L’ACTIVITÉ MOTRICE de l’enfant est un instrument fondamental pour conquérir le monde qui l’entoure, mais on ne peut étudier l’activité motrice du seul point de vue physiologique. Il doit être rattaché à la vie psychique de l’enfant. Le développement psychomoteur est ainsi, dans sa terminologie, porteur de cette dualité et des interactions complexes qui s’opèrent entre la motricité(1) et le psychisme. L’activité motrice, dans la mesure où elle est intentionnelle, ne peut être séparée de l’intelligence, de la connaissance. C’est l’action qui aide l’intelligence à se construire, la connaissance à se structurer, Henri Wallon l’a démontré. L’enfant nourrisson, par ses actions, sera progressivement capable de se représenter ce qu’il a agi. L’activité motrice aide l’intelligence à se construire et inversement.
L’intelligence seule ne suffit pas, l’émotion, l’aspect relationnel et affectif ont leur part d’importance. Le tonus musculaire agit lui aussi sur l’état émotionnel et inversement. En effet, l’activité motrice est fonction de la qualité des échanges émotionnels entre la mère et l’enfant. Si l’enfant se sent bien et éprouve du plaisir, son développement psychomoteur sera harmonieux. À l’inverse, en cas de carence affective, l’enfant pourra présenter un retard dans ces acquisitions. Ces propos, bien évidemment, ne valent que pour l’enfant non porteur de handicap déjà révélé. Toutefois, nous savons que chez l’enfant handicapé mental, moteur ou sensoriel, une prise en charge psychomotrice précoce permettra à celui-ci d’acquérir des connaissances et d’intégrer des apprentissages plus rapidement que s’il ne bénéficie pas d’un accompagnement spécifiquement lié à son handicap.
Nous développerons ici de manière synthétique les différentes étapes du développement psychomoteur sous la forme d’un tableau (voir tableau 6.1) afin de fournir des repères clairs et de permettre au moniteur éducateur de faire plus précisément le lien entre la sphère affective et le développement moteur (par exemple, l’intégration du « non », la structuration de son Surmoi et l’acquisition de la marche avec toutes les précautions que vont prendre les parents lorsque l’enfant explore l’univers qui s’offre à lui). En outre, le moniteur est susceptible d’intervenir en pouponnière et il est important, dans ce cas, qu’il puisse avoir en tête des repères précis.
1. L’ADOLESCENCE
Enfant, on aime ses parents.
Adolescent, on les déteste.
Adulte, on leur pardonne.
Si, au moment de l’adolescence, les transformations physiques sont prégnantes et visibles, elles ne se limitent pas à la réalité biologique de la puberté, car elles procèdent d’une mutation également psychologique et sociale.
L’adolescence est une phase source d’angoisse, en grande partie induite par les désirs sexuels, source de déséquilibres et d’insatisfactions. Déséquilibre accentué par un décalage entre, justement, cette maturité psychologique plus tardive que la maturité physiologique. L’adolescent, pour atténuer ses angoisses, tend alors à régresser à des stades antérieurs (oral et anal), ce qu’il nous montre à voir à travers le plaisir qu’il a à grignoter tout au long de la journée ou encore à se négliger totalement, jusqu’au manque d’hygiène.
Ce corps qui se transforme échappe au contrôle de l’enfant. L’impuissance qu’il éprouve l’amène parfois à adopter des comportements transgressifs ou encore à manifester des conduites à risque compromettant sa sécurité.
L’adolescent est dans un complet remaniement identitaire qui trouve sa source dans la réalité biologique de celui-ci (plus ou moins tardive), sa propre histoire et les pressions sociales (familiales, amicales mais aussi normatives) qui l’entourent.
La puberté est à l’origine d’une faille narcissique : l’adolescent ne s’aime plus. Il n’aime pas son corps qui se transforme et qu’il a du mal à contrôler. Il n’est d’ailleurs pas rare de constater chez les adolescents un développement dysharmonieux des parties du corps qui, s’il n’est que passager, est souvent perçu comme définitif. L’adolescent se perçoit, face au miroir, dans son nouvel aspect, en ayant à faire le deuil de l’enfant qu’il était.
Mais, en plus de ces transformations, l’adolescent va devoir affronter une autre faille : celle de se séparer de ses parents, ses premiers objets d’amour, idée relativement insupportable. L’adolescence apparaît comme la résurgence du complexe d’OEdipe. Parce que la période de latence a structuré et renforcé le Surmoi de l’enfant, l’interdit de l’inceste rend la séparation nécessaire.
