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La classe politique, la loi, les événements, la communication

Publié le 01/03/2013 • Par Dunod Éditions • dans : Fiches de révision

LA TENDANCE la plus lourde de ces dernières années est celle du recours abusif à la loi, laquelle est tantôt curative, tantôt réactive, impulsive et par conséquent inachevée, inadaptée voire inapplicable. Cette fiche consacre une large part à ce qu’il convient d’appeler une inflexion plus qu’une évolution. Avant d’ausculter ce mouvement, il importe de mettre en lumière les paliers qui ont précédé à cette situation.

1997-2002 : le Gouvernement Jospin engage des rĂ©formes sur le droit de la famille, la lutte contre les exclusions, la politique de la ville, la sĂ©curitĂ©… et contribue Ă  l’élargissement des droits en matière de santĂ© (CMU et APA) ou du droit de la famille (congĂ© paternitĂ©). L’équipe gouvernementale est Ă  la fois motivĂ©e par sa prise en mains des affaires circonstancielles (dissolution de l’AssemblĂ©e nationale) et par l’échĂ©ance prĂ©sidentielle de 2002, dont un bilan positif pourrait optimiser le vote Ă  gauche. L’histoire a Ă©crit un tout autre scĂ©nario qualifiĂ© de « coup de tonnerre » pour le candidat Lionel Jospin, devancĂ© par celui du Front National au premier tour, et dĂ©clarant ce 21 avril, « j’ai dĂ©cidĂ© de me retirer de la vie politique ».

Les textes votĂ©s durant cette pĂ©riode rĂ©sultent d’une rĂ©flexion prĂ©alable conduite – le plus souvent – par des Ă©lus et des personnes dites qualifiĂ©es dans les domaines Ă©noncĂ©s. Le vote parlementaire se fait dans des conditions favorables en termes de temporalitĂ© et de procĂ©dure. Au terme du mandat, Lionel Jospin avoue l’insuffisance de son action. Il pense, en particulier pour le secteur mĂ©dico-social ; aux tutelles aux majeurs protĂ©gĂ©s, Ă  la protection de l’enfance, aux retraites… Sur un plateau de tĂ©lĂ©vision, il reconnaĂ®t publiquement sa naĂŻvetĂ© s’agissant du lien entre reprise Ă©conomique et baisse de la dĂ©linquance.

2002-2007 : les Gouvernements Raffarin et de Villepin sont moins prolixes en matière de rédaction de textes de lois. Seuls les dossiers de la sécurité, de la justice des mineurs et de l’immigration sont privilégiés dans une volonté de durcir l’appareil judiciaire, la campagne de 2002 n’y est pas étrangère. De cette période, le psychanalyste et ethnologue Patrick Declerck écrit dans une tribune du journal Le Monde en 2002 :

« Honte Ă  ceux qui s’attaquent aux plus pauvres et aux plus faibles et n’ont mĂŞme pas le courage de leurs actes. Honte Ă  ceux qui veulent mettre les pauvres Ă  l’amende parce qu’ils sont pauvres. Honte Ă  ceux qui rĂŞvent de les ruiner encore un peu plus. Faut-il donc rĂ©pĂ©ter jusqu’à la nausĂ©e que la mendicitĂ© n’est pas un choix, un plaisir, un luxe pervers, le mou passe-temps des oisifs ? […] Un imaginaire de mauvaise foi, oĂą la sociĂ©tĂ©, Ă©coeurĂ©e d’elle-mĂŞme, de son propre corps, de ses failles, de ses ratages, de ses fautes, ne se reconnaĂ®t plus, ne veut plus se reconnaĂ®tre, ne peut plus assumer ni sa culpabilitĂ© ni ses responsabilitĂ©s. Devant la complexitĂ© de ces manques, de ces pathologies, devant le vertige de cette inquiĂ©tante Ă©trangetĂ©, la tentation la plus bĂŞte, la plus primaire, consiste Ă  interdire. Comme si l’interdiction, par magie allait permettre de faire disparaĂ®tre la chose mĂŞme. C’est la pensĂ©e caporale(1). »

Le deuxième mandat de Jacques Chirac – dispensé de cohabitation – est le point de rupture vers une appropriation de la loi à court terme. L’intérêt général et les finalités afférentes cèdent la place à l’ostentatoire, à la propagande médiatique. Les raisons peuvent provenir de l’instabilité politique issue des urnes qualifiée de « volatilité de l’électorat ». Si chaque défaite ne déclenche pas de remaniement gouvernemental – ce que l’opposition réclame non sans absurdité – elle engage souvent une volonté de changement politique pour répondre à l’impatience sinon à la déception de l’électorat.

