Le président de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), Florian Salazar-Martin, répond aux questions de « la Gazette » sur quatre points.
1- La situation du spectacle vivant
2- La capacité des collectivités territoriales à organiser des spectacles
3- L’analyse de l’impact de la crise de l’intermittence à l’été 2003
4- Le bilan d’étape des Entretiens de Valois
Situation du spectacle vivant
La Gazette – Comment analysez-vous le rôle croissant des collectivités en matière de spectacle vivant ?
Florian Salazar-Martin. Nous sommes sans doute le pays au monde où il y a le plus de spectacles à voir. Nous sommes face à un paradoxe : le spectacle vivant se porte bien, car il y a plus de diversité et de qualité, mais il est extrêmement fragile, car les artistes et les techniciens ne font pas toujours l’objet d’une juste rétribution et les spectacles ne sont pas payés au juste prix.
Si l’on fait un retour en arrière, on peut distinguer trois grandes phases.
La décentralisation culturelle avec la multiplication des spectacles programmés par les institutions du réseau national (ndlr : ensemble des salles subventionnées par l’Etat et les collectivités territoriales). Ensuite, les grandes villes ont fait du spectacle vivant un élément fondateur de leur politique culturelle à travers leurs équipements, ainsi que des programmations « hors les mûrs ». Les villes moyennes ont suivi, avec une politique d’équipements et de programmation dynamique et la grande vague des créations de festivals.
Depuis quelques années, les petites communes, même les petits villages, se lancent dans l’organisation de spectacles. Certes, on ne trouve pas dans un village les mêmes spectacles que dans une grande ville. Mais les maires sont animés d’une forte volonté politique pour affirmer : mes habitants ont droit, eux-aussi, à une programmation et ma commune doit s’inscrire dans le développement national du spectacle vivant. Et cela vaut pour des petites communes, situées à quelques kilomètres de grands pôles urbains, dont elles veulent être complémentaires.
La Gazette – Le spectacle vivant est-il en train de devenir un des fondamentaux des politiques culturelles locales, au même titre que les bibliothèques ?
Florian Salazar-Martin – La tendance observée sur le terrain montre en effet que le spectacle vivant est en passe de devenir un des axes majeurs des politiques territoriales. Outre la lecture publique, n’oublions pas non plus, parmi les axes majeurs, le patrimoine, sur lequel les collectivités ont beaucoup avancé, même s’il reste encore beaucoup à faire. En s’impliquant dans le spectacle vivant, les collectivités renforcent la diffusion des oeuvres. Mais pas seulement. Elles permettent aussi aux artistes de s’inscrire dans des territoires de création et dans un tissu de relations avec les populations locales. Le rôle des collectivités est loin de se limiter à l’accueil des artistes pour une représentation : elles attendent d’eux qu’ils restent pour co-construire quelque chose avec la population. Le cas le plus évident, c’est la résidence d’artiste. En matière de culture, les collectivités font preuve de plus en plus de maturité, ce dont nous devons nous réjouir. Même si cela pose beaucoup de problèmes financiers, d’organisation et de complémentarité.
La Gazette – Comment aborder ces difficultés ?
Florian Salazar-Martin. Aujourd’hui, toutes les collectivités peuvent prétendre agir dans le domaine du spectacle vivant. Ce constat doit nous amener à revoir notre réflexion par rapport au réseau national. Ce que font, par exemple, certains centres dramatiques nationaux ou scènes nationales, qui travaillent sur un territoire donné, en lien avec la population et la commune. Les élus doivent aussi éviter de s’exposer au reproche d’utiliser le spectacle vivant comme faire valoir. Certes, il y a une certaine ambivalence : certains spectacles sont très bons, d’autres frisent le populisme. Ce problème de l’appropriation des spectacles par les élus doit être clairement posé. Ces derniers peuvent le surmonter travaillant avec des professionnels de la culture et en faisant appel à des réseaux nationaux, comme celui de la FNCC. La confrontation avec les politiques culturelles des autres collectivités me semble aussi très saine : il ne s’agit pas d’une logique de concurrence, mais d’émulation. Ainsi, les élus se placent dans une démarche de qualification.
Capacité à organiser des spectacles
La Gazette – L’organisation de spectacles requiert des compétences spécifiques. Les collectivités, notamment les petites communes, sont-elles bien dotées ?
Florian Salazar-Martin. Il est vrai que la chose est complexe. Savoir comment payer une compagnie, par exemple, ne va pas de soi ! Si les collectivités n’ont pas les compétences en interne, elles doivent aller les chercher à l’extérieur, auprès des Drac, et des associations. La FNCC, entre autres, joue ce rôle d’appui auprès des petites communes. N’oublions pas non plus que les communes sont de moins en moins souvent seules, mais intégrées dans une intercommunalité. A la FNCC nous sommes convaincus que le spectacle vivant peut se traiter au niveau intercommunal. C’est ainsi qu’on parvient à se doter, en commun, des moyens nécessaires pour faire un travail de qualité, en respectant les artistes et les techniciens – 330.000 personnes en France, ce n’est pas rien ! -notamment sur le plan de la rémunération. A la FNCC, nous plaidons auprès du ministère de la Culture pour la création d’une dotation spécifique des collectivités au titre du développement culture, en termes d’aménagement et de professionnalisation. Ce serait particulièrement utile pour les communautés de communes. Il faut également réfléchir à l’élaboration d’une politique de réseaux, tant au niveau de la diffusion, que de l’accompagnement des artistes.