L’adolescent va devoir, en outre, accepter d’être comme ses parents et non plus de les posséder, idée tout aussi insupportable. Cette ambivalence est source d’un conflit intrapsychique qui l’amène souvent à avoir des comportements imprévisibles d’opposition. Mais pour construire son identité d’adulte, il doit choisir de s’opposer aux autres, les besoins du Moi l’emportant sur l’intérêt du monde extérieur. Il va petit à petit quitter ses parents en utilisant des déplacements affectifs sur des figures non familiales telles que des acteurs, des sportifs, des groupes de rock…
Cette phase est sensible car elle rend l’enfant extrêmement vulnérable et influençable. Et il n’y a qu’un pas pour passer du normal au pathologique. C’est pour cette raison que l’on parle de « crise d’adolescence ». Anna Freud désigne sous ce terme « l’indice extérieur, visible, de la mise en place des remaniements internes de la personnalité ».
Le comportement social évolue en trois phases distinctes et différentes suivant la fille ou le garçon :
- Une première phase dite d’opposition : elle survient entre 12 et 13 ans chez la fille et entre 12 et 15 ans chez le garçon. Elle commence par un effondrement des acquis moraux et sociaux (donc liés au Surmoi) de la période de latence. C’est un mouvement régressif au cours duquel l’adolescent est imprévisible, refuse, voire méprise tout ordre établi, commet des vols et des provocations… L’adolescent est à la fois dans l’incapacité de contrôler ses désirs et dans une recherche du plaisir par la transgression de l’interdit. On note également un mépris de tout ce qui représente l’ordre. C’est une phase nécessaire de prise de conscience de soi.
- Une phase d’affirmation du Moi : elle survient entre 13 et 16 ans chez la fille et entre 15 et 17 ans chez le garçon. C’est une période de revendication d’autonomie et de liberté. Nous sommes alors en plein conflit de générations. L’adolescent entre dans une phase idéalisée (voire utopique) de systèmes nouveaux et meilleurs pour la société. C’est la période de l’adolescence où on passe des heures à chatter sur Internet, à « twitter » sur son Smartphone ou discuter au téléphone. C’est une phase à la fois altruiste et égocentrique.
- Une phase d’insertion : chez la fille entre 16 et 18 ans, et chez le garçon entre 18 et 20 ans. L’identification à l’adulte trouve ses marques, se stabilise. L’adolescent qui devient adulte est moins dans une idéalisation de celui-ci, il s’ancre dans le réel en réalisant son indépendance affective et économique. Il accepte réellement et sans ambivalence de se passer de ses parents. Cette phase d’insertion est facilitée avec l’accès au travail et la relation de couple, mais peut être freinée quand la précarité ou le chômage s’installent dans la durée et peut être source de fracture sociale, voire psychique.
a. Les passages à l’acte
Le passage à l’acte doit se comprendre comme une libération provisoire du conflit intrapsychique qui, parce que devenu trop lourd pour la psyché, ne peut plus être réfléchi, pensé. En outre, s’il donne le sentiment d’avoir un contrôle sur sa propre vie (parfois en se donnant la mort), il est le reflet d’un profond mal-être, que ce soit au travers de conduites toxicomaniaques, d’actes délinquants ou suicidaires ou de troubles des conduites alimentaires.
Ces conduites peuvent s’expliquer par la difficulté à faire le deuil :
- de son corps d’enfant et, par là même, de son enfance ;
- des images parentales idéalisées ;
- de la toute-puissance.
Les signes qui laissent à penser que l’adolescent peut être dangereux pour lui-même sont les suivants :
- un fonctionnement familial perturbé ;
- des expériences émotionnelles difficiles, perte récente ou événement traumatisant ;
- des antécédents de suicide dans la famille ou le cercle d’amis ;
- quand l’adolescent s’identifie au défunt et voit en lui un modèle ;
- des difficultés d’identification sexuelle ;
- des comportements déviants tels que la délinquance ou la prostitution ;
- des problèmes de consommation de drogues, alcool, médicaments ;
- des fugues et placements répétitifs en foyer ou centre d’accueil ;
- une ou plusieurs tentatives antérieures de suicide.
Ces passages à l’acte sont heureusement rares. Toutefois, la peur n’évite pas le danger et il convient aux professionnels d’être vigilants face aux signes et symptômes afin d’être suffisamment contenants (au sens psychanalytique du terme) dans un savant et complexe dosage de bienveillance, de sécurisation et de fermeté.
b. Et après…
À la fin du processus d’adolescence, la personnalité psychoaffective des jeunes adultes se stabilise au sein d’une structure psychique particulière.