Rappelons que pour ne pas laisser plusieurs textes en jachère mais surtout aux mains des successeurs, le Gouvernement fait voter le 5 mars 2007 – dernier jour du Parlement avant élection – quatre textes de lois dans le champ social.

Le quinquennat participe aussi de l’accélération du temps politique, tout comme les aléas, les contraintes et les moeurs de notre société. Pour Jean-Louis Servan- Schreiber :

« En scandant le système politique français tous les cinq ans, en limitant la durée maximale à la tête de l’État à dix ans, il raccourcit les périodes de tranquillité gouvernementale qu’offrent les années sans élections ; celles où l’on peut tenter des réformes de long terme. C’est là une des conséquences institutionnelles de la démocratie d’opinion. Dès lors que des sondages peuvent, à tout moment et sur tout sujet, remettre en question la confiance des citoyens en ceux qui les dirigent, la nécessité de donner aux validations électorales un rythme plus fréquent s’impose. Or les élections ne se gagent pas sur les projets à long terme, mais sur des promesses pour demain(2). »

Jean-Louis Borloo ne s’est pas exemptĂ© de ce mode opĂ©ratoire. D’abord en rĂ©pondant Ă  la commande de rĂ©duire la fracture sociale Ă  deux ans de la fin du mandat de Jacques Chirac, en conduisant le plan de cohĂ©sion sociale. Si ce dernier repose sur des donnĂ©es avĂ©rĂ©es et un climat social dĂ©gradĂ©, il n’en demeure pas moins que le projet Ă©tait ambitieux, la suite l’a confirmĂ©. Nous l’avons vu, le plan de cohĂ©sion sociale n’a guère survĂ©cu Ă  la mĂ©canique qui l’a fait naĂ®tre. Ă€ l’hiver 2006, Jean-Louis Borloo rĂ©cidive sous une autre forme. Le campement des Enfants de Don Quichotte, sur le Canal Saint-Martin Ă  Paris, conduit le ministre Ă  devoir agir face Ă  l’opinion publique sensibilisĂ©e Ă  la cause des SDF, d’autant plus Ă  quelques jours de NoĂ«l. La prompte rĂ©daction du texte de loi est sans prĂ©cĂ©dent, tout comme la validation par le Parlement. Le sort et le devenir des SDF ne peuvent ĂŞtre rĂ©duits Ă  une telle mise en scène, faisant fi de l’histoire et de l’existant en matière de prise en charge. Elle laisse supposer que la simple distribution d’hĂ©bergement et de logements dĂ©sintègre le problème. Si la souffrance des SDF est liĂ©e Ă  la seule pĂ©nurie de logements, voilĂ  qui explique peut-ĂŞtre pourquoi Jean-Louis Borloo a snobĂ© les associations caritatives face Ă  cette situation sociale hivernale ?

Ce phénomène, engagé avant les présidentielles 2007 en a convoqué un second : celui de vouloir rapprocher le politique à l’impatience et à la requête individuelle de l’électorat. La plupart des candidats ont participé au concept de l’émission J’ai une question à vous poser réunissant, en direct et face à eux dans un hémicycle une centaine de citoyens. Durant deux heures, chaque citoyen sélectionné par la chaîne exprime sa situation, ses doléances et sa demande attendant une réponse personnalisée et un engagement du candidat. Inutile de préciser quels sont les candidats habiles et rigoureux sur les thèmes abordés, quand d’autres glissent vers les généralités. Insidieusement, les médias et l’audimat ont mis en scène un show politique présentant trois écueils :

• l’individualisation de la réponse politique qui s’oppose à l’esprit d’une approche collective émanant d’un rapport de forces et régissant une règle commune ;

• l’action politique et le rapport au temps soudainement contractés (la dictature de l’urgence) faisant fi du temps parlementaire, de l’application des décrets (le temps de l’administration) et des moyens alloués ;

