I. Le risque à maintenir une délégation
Un principe de base doit être rappelé : l’adjoint au maire tire son titre et son rang (troisième adjoint, par exemple) de son élection par le conseil municipal. Mais cette qualité ne comporte que deux conséquences : un adjoint est, de droit, officier de police judiciaire et officier d’état civil.
Pour autant, cette qualité n’a aucun impact sur les fonctions exercées par l’adjoint, qui dépendent exclusivement des délégations confiées par le maire (chargé de l’urbanisme ou des finances, par exemple). De fait, les indemnités ne sont justifiées que par l’exercice effectif des fonctions attribuées, et non par la seule qualité d’adjoint. La délégation du maire à l’adjoint est donc un acte essentiel, qui change radicalement le statut d’un adjoint.
La délégation est également (et surtout) un acte de confiance et suppose que le délégant s’en remette au délégataire. Ce type de mandat s’analyse, en effet, comme une délégation de signature, qui n’a pas pour effet de dessaisir le délégant, lequel reste en charge de la compétence.
Plus précisément, selon l’article L.2122-18 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), le maire est « seul chargé de l’administration ». Et c’est toujours « sous sa surveillance et sa responsabilité » qu’il peut déléguer par arrêté une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints. En d’autres termes, le maire doit surveiller l’exercice des compétences déléguées aux adjoints et devra répondre (le cas échéant devant les juges) des fautes commises dans l’exercice de la délégation.
Certes, en cas d’accident, les adjoints en charge de compétences sectorielles (écoles et bâtiments ou travaux, par exemple) seraient les plus directement exposés. Mais le maire serait également mis en cause, notamment s’il a maintenu sa confiance, ou au moins sa délégation, à un adjoint qui n’exerçait pas, ou mal, sa compétence déléguée. Au-delà de l’aspect juridique, une analyse politique conduit à des résultats identiques : l’image du maire sort rarement intacte des erreurs commises par l’adjoint… Par ailleurs, si une dissension conduit à des décisions erratiques, ou si le maire pressent qu’un adjoint va commettre des erreurs, il peut s’avérer très dangereux de laisser l’imprudent, le rebelle ou l’incompétent se tromper, ce qui démontrerait certes les faiblesses propres à l’adjoint, mais engagerait aussi la responsabilité du maire.
II. Les conditions du retrait
Le retrait des délégations consenties par le maire aux adjoints est prévu par l’article L.2122-20 du CGCT (1) : « Les délégations données par le maire en application des articles L.2122-18 et L.2122-19 subsistent tant qu’elles ne sont pas rapportées. » La décision de retrait est possible à tout moment. Il s’agit d’une décision réglementaire qui ne revêt pas le caractère d’une sanction et n’a donc pas à être motivée. (2)
La nature de la décision de retrait de délégation emporte deux conséquences procédurales : le maire n’est pas tenu de solliciter les observations écrites de l’adjoint auquel la délégation est retirée (3) et il n’a pas plus à recueillir l’avis du conseil municipal (4).
A. Le droit de priorité des adjoints
Outre les adjoints, les conseillers municipaux peuvent être titulaires de délégations consenties par le maire. Toutefois, les adjoints bénéficient d’un « droit de priorité » (5).
La loi n° 2002-276 du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité, a modifié la rédaction de l’article L.2122-18, alinéa 1 du CGCT, en assouplissant les conditions auxquelles est subordonnée l’attribution de délégations de fonctions aux conseillers municipaux. En effet, si jusqu’à l’entrée en vigueur de ce texte, les conseillers municipaux ne pouvaient se voir consentir de délégations « qu’en l’absence ou en cas d’empêchement des adjoints », désormais, cette possibilité leur est également ouverte dès lors que ceux-ci sont tous titulaires d’une délégation.
Ce droit de priorité emporte des conséquences significatives sur le retrait des délégations. Le Conseil d’Etat a en effet annulé une décision de retrait des délégations consenties à un adjoint, au motif que le maire ne peut légalement prendre une telle décision que pour autant qu’aucun conseiller municipal ne se trouve alors lui-même investi d’une délégation – au surplus, au cas d’espèce, dans la même matière. (6)
On peut en déduire que le retrait des délégations consenties à un adjoint est systématiquement subordonné au retrait des délégations accordées à tous les conseillers municipaux, même si une telle interprétation limite singulièrement le pouvoir discrétionnaire dont dispose le maire en matière de délégation de fonctions. On peine à croire que ce soit ce que le législateur a entendu conférer aux nouvelles dispositions de l’article L.2122-18, alinéa 1 du CGCT.