Certains stabiliseront leur organisation psychique autour de la névrose, d’autres de la psychose, d’autres entre les deux et enfin les derniers dans ce qu’on appelle des états-limites (versant névrotique ou psychotique) : il y a des névrosés normaux, des psychotiques normaux, des névrosés malades et psychotiques anormaux.
Une organisation psychique devient une maladie quand elle entraîne pour une personne une souffrance intérieure excessive. Les limitations et les restrictions, notamment dans la communication avec les autres, deviennent alors trop importantes.
2. L’ÂGE ADULTE
a. L’accès au monde du travail et à la vie sociale
Le choix d’un travail tient compte d’un compromis entre les exigences ou désirs parentaux et la satisfaction de ses idéaux. Ce choix, d’abord idéalisé, nécessite de s’adapter à la réalité du monde du travail. Le passage de la vie familiale et scolaire à la vie professionnelle est donc une étape importante et difficile.
L’accession à un emploi marque l’accession à l’indépendance financière qui entérine, selon le critère adopté par la plupart des sociologues, la fin de l’adolescence. Entrer, prendre part au monde du travail, tout comme le quitter, est lourd de sens et de symboles dans notre société.
L’identité d’un individu, la reconnaissance de sa valeur, s’appuie et repose en partie sur son inscription et sa participation au monde du travail.
Avoir un métier, pouvoir l’exercer, véhicule des images de nous-mêmes plus ou moins réelles, plus ou moins fantasmées. En tant qu’enseignant, inspecteur de police, ou moniteur éducateur, nous appartenons à un corps de métier : l’Éducation nationale, la police, les travailleurs sociaux. Nous nous identifions à ce corps de métier dans lequel nous nous reconnaissons.
Ces corps de métier sous-tendent un certain nombre de valeurs, la transmission des savoirs, la protection des concitoyens, la justice sociale… Ce sont toutes ces valeurs que nous nous attribuons et dans lesquelles nous nous reconnaissons qui donnent sens à notre profession.
Mais si le travail peut être source de plaisir, il peut aussi générer des souffrances. Toutes les organisations du travail, en raison de leurs enjeux socioéconomiques ou de pouvoir, imposent des contraintes qui donnent lieu à des conflits psychiques plus ou moins supportables pour les individus. Parfois, ces souffrances psychiques sont telles qu’elles réveillent la fragilité psychologique.
En outre, c’est le sentiment d’appartenir à un groupe qui nous reconnaît comme faisant partie des siens qui est valorisant et sécurisant. Le groupe social permet de consolider l’identité, de partager avec d’autres une communauté d’intérêts et de valeurs. L’appartenance professionnelle, l’appartenance à un groupe d’amis, à une association sont autant d’ancrages favorisant la stabilité d’une identité. L’exclusion d’un groupe est souvent vécue comme un drame plus ou moins important.
Chacun a donc besoin d’être considéré par ses proches, par ses pairs, par ses amis, par ses collègues, par sa famille. Ce besoin d’être valorisé est essentiel dès l’enfance. Si l’adulte a bénéficié de cette reconnaissance pendant l’enfance, il possède un narcissisme qui lui permet de lutter plus efficacement contre la dépression et le sentiment de dévalorisation de soi.
b. La famille
La famille a été fortement remise en cause ces dernières décennies. Les faits sociaux ont entraîné des modifications législatives qui ont considérablement modifié son statut, en limitant son pouvoir.
L’institution du mariage a également été en perte de vitesse, mais toutes les études montrent la forte attente des individus par rapport à la famille afin de lutter contre un fléau majeur : la solitude.
Pour autant, parce qu’elle ne repose désormais quasiment plus que sur la valeur affective qu’est l’amour, la famille est devenue fragile, mouvante, sujette aux crises, aux séparations et aux recompositions.
En dépit de ces fragilités, la famille reste l’une des bases de la société. Elle reste le lieu privilégié des relations affectives. Au sein de sa famille, chacun aspire à pouvoir être lui-même, se sentir reconnu et aimé pour ce qu’il est.
Les adultes qui fondent une famille sont à la fois en attente de la réussite de ces aspirations et en même temps, les responsables de l’épanouissement des petits et des grands.
Au sein de la famille, les relations sociales sont personnalisées et exercent une profonde influence sur chacun de ses membres. En cela, la famille constitue un système relationnel organisé. Elle est le creuset où s’apprennent la dépendance et l’autorité, elle permet de se constituer une identité et de se situer par rapport à l’autre. L’organisation familiale semble la plus apte à faire accéder l’individu à l’organisation psychologique oedipienne et ainsi, à la maturité et à l’équilibre.