• la posture infligĂ©e mais nĂ©anmoins acceptĂ©e des candidats, qu’un futur PrĂ©sident de la RĂ©publique maĂ®trise l’ensemble des dossiers, mais surtout se consacre aux seules prĂ©occupations internes du pays. Nous ne sommes pas loin d’un fantasme qui voudrait que le PrĂ©sident de la RĂ©publique soit le maire de la France, le politique-voisin avec sa permanence, son implication dans les dossiers individuels. Le long terme n’est guère envisagĂ© sans oublier la politique internationale (l’Europe, la globalisation, le libre-Ă©change…) si peu prĂ©sente au coeur du quotidien des Français. Les politiques ne parlent plus Ă  long terme mais Ă  la seule Ă©chelle des difficultĂ©s en temps rĂ©el.

2007-2012 : lorsque le chef de l’État prend ses fonctions, son dynamisme et son agitation ne sont plus Ă  prouver. Il en a fait sa marque de fabrique pendant la campagne Ă©lectorale et poursuit sur cette lancĂ©e dès son arrivĂ©e Ă  l’ÉlysĂ©e. La tenue sportive post-jogging exposĂ©e sur le perron de l’ÉlysĂ©e, tranche avec ses prĂ©dĂ©cesseurs. Le nouveau prĂ©sident s’est entraĂ®nĂ© au cours de ses fonctions prĂ©cĂ©dentes place Beauvau. En ce lieu, il a rodĂ© les dĂ©placements liĂ©s aux Ă©vĂ©nements (Toulouse, La Courneuve…). Comme l’écrit encore Jean-Louis Servan-Schreiber :

« Auparavant, en cas de « bavure policière », d’attentat ou de catastrophe naturelle, la prĂ©sence sur place d’un haut gradĂ© de la police ou d’un prĂ©fet suffisait. Aujourd’hui, l’arrivĂ©e du ministre de tutelle est attendue dans l’heure, quand on n’exige pas celle du PrĂ©sident lui-mĂŞme. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intĂ©rieur, en avait fait une Ă©quation : une camĂ©ra de tĂ©lĂ© « sur site » = la prĂ©sence du ministre(3). »

Il n’est nullement exclu qu’à cette Ă©poque, le ministre de l’intĂ©rieur ait fait de cette pratique, un baromètre quant Ă  la fertilitĂ© des esprits…

Le Gouvernement Fillon n’emboîte pas le pas du mode présidentiel en s’exposant à une frénésie législative. Mais il va contribuer à sa façon à la dévalorisation de la loi. L’événementiel préside à la rédaction de cette dernière, par conséquent, le Gouvernement privilégie la procédure d’urgence (une seule lecture par chambre).

À ce stade de notre rétrospective de l’acte politique, nous pouvons mettre en exergue les premières tendances « déviantes » :

  • l’instabilitĂ© des Ă©chĂ©ances Ă©lectorales conduit Ă  des rĂ©ponses opportunistes des hommes politiques agissant sur l’immĂ©diatetĂ©. Le dĂ©monstratif pour se sauver d’un naufrage politique annoncĂ© est l’ultime recours ;
  • l’instauration du quinquennat, qui fait barrage Ă  la cohabitation, enclenche des mises en chantier dĂ©multipliĂ©es des rĂ©formes ou des ajustements/modifications lĂ©gislatifs. Qui plus est, le parti politique en place doit prouver son efficacitĂ© face Ă  une opposition dĂ©jĂ  en campagne Ă©lectorale ;
  • la militance « combative » (droit au logement, Enfants de Don Quichotte…) ou le fait divers sont Ă  l’origine du tempo et de l’inspiration politique. Ils traduisent une vision rĂ©trĂ©cie de la classe dirigeante, prĂ©occupĂ©e par l’instant et le traitement dans les mĂ©dias.

Tout cela fait dire au sociologue Hartmut Rosa :

« Notre Ă©poque se montre extrĂŞmement riche en Ă©vĂ©nements Ă©phĂ©mères et très pauvre en expĂ©riences collectives porteuses de sens. […] Oui, nous perdons notre emprise thĂ©orique sur le monde, la rĂ©flexion de fond rĂ©gresse, nous n’arrivons plus Ă  apprĂ©hender le sens et les consĂ©quences de nos actions. Nous n’avons plus le temps de dĂ©libĂ©rer, de rĂ©flĂ©chir, de formuler, de tester et construire des arguments. […] Ainsi, nous assistons au règne de l’opinion rapide, des dĂ©cisions politiques rĂ©actives(4). »

Ces trois périodes permettent de classer le bien-fondé des lois selon quatre conceptions.

