se manifeste de multiples façons par :
- l’artificialisme (fait de penser que tout est fabriqué par l’homme) ;
- la causalité morale (fait de penser que les lois physiques sont pareilles aux lois morales. Par exemple, il y a de l’orage parce que les nuages sont en colère) ;
- le finalisme (fait de penser que tout a un but précis. Par exemple, le soleil se couche pour que la lune se lève) ;
- l’animisme (tout est une projection de soi. Le doudou de l’enfant possède selon lui une âme) ;
- la contradiction (l’enfant peut affirmer une chose et son contraire sans se rendre compte de l’absence de logique).
De 7 à 12 ans
À partir de 7 ans, l’enfant accède à des formes de raisonnement qui présentent déjà une certaine organisation (classer ou sérier des objets, par exemple) et une certaine plasticité (par exemple, se décentrer, c’est-à-dire accepter l’existence d’un point de vue perceptif différent du sien). On parle de stade des opérations concrètes. Mais le fonctionnement cognitif de l’enfant reste limité au concret, aux objets réels. L’enfant de cet âge ne peut que très difficilement raisonner sur des données purement verbales. De plus, il reste réticent à l’idée de hasard et à la notion de probabilité.
À partir de 12 ans
C’est approximativement à partir de 12 ans que ces limitations sont levées. On aboutit à la pensée dite opératoire formelle et nous parlons de stade des opérations formelles, qui caractérise les adolescents et les adultes. La pensée hypothético-déductive émerge, l’adolescent peut penser en l’absence de l’objet. Il peut émettre des hypothèses et effectuer des expériences afin de vérifier la validité de celles-ci.
b. Psychologie du développement selon Henri Wallon ou le développement social de l’enfant
Comme Piaget, Wallon se situe dans le courant constructiviste. Wallon a cherché à mettre en évidence les crises, les discontinuités dans l’histoire de l’enfant. Pour Wallon, l’homme est nécessairement social et cela dès sa naissance. Le biologique et le social ne sont pas antagonistes, bien au contraire, ils sont nécessaires et indissociables. Aux sources de la relation entre l’enfant et le monde se situent, selon Wallon, les actes moteurs et l’engagement du corps tout entier. On retrouve ici, par ailleurs, ce qui fonde la prise en charge précoce des enfants trisomiques 21 : les apprentissages doivent être stimulés par des actions motrices pour être efficaces et pallier le déficit intellectuel.
Wallon attribue un grand rôle développemental à l’imitation et à la relation entre le modèle et l’imitateur. Mais cette participation au modèle n’est pas une simple copie : elle est progressivement dédoublement, reprise en compte personnelle et réélaboration. Un geste modifie en même temps le milieu et celui qui le fait. L’enfant se construit en tant que personne dans, grâce à, et contre les relations au milieu.
Henri Wallon rend compte du développement de la personnalité de l’enfant dans sa globalité et n’isole pas l’aspect cognitif de l’aspect affectif, l’intelligence orientée vers le monde physique de l’affectivité orientée vers le monde social.
Le développement de la personnalité, selon Wallon, évolue selon une succession de stades. Chaque stade constitue un ensemble de conduites, caractérisées par un type particulier de hiérarchie entre l’aspect cognitif et l’aspect affectif. Pour certains de ces stades, l’affect prédomine sur l’intelligence ; pour d’autres c’est l’inverse. Mais les deux sphères affective et intellectuelle sont dynamiquement liées : les stades à dominance affective comportent une évolution des conduites intellectuelles ; les stades à dominance intellectuelle comportent une évolution des conduites affectives.
Henri Wallon distingue sept stades :
- Le stade impulsif pur (entre 0 et 3 à 6 mois). Il est constitué de décharges motrices souvent inefficientes, et plus ou moins adaptées à l’objet. L’activité motrice est le reflet diffus de l’émotion. L’affectivité, les sensibilités internes prédominent.
- Le stade émotionnel (entre 3 et 9 mois). Les gestes deviennent utiles, expriment les besoins. C’est le stade de la symbiose affective. L’expression de l’émotion émerge (joie, tristesse), résultat des réponses de l’environnement humain de l’enfant organisatrices du désordre du stade précédent. L’émotion devient organisatrice du comportement de l’enfant et constitue les préceptes de la conscience, du caractère et du langage. C’est à ce stade que l’enfant se reconnaît dans le miroir (voir le paragraphe « Jacques Lacan et le stade du miroir »).