Comme tout groupe, la famille a elle-même son identité, ses normes, ses particularités, son langage et ses valeurs. Elle a ses leaders mais aussi ses déviants qu’elle neutralise, expulse ou utilise. Chaque famille possède un fonctionnement et une logique interne propre auxquels il est difficile de renoncer. Cette logique trouve généralement son fondement et ses raisons d’être dans l’histoire transgénérationnelle.
c. Le couple
L’influence des images parentales dans le choix amoureux qui prélude à la construction du couple est grande. Au début d’une relation amoureuse, il y a l’idéalisation du partenaire. Au niveau de l’appareil psychique, on observe une certaine disparition des limites du Moi, une exaltation de l’Idéal du Moi et un affaiblissement du Surmoi.
Si le couple reste dans l’illusion, c’est la passion. Dans la passion, chacun ne s’appartient plus, le rapport à la réalité disparaît. L’autre est tel un miroir dans lequel on peut s’adorer, se sentir transfiguré.
Le temps des illusions est indispensable à la construction du couple. Puis il se transforme progressivement (parfois douloureusement) en acceptation de l’autre.
Pour durer, l’amour passion doit mourir et céder la place à l’attachement.
La construction du couple nécessite alors un travail psychique qui oblige à renoncer à l’illusion d’un amour qui satisferait tous nos désirs, pour découvrir la personne aimée dans sa réalité.
d. Le désir d’enfant
L’enfant est le désir du couple et il est aussi désiré pour lui-même. Les futurs parents désirent enrichir leurs relations affectives par cette présence nouvelle qui va combler leur manque.
Les motivations conscientes et inconscientes qui préludent au désir d’enfant sont multiples et varient selon les individus. Il peut s’agir de prouver sa fertilité, d’affirmer son statut d’adulte, de vouloir être enceinte, de faire ce que veulent les parents, de chercher à soigner une dépression ou une mésentente du couple, de remplacer un enfant perdu, etc. Le danger est que l’enfant soit programmé comme un objet de consommation pour servir de remède à une relation défaillante.
e. La fonction parentale
Freud disait que la fonction parentale est un métier impossible. Devenir parent interroge chacun au coeur de sa problématique oedipienne et de sa destinée.
La complexité de la fonction parentale renvoie à trois ordres :
- Le premier consiste à élever son enfant et renvoie à un questionnement sur notre capacité à assumer cette fonction.
- Le deuxième renvoie au désir ou au besoin d’avoir un enfant. La question inconsciente se situe ici au niveau oedipien : puis-je prendre la place de mon père/ma mère dans la chambre parentale ?
- Le troisième questionne le sens de la parentalité : que signifie être parent ?
Il interroge le parent sur le devenir de l’enfant. Cela se traduira chez l’enfant par un questionnement sur ses origines.
Dans de nombreuses cultures, cette parentalité n’est pas toujours assumée par une seule personne. Les géniteurs ne sont pas toujours ceux qui élèvent l’enfant, ni ceux que l’enfant appelle père ou mère. Que ce soit au travers de l’adoption, des placements en institution ou en famille d’accueil, des techniques de procréation artificielle, on observe dans notre société, une disjonction entre le fait d’avoir un enfant, d’élever un enfant ou d’être parent ; si cette éducation est souvent plus complexe à mener, elle n’en fait pas moins de futurs adultes pouvant s’épanouir socialement quand elle est structurée et contenante.
Éléments de bibliographie
ANZIEU D. (1985), Le Moi-peau, Paris, Dunod, 2e éd. 1995.
FREUD S. (1905), Trois Essais sur la théorie de la sexualité, Paris, Gallimard, 1989.
FREUD S. (1916), Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1989.
GOLSE B. (1989), Le Développement affectif et intellectuel de l’enfant, Paris, Masson, 3e éd. 2007.
HOUDÉ O. (2004), La Psychologie de l’enfant, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?.
LAPLANCHE J., PONTALIS J.-B. (1967), Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 3e éd. 2004.
PIAGET J., INHELDER B. (1966), La Psychologie de l’enfant, Paris, PUF, 2004.
SPITZ R. (1957), De la naissance à la parole, la première année de la vie, Paris, PUF, 1988.
THIBAUT J.-P., RODAL J.-A (1996), Psychologie de l’enfant et de l’adolescent, Paris, Labor, nouv. éd. 2000.
WINNICOTT D. W. (1975), Jeu et Réalité, l’espace potentiel, Paris, Gallimard.
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