  • L’innovation Ă  partir des besoins repĂ©rĂ©s au sein de notre sociĂ©tĂ© et en fonction de la place de l’individu dans celle-ci. Il en dĂ©coule la crĂ©ation de la CMU, de l’APA, du RSA…
  • La continuitĂ© d’un droit, d’un dispositif en place depuis plusieurs annĂ©es dont le dĂ©veloppement fait consensus Ă  gauche comme Ă  droite : les contrats aidĂ©s, la politique de la ville, la prime pour l’emploi…
  • L’adaptation des textes en vigueur pour lesquels le public s’est Ă©largi, s’est « hĂ©tĂ©rogĂ©nisĂ© », les situations sont devenues disparates tout comme les problĂ©matiques, c’est le cas pour la loi sur le handicap ou celle sur la rĂ©forme des tutelles.
  • La rĂ©action « passionnelle » du politique qui s’approprie un Ă©vĂ©nement, un fait divers pour illustrer son empathie envers les victimes, en les recevant parfois Ă  l’ÉlysĂ©e. Le politique exprime alors sa compassion, le soutien de la nation et jure par la plus grande sĂ©vĂ©ritĂ© – c’est un grand classique – que les auteurs seront poursuivis et qu’une loi est dĂ©jĂ  Ă  l’écriture. « Devenus des mĂ©decins urgentistes, les hommes politiques sont dans un mode d’action de moins en moins rĂ©flĂ©chi, qui tient du rĂ©flexe(5). » Ce procĂ©dĂ© Ă©carte le plus souvent les experts sur la question et les acteurs de terrain, tout comme l’arsenal lĂ©gislatif existant dans lequel se trouve souvent la rĂ©ponse mais inappliquĂ©e.

1. DISCUSSIONS PARLEMENTAIRES ET NOUVELLES TENDANCES

Ces premières considérations permettent d’observer les effets constatés aujourd’hui : plus de 90 lois votées entre 1998 et 2012 pour le seul secteur médico-social, ce qui donne une indication de la masse de celles étrangères à ce champ, sachant qu’environ 50 % de l’activité parlementaire concerne l’adaptation du droit français aux directives européennes.

Inévitablement, les lois se densifient : de 632 pages de lois promulguées en 1980, nous frisions en 2006 les 2 000 pages annuelles.

Cette recherche de technicitĂ© est parfois contre-productive, puisque la massification des lois conduit Ă  une modification ultĂ©rieure de celles-ci (loi DALO, loi HPST, loi du 11 fĂ©vrier 2005, RSA…), autrement dit de nouvelles lois complètent la première. Certaines sont inapplicables dès leur naissance et le demeurent malgrĂ© les modifications intervenues.

« Pour l’exĂ©cutif, le temps presse ; le lĂ©gislatif, lui dĂ©teste la prĂ©cipitation. « C’est plus facile d’écrire un discours qu’un texte de loi », remarque Christian Jacob. DĂ©nicher la faille juridique permettant de contourner la loi est devenu un lucratif marchĂ©. Un vĂ©ritable rĂ©gal. […] Il faut Ă©carter l’idĂ©e que le droit puisse ĂŞtre simple, explique Patrick Hubert, associĂ© chez Clifford Chance, un des principaux cabinets d’experts juridiques de la place parisienne. Pour Lionnel Luca, dĂ©putĂ© des Alpes-Maritimes : on a une impression de bricolage afin de satisfaire l’ogre mĂ©diatique. Comme si la politique avait pour fonction de mettre le cafĂ© du commerce en ordre juridique(6). »

Le Gouvernement Fillon a innové en délégiférant parfois son propre arsenal (une partie de la loi dite TEPA) faisant dire à Gérard Courtois dans les colonnes du Monde : « Une des grandes ambitions affichées en 2007 était de revaloriser le rôle du Parlement. À l’usage, on voit ce qu’il en est : une majorité instrumentalisée, qui grince parfois, mais tourne au gré des vents et des enjeux électoraux(7). »

Les amendements dont l’opposition se saisit largement et lĂ©gitime l’usage, atteignent parfois des records ubuesques, comme celui des 100 000 pages dĂ©posĂ©es Ă  l’AssemblĂ©e nationale dans le cadre du projet de loi sur l’ouverture Ă  la concurrence de l’électricitĂ©. Si Jacques Lacan disait « la forme, c’est le fond », les initiatives de l’opposition sont parfois dĂ©mesurĂ©es et surtout en divorce avec les propositions nĂ©cessaires.

