Il n’est pas un jour où la presse locale ne se fasse l’écho d’une hausse significative de l’impôt foncier bâti dans les communes. Quelle est la cause de cette rupture alors que les années antérieures, malgré un frémissement en 2022, avaient été plutôt modérées ? Comment, à défaut de le rendre acceptable, renforcer le consentement à l’impôt local dans un contexte d’inquiétudes sur le pouvoir d’achat ?
Effet base et effet taux
Deux effets se conjuguent dans la dynamique d’une cotisation foncière dont les ménages représentent deux tiers de l’assiette. Tout d’abord l’effet base, les valeurs locatives cadastrales, supports de la taxation, étant revalorisées forfaitairement à raison de l’inflation constatée sur l’année écoulée (7.1 % pour 2023).
Ensuite l’effet taux. Les débats parlementaires sur la dernière loi de finances ont permis de rappeler qu’il restait toujours loisible aux élus locaux de baisser ces taux pour compenser tout ou partie de la hausse des bases afin de préserver leurs contribuables. La réalité financière des budgets locaux, assommés par le poids des charges subies notamment énergétiques, rend ce scénario peu réaliste, d’autant plus lorsqu’on demande aux collectivités d’accélérer dans l’investissement vert. La grogne pourrait être accentuée par les effets de bord de la suppression de la taxe d’habitation qui a pour conséquence de concentrer la répartition des charges nécessaires à l’équilibre des budgets locaux sur les propriétaires.
Si les cotisations deviennent insupportables pour ces derniers, il est à craindre que se répète le funeste mécanisme constaté pour les autres impôts locaux : exonération avec prise charge plus ou moins complète par l’État, dérive du coût pour les finances publiques pour finir par la suppression définitive. Afin de préserver le seul impôt local modulable, répondant à la fois aux enjeux de démocratie locale et de financement marginal des politiques publiques, il apparait donc plus impérieux que jamais de réformer son assiette qui – le rapport sur le sujet de la Cour des comptes en janvier 2023 vient de le redire – reste trop complexe, basée qui plus est sur des paramètres déterminés à partir d’un marché immobilier datant d’un demi-siècle. Pour autant, il a encore été décidé de reculer la révision de ces bases, tel un mirage, de deux années (soit pour 2028…).
Si on accepte la théorie de la capitalisation fiscale, selon laquelle le propriétaire bénéficiant d’aménités urbaines telles que le service public ou l’environnement qui impactent la valeur de son logement, il est assez naturel de baser la contribution locale sur la valeur de son bien. L’accroissement de la base de taxation correspondrait également à un surcroit de richesse patrimoniale, réduisant d’autant le risque d’un sentiment de spoliation. Pourtant, l’administration fiscale a toujours butté sur l’évaluation annuelle du prix de marché de chaque bien du fait de la lenteur de rotation du parc immobilier, sans parler du parc social.
De fait, dans beaucoup de situations, il n’existe aucune référence fiable permettant de déterminer rigoureusement la valeur vénale instantanée d’un logement comparée à celle des logements voisins, même plus ou moins identiques. Dès lors est-il incontournable de recourir à une approximation suivant une logique indiciaire assise sur des indicateurs physiques objectifs évalués au sein de secteurs et/ou de catégories réputées à peu-près homogènes. Il reste ensuite à essayer d’améliorer le réalisme de ce calcul administratif en le raccordant le mieux possible aux données et aux évolutions du marché.
Plusieurs approches possibles
En France, la tradition est de prendre en considération le marché locatif, modélisé aux travers d’enquêtes statistiques sur les loyers et bientôt la collecte des données des propriétaires. Mais pour des raisons tenant, d’une part, à la disponibilité des sources et, d’autre part, au raisonnement de principe exposé plus haut, la réflexion se tourne de plus en plus vers l’idée de privilégier plutôt le marché des transactions immobilières.
Une première approche, rustique, pourrait consister à indexer les paramètre d’actualisation périodique de chaque secteur/catégorie d’évaluation administrative sur les variations moyennes du prix des transactions enregistrées dans le même cadre. Une seconde approche, plus fine, pourrait consister à construire, à côté du référentiel indiciaire appliqué à chaque local, un autre référentiel déduit de la valeur vénale historique du même local (le montant de sa dernière cession parfaitement connue de l’administration) et de son actualisation année par année approximée selon les mêmes modalités que décrites ci-dessus, puis pour finir à combiner les deux référentiels selon tout algorithme à discuter.
Aussi sophistiquée soit-elle, aucune appréciation de la « capacité contributive » (au sens de la déclaration de 1789) des résidents d’une collectivité à partir de la valeur locative/vénale de leurs logements, n’échappera au reproche inhérent à cette solution en ce qu’elle aboutit par nature à un système de taxation globalement régressif au regard du revenu des intéressé. D’où l’idée de réintégrer, d’une manière ou d’une autre, une composante revenu (parallèle, subsidiaire ou combinée) dans l’assiette de l’imposition locale (1).
Demeure la difficulté (très politique) du basculement d’un régime de taxation à un autre, c’est à dire de la crainte induite par toute redistribution entre des perdants et des gagnants, bien connue de ceux qui depuis cinquante ans hésitent à décider d’appliquer dans les rôles les nouvelles bases résultant de toute « révision foncière ». Sauf que l’on sait qu’aujourd’hui, la problématique est singulièrement simplifiée par la circonstance qu’il ne reste plus qu’un niveau de collectivité à être concerné, celui des communes et intercommunalités, et qu’on est donc débarrassé de l’entrelacs des potentiels effets croisés entre niveaux superposés.
Une solution de sortie par le haut peut alors émerger si l’on veut bien renoncer à une entrée en vigueur uniforme au même moment dans tout le territoire national. Il s’agirait de renvoyer l’application des nouvelles valeurs locatives à l’initiative locale elle-même, plus précisément de lui laisser prendre la décision de faire ou pas, et/ou de délibérer du calendrier de lissage des transferts.
Décentraliser la révision générale, en confiant la responsabilité de son déclenchement aux élus locaux, réduirait l’ampleur de l’opération et limiterait également sa résonnance politique, d’autant mieux que les locataires ne sont plus (au moins directement) impactés depuis la suppression de la taxe d’habitation.
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Note 01 Gazette des communes du 16 avril 2018 : « remettre le contribuable au centre du dispositif » Retour au texte