Pour bien débuter l’année 2023, il faut avoir l’une des dernières images de l’année 2022 en tête : celle d’une équipe de foot vaincue mais célébrée comme des vainqueurs par des milliers de supporters sur la place de la Concorde. Même en période difficile, l’important est bien que tous les acteurs soient réunis dans la concorde.
En politique, souvent brandit-on « la vérité des chiffres » pour taire la discorde. Mais même autour des chiffres sur les finances locales, aujourd’hui, il n’y a pas concorde. Durant cette coupe du monde au Qatar, les maires de France se réunissaient en congrès à Paris pour crier leur angoisse face à la hausse des prix et réclamer un soutien de l’Etat pour la préservation de leurs équilibres financiers. A ce moment-là, on n’aurait pas parié lourd sur une équipe française minée par les blessures, pas plus qu’au maintien des investissements locaux voire de certains services publics avec un panier des maires en hausse de 7,2 % rien que sur les neufs premiers mois de 2022 ou une explosion du prix du gaz à 60 % sur les douze dernier mois.
Une médaille pour la gestion locale
Les footballeurs français ont pourtant été à un mollet bien placé du gardien argentin de ramener la coupe à la maison. Et pour les finances locales ? Si l’on en croit le dernier relevé mensuel comptable des collectivités locales réalisé par la Direction générale des finances publiques (DGFiP), la médaille semble tout aussi proche. A fin novembre 2022, l’épargne brute du secteur local est en progression de 6,1 % sur 12 mois à 23,3 milliards d’euros, contre 19,7 mds€ en novembre 2019. La différence entre les recettes et les dépenses dépasse les 5,7 mds€ pour les communes en hausse de 6,5 % par rapport à 2021 et 12,8 % par rapport à 2019.
L’épargne brute des départements se stabilise à +1,9 %, celle de groupements poursuit sa hausse à +11,2 % alors que celle des régions se redresse à +12,4 % après un gros trou d’air (-19,6 %) provoqué par leurs interventions massives durant la crise sanitaire. Même l’épargne nette, chère au premier vice-président délégué de l’AMF et président du CFL André Laignel qui prédisait au moment du congrès des maires qu’« il n’y avait pas une commune qui pouvait compenser l’inflation par des économies », se maintient à un haut niveau de +9,4 % par rapport à 2021 et +22,1 % par rapport à 2019. Pour les communes, elle explose même littéralement à + 179,8 % passant de 252 M€ à 706 M€ en un an.
L’exécutif verra dans ces chiffres la preuve de l’exagération des représentants des élus locaux sur la réalité de leurs difficultés à des fins politiques. Les élus locaux y verront plutôt le fruit de leurs efforts de gestion qui vaut bien une médaille, mais surtout celle du mérite. Au milieu de ces interprétations discordantes, il reste une petite place pour la concorde.
D’abord s’accorder sur la fiabilité de ces données. Les relevés mensuels ne sont contestés par personne : contrairement à janvier 2021 où le gouvernement avait présenté des chiffres flatteurs mais sans intégrer la journée complémentaire et mis en comparaison avec des données de fin d’exercice précédent, il s’agit cette fois de relevés effectués de mois à mois en glissement. On ne compare donc plus des choux et des carottes, même si –la DGFiP le précise dans sa méthodologie – cette évolution « doit être appréhendée avec précaution car elle est impactée, d’une part, par le rythme d’encaissement par les collectivités de leurs recettes (y compris versements de l’État, notamment la dotation globale de fonctionnement (DGF) et, d’autre part, par le rythme d’inscription en comptabilité de ces versements. Ces pratiques des collectivités peuvent varier d’une année sur l’autre, de même que la date de certains versements importants. »
Décalage dans le temps
A ce biais méthodologique, s’ajoute un effet d’inertie qui explique pour une bonne part la tendance flatteuse de l’épargne brute des collectivités en 2022. La hausse des prix de l’énergie constatée depuis l’an dernier ne se verra pour beaucoup de collectivités qu’à partir de 2023. Pour la plupart d’entre elles, la facture d’énergie à payer en 2022 s’est faite avec les prix topés en 2021, voire même avant si elles sont en groupement de commandes. L’effectivité de la hausse des prix de l’énergie –principalement responsable de la progression des dépenses des collectivités – ne se vérifiera donc qu’à n+1 ou plus : « il y a un effet d’inertie entre la hausse des prix de l’énergie et la constatation dans les comptes locaux » confirme Christian Escallier, DG du cabinet Michel Klopfer qui prévoit donc en 2023 une hausse des achats et charges externes encore plus forte qu’en 2022 (+9,1 %).
Même cas de figure pour les dépenses de personnel. La progression constatée de 4,8 % à novembre 2022 sur les douze derniers mois ne prend en compte la hausse du point d’indice de 3,5 % que sur cinq mois. « Or cette revalorisation porte sur environ 80 % du chapitre 12 des charges de personnel, note l’expert. En 2023, première année pleine de la mesure, il est à craindre que ces charges augmentent encore plus que cette année ».
Enfin la bonne tenue de l’épargne brute en 2022 a également été possible grâce à des recettes dynamiques (+4,5 %). Les recettes fiscales (+5,2 %) ont été soutenues par la hausse de la TVA de +9.6 %, une majoration des bases de 3,4 % en 2022 et des DMTO encore dynamiques sur les trois premiers trimestres de l’année passée. Les recettes tarifaires sont également revenues à des niveaux d’avant-covid : « l’année 2022 va être une très bonne année côté recettes » assure Christian Escallier. Mais les ressources 2023 s’annoncent beaucoup plus incertaines. La hausse historique des bases de 7,1 % ne compensera peut-être pas le tassement attendu, voire la baisse, des DMTO et les évolutions très incertaines des ressources économiques, très dépendantes d’une croissance 2023 que la Banque de France prévoit à +0,3 % contre 2,6 % en 2022.
Double peine en 2023 ?
Ces chiffres mensuels pour éclairant qu’ils soient, sont donc à recontextualiser dans un temps plus long que les douze derniers mois. Ils dévoilent aussi en creux la possibilité d’une double peine pour les collectivités : avec un niveau aussi haut d’épargne brute, la grande majorité d’entre elles ne pourront pas prétendre au 1,5 milliard de soutien accordé par l’Etat hors amortisseur électrique, accordé aux seules collectivités ayant subi une perte de 15 % de leur épargne brute, alors que ce sera justement dans quelques mois que les conséquences de l’inflation subie en 2022 se fera le plus sentir. Dans ce contexte difficile, chaque acteur devra donc montrer en 2023 qu’il reste une place pour la concorde. C’est l’enjeu de cette année.
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