Dans ces conditions, la surchauffe atteint aussi le Conseil constitutionnel, d’autant plus, lorsque la procédure d’urgence devient un automatisme. En aval, les lacunes de la loi reviennent à l’appréciation du Conseil constitutionnel par la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Il existe rarement de répit pour la loi. Les parlementaires crient à l’asphyxie et à l’inefficacité, pendant que les citoyens peinent à percevoir ce qui relève d’une simple proposition politique, d’un projet de loi, d’un article précis en discussion au Parlement ou de la loi. L’opacité est à tous les niveaux, le débat et la technicité s’effacent au profit de la lisibilité (au moins populaire) et de l’efficience immédiate pour les plus concernés. La loi devient un élément de mesure du Gouvernement. Enfin, l’inflation législative dite « bombardement textuel », interroge sur la qualité de la loi et surtout ses débats contradictoires quand l’assiduité des parlementaires est quelque peu défaillante. Empruntons la métaphore médicale pour pointer la santé provocante de la loi n’empêchant pas pour autant les arrêts maladies lorsque son aura et ses capacités sont abusivement sollicitées. Elle peut connaître l’invalidité initiée par les sages du Conseil constitutionnel, mais aussi le coma (RMA) voire le deuil (CPE).

Jusqu’en mars 2007, les lois qui ont modifiĂ© le coeur de mĂ©tier des travailleurs sociaux (droit des usagers, handicap, tutelles, protection de l’enfance…) prĂ©sentent pour la grande majoritĂ©, une structuration et une rĂ©daction peu contestĂ©e jusqu’à prĂ©sent. Seule la loi de cohĂ©sion sociale – rĂ©digĂ©e lĂ  aussi pour rĂ©pondre Ă  des circonstances Ă©lectoralistes – est aujourd’hui un cadavre.

L’accĂ©lĂ©ration donnĂ©e Ă  la rĂ©daction d’un texte de loi en rĂ©ponse Ă  une situation conjoncturelle, Ă©motionnelle, sĂ©curitaire… n’est pas fĂ©conde. En effet, soit le Conseil constitutionnel – lorsqu’il est saisi – exprime un avis dĂ©favorable (loi Hadopi, loi du travail le dimanche, taxe carbone…), soit la loi est inappliquĂ©e comme nous l’avons vu par la « rĂ©sistance rĂ©publicaine des Ă©lus » (loi de prĂ©vention de la dĂ©linquance, loi de l’égalitĂ© des chances) ou pour des raisons organisationnelles. Ainsi, la loi sur la sĂ©curitĂ© rĂ©primant la prostitution est dans les limbes, les forces de l’ordre avouant leur impuissance(8).

2. LES LOIS QUI FONT PSCHITT…

L’inflation législative sur laquelle nous nous sommes attardés tout au long de cet ouvrage, est une caractéristique de la période 1998-2012. Nous avons largement énoncé les modifications intervenues dans le secteur médico-social. Mais l’excès de lois révèle très vite ses limites, comme le disent Dominique Lansoy, juriste et Philippe Sassier, journaliste :

« C’est la loi fait divers, la loi émotion, la loi maternelle, calmante et rassurante, mais de plus en plus inefficace(9). »

Cette tendance correspond à ce que François Dubet désigne comme « la construction de politiques ponctuelles », et Michel Autes, « la logique de l’urgence et du court terme ». Le sociologue Alain Touraine, qualifie ce mouvement de « mini-politique » et d’ajouter : « c’est une politique faite d’assemblage de mots, d’images et de vide(10) ».