Impact de la crise de l’intermittence à l’été 2003
La Gazette – Quel a été l’impact de la crise de l’intermittence en 2003 ?
Florian Salazar-Martin. Depuis cette crise, on constate une augmentation du coût des spectacles et une forte volonté des communes de s’impliquer. Car il y a une prise de conscience : il n’est pas normal que l’assurance chômage paie une partie des coûts de la création et qu’on fasse croire qu’un spectacle puisse ne coûter que 5.000 euros, ou qu’une subvention de 2.000 euros suffit à assurer la survie d’une compagnie.
Aujourd’hui, on s’oriente vers une remise à niveau avec le coût réel des spectacles, notamment dans les structures du réseau national. Mais on n’en a pas fini avec cette crise. Les communes doivent faire un effort supplémentaire, à la mesure de leur reconnaissance du travail des artistes et des techniciens du spectacle.
Mais, en même temps, chacun sait que les artistes préfèreront toujours jouer que de ne pas se produire. Les artistes et les petites communes cherchent donc à négocier, les uns s’adaptant aux autres. D’une façon générale, il faut parvenir à une juste rétribution des artistes et techniciens. L’ancien ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres, nous avait demandé de participer au financement de l’assurance chômage des intermittents. La FNCC a refusé, car ce serait ce que j’appelle une double peine : nous paierions une fois pour le spectacle, une seconde fois pour l’assurance chômage. En revanche, pour le développement du spectacle vivant sur nos territoires, nous avons besoin d’une politique nationale de reconnaissance des métiers des intermittents du spectacle. Nous plaidons pour le maintien d’un dispositif d’assurance chômage spécifique aux artistes. Si l’Etat veut être au diapason des ambitions des communes, il doit leur donner un cadre et des moyens pour qu’elles puissent jouer pleinement leur rôle. Les communes jouent un rôle capital, au bout de la chaîne du spectacle vivant : nous sommes au carrefour des relations avec le public, les artistes et au coeur de l’organisation du spectacle sur le terrain. Quand les artistes ont un problème, c’est à notre porte qu’ils frappent.
Bilan d’étape des Entretiens de Valois
La Gazette – Quel bilan faites-vous de la première phase des Entretiens de Valois ?
Florian Salazar-Martin. A la FNCC, nous nous réjouissons qu’ils aient été organisés, nous affirmons que les politiques publiques ne se construisent plus au sommet de l’Etat, et que la seule voie possible est la concertation avec les collectivités territoriales. Nous aurions dû avoir ce genre de rendez- vous, avec toutes les parties prenantes, depuis longtemps et de façon régulière. Lors de ces Entretiens, les collectivités ont été reconnues comme acteurs indispensables et diversifiés. Même si nous participons à 80% au fonctionnement du spectacle vivant, il n’y a pas de basculement de la responsabilité : l’Etat reste le premier responsable, car nous, au niveau de nos communes, nous menons des politiques différentes d’un territoire à l’autre. La politique nationale conduite par l’Etat n’a donc pas le même sens. Nous avons développé cette idée lors des Entretiens de Valois, elle a été écoutée, j’espère qu’elle sera entendue.
Cela étant dit, la situation du spectacle vivant est extrêmement complexe et doit absolument évoluer. La ministre nous parle de « fin de cycle ». Pourquoi pas ? J’accepte cette formule, dans la mesure où elle ne signifie pas l’arrêt de quelque chose, mais simplement le fait qu’on va lui apporter des corrections pour repartir sur de nouvelles bases. La FNCC a participé au groupe de travail n°1, qui concerne les responsabilités de l’Etat et des collectivités et la place de l’artiste dans les politiques publiques de la culture. Nous sommes arrivés à un début de dialogue entre les participants. Maintenant, nous allons devons nous mettre d’accord sur une méthode et nous apprivoiser mutuellement…. le ministère et les associations, et les associations entre elles, car nous sommes tous très différents ! Nous sommes au tout début d’un processus de modification des politiques publiques. Mais nous ne voulons pas limiter le dialogue au seul spectacle vivant. C’est pourquoi nous nous sommes battons pour la relance du conseil des collectivités territoriales pour le développement de la culture. Nous avons obtenu que les Entretiens de Valois se poursuivent jusqu’à la fin de l’année. Il n’en reste pas moins deux problèmes : la révision générale des politiques publiques et la préparation du budget triennal 2009-2011. Nous ne nous engagerons dans la poursuite des Entretiens de Valois que si ces deux points ne sont pas déjà décidés d’avance sans prendre en compte les résultats de cette concertation. La ministre nous a annoncé qu’elle se battrait pour conserver un budget égal en euros constants.
Par ailleurs, les 34,8 millions d’euros dégelés par Christine Albanel ont permis la tenue des Entretiens de Valois, puisque c’était la condition sine qua none posée par les participants pour venir autour de la table. Cette somme a donné un peu d’oxygène au réseau national, mais n’a pas permis de répondre aux attentes des compagnies qui travaillent en dehors de ce réseau. La FNCC demande aussi le dégel du programme 224 «Transmission des savoirs» (ndlr : dans lequel figurent les pratiques et enseignements artistiques). Dans une période où la pression des industries de la culture est très forte, les collectivités doivent pouvoir garantir le service public de la culture avec une offre de qualité.
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