- Le stade sensori-moteur (entre 9 et 12 mois). Petit à petit, l’association entre les mouvements et les perceptions s’organise. L’enfant développe une conscience plus précise des objets. C’est la naissance de la capacité symbolique, de la représentation de l’objet. La fonction cognitive prédomine.
- Le stade projectif (entre 1 et 2 ans). À ce stade, le mouvement accompagne les représentations mentales. La pensée est projetée à l’extérieur par le geste. L’enfant mime sa pensée, et elle est stimulée par l’action. L’enfant commence à mimer et à intégrer des conduites sociales. Il développe deux types d’intelligence : une intelligence pratique liée à la manipulation des objets et une intelligence représentative, liée à l’accès au symbolique de manière générale et plus particulièrement au langage. La fonction affective est subordonnée à la fonction cognitive.
- Le stade du personnalisme (entre 2 et 5 ans). La fonction affective prend à nouveau le pas sur la fonction cognitive. L’enfant arrive à reconnaître sa personnalité, image de lui-même. Il y a une prise de conscience de soi qui se manifeste par une phase d’opposition à l’adulte et aux autres enfants qui l’entourent. C’est l’âge du « non », du « moi » et du « mien ». Cette opposition se transforme, à partir de 4 ans, en intégration dans le groupe familial. C’est « l’âge de la grâce » où l’enfant cherche à tout prix à séduire. Enfin, vers 5 ans, cette intégration se manifeste à travers les jeux d’imitation de l’adulte dans ses rôles sociaux. Son attitude devient ambivalente, empreinte à la fois d’admiration et de rivalités vis-à-vis des adultes qui l’entourent.
- Le stade de la personnalité polyvalente (entre 5-6 ans et 11 ans). C’est un stade de différenciation ou à nouveau, les activités intellectuelles prédominent sur les conduites affectives. L’enfant participe à la vie de plusieurs groupes (famille, école, jeu, sport…). Il a désormais la capacité de prendre des rôles différents, d’influencer le groupe, avec des comportements de coopération, de solidarité… Ce sont les échanges sociaux qui permettent le dépassement de la rivalité et du dénigrement.
- L’adolescence (à partir de 12 ans). À ce stade, le narcissisme de l’enfant prédomine et se manifeste souvent par une crise aiguë, grâce à laquelle l’enfant découvre les valeurs sociales, morales, culturelles… qui deviendront ses propres valeurs. Cette crise permet à l’enfant de dépasser le monde des objets pour atteindre, sur le plan intellectuel, le monde des lois.
De ce point de vue, la maladie mentale apparaît comme une crise non dépassée, l’individu n’ayant pu trouver, structurer le compromis entre ses affects et ses valeurs morales et intellectuelles.
Les idées fondamentales à retenir chez Henri Wallon sont que :
- le rôle de l’autre est important dans la prise de conscience de soi ;
- l’émotion est identifiée à l’activité motrice chez le bébé. Il y a donc un fondement biologique à l’émotion. Par la suite, l’émotion se différenciera d’avec l’activité ;
- le corps est important, ainsi que sa représentation. Wallon introduit le stade du miroir, repris plus tard par Lacan : l’enfant croit être l’image qu’il voit… Il est d’abord un objet extérieur ;
- le mouvement a un rôle important. C’est l’expression des relations entre le sujet et le milieu. On participe physiquement au milieu.
En résumé. L’approche constructiviste s’appuie sur l’idée que l’enfant n’est pas une entité passive se développant selon une trame préétablie et qui recevrait passivement l’empreinte des influences extérieures. L’enfant construit activement sa propre connaissance. Il revient à l’éducateur (moniteur éducateur, éducateur spécialisé ou éducateur de jeunes enfants) de comprendre cette vérité et de l’appliquer dans sa pratique en respectant et en favorisant les expériences personnelles de l’enfant, ses contacts avec les objets et les événements. Il doit organiser l’environnement de façon à permettre à l’enfant de faire ses propres découvertes.