L’hypothèse que la politique réactive réponde à la passivité ressentie par le citoyen n’est pas exclue. Et cette situation est souvent à l’origine d’une formule surprenante, de plus en plus utilisée par la classe politique : « faire des propositions concrètes ».

Pour Marcel Gauchet, historien et philosophe, la fracture entre les élites politiques et les citoyens semble consommée :

« Le climat de la société française n’est pas révolutionnaire, mais il est habité par une révolte sourde et un sentiment de distance radicale à l’égard du personnel dirigeant(11). »

Pour Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République : « Le moment est difficile pour les politiques : la distanciation par rapport à eux a rarement été aussi forte, en même temps il y a une très forte attente de réponses politiques. Cela traduit une inadéquation de l’offre à la demande. D’un côté, trop de gestion des émotions collectives, le plus souvent médiatisés, de l’autre, pas assez de construction d’une vision collective. La politique n’est pas de l’ordre du magique. La question de l’appropriation, par les citoyens, de la décision politique, est devenue essentielle(12). »

3. LA TEMPORALITÉ

« Le but de l’homme moderne sur cette terre est, Ă  l’évidence, de s’agiter sans rĂ©flĂ©chir dans tous les sens, afin de pouvoir dire fièrement, Ă  l’heure de sa mort : « Je n’ai pas perdu mon temps »(13). »

La banalisation de l’homme politique devenu, pour les mĂ©dias, Ă  la fois produit et terreau de l’audimat, a laissĂ© place Ă  une omniprĂ©sence des figures politiques et Ă  toutes les incongruitĂ©s. Rappelons simplement les feuilletons conjugaux des deux candidats du second tour (prĂ©sidentielles 2007) exposĂ©s, questionnĂ©s, dĂ©possĂ©dĂ©s mais quelque peu complices de cette mise en scène. Quant aux interventions des politiques dans les mĂ©dias, leur dĂ©multiplication est non seulement consĂ©quente mais elle favorise le discrĂ©dit. La radio, la tĂ©lĂ©vision Ă©largie par la TNT – semblent faire bon mĂ©nage avec les femmes et les hommes politiques. Chaque semaine, pas moins de soixante-dix interviews sont rĂ©alisĂ©es tous mĂ©dias confondus. Les Ă©cueils sont immĂ©diats ; la petite phrase (le buzz) fait florès, supplantant le fond, la rĂ©flexion et l’argumentaire politique. RĂ©pĂ©tĂ©e Ă  l’envi, elle enferme, appauvrit le politique. Pour Mathias Bernard, professeur Ă  l’universitĂ© Blaise Pascal de Clermond-Ferrand :

« La tĂ©lĂ©vision a progressivement imposĂ© ses normes Ă  la vie politique. Les journaux tĂ©lĂ©visĂ©s restent le principal espace de propagation. Ils privilĂ©gient trois approches : la petite phrase, l’image spectaculaire, la compĂ©tition. La politique se rĂ©duit Ă  une sĂ©lection de « petites phrases », qui doivent en trente secondes rĂ©sumer une position et, le plus souvent, attaquer l’adversaire : la rhĂ©torique politique se plie Ă  cet exercice, chaque homme politique truffant ses discours publics de quelques « petites phrases », souvent Ă©laborĂ©es avec le concours de conseillers en communication(14). »

De l’appropriation des médias à celle du temps politique, nous proposons de nous faire l’écho de deux sociologues qui décryptent cette nouvelle temporalité.

Pour Denis Muzet :

« Les nouvelles du jour se succèdent et effacent plus vite encore celles de la veille. La durĂ©e de vie de l’actualitĂ© est de plus en plus courte, quelques heures plutĂ´t que quelques jours. Nous n’avons plus pour principal horizon que le temps rĂ©el. […] La « mĂ©moire vive » des Français est devenue courte, et ne va guère au-delĂ  d’un an. Au rythme fou oĂą va l’actualitĂ©, les annĂ©es Jospin, et mĂŞme les annĂ©es Raffarin, semblent appartenir Ă  la prĂ©histoire. Alors que dire des annĂ©es Mitterrand ? […] Il n’y a plus de pilote dans l’avion du sens. […] L’ÉlysĂ©e Ă©crit tout au plus, chaque matin Ă  la va-vite, l’épisode de la tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© du soir. Il n’y a plus, dans ce pays, de grand rĂ©cit. RĂ©sultat : la porte est ouverte Ă  tous les hold-up du sens. […] On assiste Ă  un renoncement affligeant du politique Ă  son devoir de pĂ©dagogie de la complexitĂ©. […] C’est l’ensemble de la classe dirigeante, droite et gauche confondue, qui est impuissante face aux enjeux posĂ©s Ă  nos sociĂ©tĂ©s qui dĂ©passent dĂ©sormais le cadre national(15). »

Pour Hartmut Rosa :

« Ă€ l’âge de l’accĂ©lĂ©ration, le prĂ©sent tout entier devient instable, se raccourcit, nous assistons Ă  l’usure et Ă  l’obsolescence rapide des mĂ©tiers, des technologies, des objets courants, des mariages, des familles, des programmes politiques, des personnes de l’expĂ©rience, des savoir-faire, de la consommation. Dans la sociĂ©tĂ© prĂ©-moderne, avant la grande industrie, le prĂ©sent reliait au moins trois gĂ©nĂ©rations car le monde ne changeait guère… ».

Indéniablement, le rapport à l’histoire est annihilé. L’historicité des événements et ses réponses ne sont plus les bases des propositions politiques. L’historien François Furet écrivait :

« L’histoire est devenue un tunnel oĂą l’homme s’engage dans l’obscuritĂ© sans savoir oĂą conduiront ses actions, incertain sur son destin […]. L’idĂ©e d’une autre sociĂ©tĂ© est presque devenue impossible Ă  penser. Nous sommes condamnĂ©s Ă  vivre dans le monde oĂą nous vivons(16). »

En matière de sĂ©curitĂ©, de justice des mineurs, de politique de la ville… tout laisse Ă  penser que nous vivons les Ă©volutions – très souvent rĂ©currentes – comme un phĂ©nomène extraordinaire. Primo Levi disait : « quiconque oublie son passĂ© est condamnĂ© Ă  le revivre ». L’ancien secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de Matignon et ancien ministre de l’agriculture, Bruno Le Maire, est l’auteur d’un titre Ă©loquent Sans mĂ©moire, le prĂ©sent se vide. Trois qualitĂ©s sont nĂ©cessaires selon lui pour « ne pas se fourvoyer et fourvoyer ceux qui croient en nous(17) » : la mĂ©moire, la patience et l’autoritĂ©.

Mettez toutes les chances de votre côté

Notes

Note 01 Patrick Declerck, « La pensée caporale » in Le Monde du 5 octobre 2002. Retour au texte

Note 02 Jean-Louis Servan-Schreiber, Trop vite. Pourquoi nous sommes prisonniers du court terme, Albin Michel, 2010. Retour au texte

Note 03 Ibid. Retour au texte

Note 04 Interview du sociologue allemand, Hartmut Rosa à l’occasion de son essai Accélération (La découverte), in Le Monde Magazine, 28 août 2010. Retour au texte

Note 05 Jean-Louis Servan-Schreiber, op. cit. Retour au texte

Note 06 « Parlementaires au bord de la crise de nerfs » in Le Monde du 27 janvier 2010. Retour au texte

Note 07 Gérard Courtois, «Délégiférer, ou l’art de faire une chose et son contraire » in Le Monde du 14 juin 2011. Retour au texte

Note 08 « Un boulevard pour la prostitution » in Le Monde du 23 mars 2001. Retour au texte

Note 09 Ubu loi, Fayard. Retour au texte

Note 10 Le Monde des 5-6 septembre 2010. Retour au texte

Note 11 Entretien accordée au journal Le Monde dans son édition des 18-19 juillet 2010. Retour au texte

Note 12 Ibid. Retour au texte

Note 13 Pierre Desproges. Retour au texte

Note 14 Mathias Bernard, Histoire politique de la Ve République de 1958 à nos jours, Armand Colin, 2008. Retour au texte

Note 15 Denis Muzet, « La méthode Sarkozy dans l’impasse » in Le Monde du 11 mai 2010. Retour au texte

Note 16 Jean-Michel Dumay (chronique), « Un monde sans histoire » in Le Monde des 13-14 janvier 2008. Retour au texte

Note 17 Bruno Le Maire, Sans mémoire, le présent se vide, Gallimard, 2010. Retour au texte

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