De plus, selon l’approche constructiviste, la connaissance progresse par équilibration, déséquilibration et rééquilibration. Ici, le rôle de l’éducateur est d’observer soigneusement l’enfant, de façon à tenter de savoir à quel moment il convient d’introduire des éléments qui vont amener une révision du système d’équilibre précédent. Trop tôt, c’est inutile. Au bon moment, les suggestions, les échanges avec l’adulte ou avec des enfants plus âgés, seront des catalyseurs pour favoriser la remise en question des connaissances précédentes et l’élaboration de nouvelles synthèses. Il ne sert à rien de brûler les étapes. Il existe une logique du développement et de la construction qu’il est souhaitable de respecter.
c. John Bowlby et la théorie de l’attachement
Si John Bowlby a suivi l’enseignement de Mélanie Klein, on ne peut considérer son oeuvre comme appartenant à la psychanalyse. Elle s’intègre dans la continuité des travaux de René Spitz tout en ayant une perspective éthologiste(2).
Dans la théorie de l’attachement développée par Bowlby, l’attachement étant le lien affectif et social développé par une personne envers une autre, « la propension à établir des liens forts avec des personnes particulières existe dès la naissance et se maintient tout au long de la vie ».
S’inspirant des travaux de Spitz sur l’hospitalisme et la découverte de l’« empreinte » par l’éthologie (Konrad Lorenz), Bowlby a montré que le processus d’attachement du petit à une figure maternelle est une part essentielle du fondement de l’espèce humaine, aussi bien d’ailleurs que de celui de plusieurs autres espèces. Le besoin d’attachement est un besoin primaire, inné chez l’homme.
Cet attachement se développe à partir de comportements innés : pleurs, succion, agrippement, qui permettent de maintenir la proximité physique et l’accessibilité à la figure d’attachement privilégiée, qui est le plus souvent représentée par la mère.
Les fonctions de cet attachement sont la protection, le réconfort et la consolation quand l’individu perçoit des menaces extérieures ou internes. Si les réponses de l’entourage sont adéquates au besoin d’attachement de l’enfant, celui-ci développera une base de sécurité et une image de lui-même positive.
De cette base de sécurité apparaissent de nouvelles compétences : la capacité de se séparer pour explorer l’environnement, la capacité d’attendre une réponse et plus tard de répondre à son tour aux besoins d’attachement d’un plus petit ou d’un plus faible. C’est ce qui caractérise un attachement sécurisant.
Quand les réponses de l’entourage aux besoins d’attachement ne sont pas adéquates, la base de sécurité de l’enfant, l’image de lui-même, sa confiance en lui et en l’autre ne seront pas satisfaisantes. Il va développer un attachement angoissé ambivalent, évitant ou désorganisé.
Chez tout enfant se déroule un processus d’individuation et de séparation (psychique), qui permet le développement du sentiment de conscience de soi. Ce concept, introduit par Margareth Mahler (1897-1985), distingue nettement la naissance biologique de la naissance psychologique. Si la coupure du cordon ombilical amène une distanciation physique du bébé par rapport à sa mère, le sentiment d’exister comme être individualisé apparaît progressivement. Ce processus de séparation-individuation évolue au gré des différentes acquisitions de l’enfant :
- l’utilisation d’un objet transitionnel (voir plus haut le paragraphe sur Winnicott) ;
- le déplacement autonome avec éloignement, grâce à la marche ;
- l’exploration de l’espace et des objets ;
- l’utilisation du langage ;
- le jeu symbolique ;
- la découverte de la différence des sexes…
L’évolution du processus d’individuation est bien sûr liée aux réponses de l’entourage et à la qualité de l’attachement mis en place.
En résumé. Selon la théorie de l’attachement, il est indispensable « de bien s’attacher » pour devenir capable de « bien se détacher », ce qui est la voie normale de l’individuation.
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Un schème désigne la structure d’une action caractérisée par le fait qu’elle se conserve au cours des répétitions de l’action, qu’elle se consolide et qu’elle tend à se généraliser. Retour au texte
Note 02 L’éthologie est l’étude des comportements animaliers Retour au texte