Tel est d’ailleurs le sens d’une réponse ministérielle : « La reconnaissance explicite par le législateur de la capacité des conseillers municipaux d’exercer des délégations de fonctions au même titre que les adjoints, sous réserve que ces derniers en soient également dotés, permet de penser, sous réserve de l’appréciation des juges […] que le retrait des délégations à un adjoint ne remet pas en cause les délégations accordées aux conseillers » (7). Autrement dit, un adjoint pourrait se voir retirer les délégations de fonctions qui lui avaient été consenties par le maire, sans que cette mesure ne remette en cause les délégations attribuées aux conseillers municipaux.
Il reste qu’en l’état, la prudence conduit à retirer leurs délégations aux conseillers préalablement (ou au moins concomitamment) au retrait de la délégation consentie à un adjoint, avant d’user de la faculté offerte au conseil municipal de priver l’adjoint de sa qualité. Une fois l’ancien adjoint « déchu », les conseillers délégués pourront de nouveau recevoir des délégations, tous les adjoints en titre étant pourvus.
B. Le retrait : une décision discrétionnaire
La décision de retrait d’une délégation est guidée par une seule considération : l’absence de représentation fidèle du déléguant par le délégué. Pour apprécier si le délégué le représente fidèlement, le maire dispose d’un pouvoir discrétionnaire, qui n’a de limite que celle posée par le juge, selon une formule constamment répétée : il appartient au maire de mettre fin à tout moment aux délégations qu’il a consenties, sous réserve que sa décision ne soit pas « inspirée par des motifs étrangers à la bonne marche de l’administration municipale » (8).
Le caractère discrétionnaire du pouvoir conféré au maire implique que le juge administratif ne se livre qu’à un contrôle restreint sur les décisions portant retrait des délégations.
Il n’appartient pas au juge de rechercher si une « faute » a été commise par l’adjoint ou si « son comportement a contrarié le bon fonctionnement du service » (9). En somme, les juridictions n’ont pas pour mission d’« arbitrer » le différend, ainsi que le souhaitent trop souvent les adjoints requérants. L’office du juge n’est pas de déterminer qui, de l’adjoint ou du maire, a eu tort ou raison, ni qui des deux a retenu les bonnes options. Il se borne à vérifier que la décision n’est pas inspirée par des « motifs étrangers à la bonne marche de l’administration communale » et que le maire ne s’est pas fondé sur des faits matériellement inexacts (absence, prise de position, décision, par exemple).
L’étendue restreinte du contrôle juridictionnel explique la rareté des exemples d’annulation de décisions de retrait de délégations consenties à un adjoint, le juge administratif préférant manifestement faire un usage prudent et modéré de cette faculté de censure (10).
Toutefois, la jurisprudence révèle quelques exemples de retraits de délégation annulés, car inspirés exclusivement par des motifs jugés étrangers à la bonne marche de l’administration communale. Il en est ainsi, notamment, lorsque la décision est motivée par une querelle personnelle ou un arbitrage partisan. Un exemple particulièrement intéressant est fourni par un arrêt du 20 mai 1994, dans lequel la Haute juridiction a tenu pour étrangère à la bonne marche de l’administration municipale la volonté d’assurer une répartition des adjoints plus représentative des « courants » en présence au niveau national au sein du parti majoritaire (11).
A l’inverse, la condition de légalité est considérée comme remplie dès lors que surviennent des dissensions entre le maire et l’adjoint. Il en va ainsi lorsque le différend touche à un point essentiel de la gestion communale : le vote du budget (12), la gestion du personnel ou celle de la dette, les grandes options d’aménagement (13) ou les modes de gestion des services publics.
Ainsi, dans une espèce où un adjoint au maire avait dénoncé comme « suspect et illégal », puis voté contre le nouveau mode de gestion d’un équipement public important, le Conseil d’Etat a jugé le retrait de délégation justifié, en constatant les « sérieuses dissensions, portant sur des projets importants de la municipalité » qui avaient, « à plusieurs reprises, opposé » l’adjoint délégué à l’action sociale et le maire (14).
Le retrait de délégation a également été considéré comme légal lorsque le désaccord existant entre le maire et l’adjoint a été publiquement et plusieurs fois exprimé (15). De même, dans le cas de mauvaises relations établies entre le maire et l’adjoint après que celui-ci a pris publiquement position en faveur d’un candidat opposé au maire lors d’élections cantonales, et ce « compte tenu des répercussions de ce différend sur la gestion de la commune » (16).
On relèvera qu’il n’est pas nécessaire que les dissensions soient de notoriété publique. En effet, l’existence de mauvaises relations entre le maire et son délégataire suffit, à elle seule, à justifier le retrait des délégations consenties à ce dernier, dès lors que ce différend est de nature à porter atteinte à la bonne marche de l’administration (17).
En somme, la rivalité politique entre un maire et les adjoints sortants n’est pas, par elle-même, un motif de retrait : au contraire, un arrêté de retrait fondé exclusivement sur ce mobile serait probablement censuré, car étranger à la bonne marche de l’administration communale. En revanche, si cette rivalité se traduit par des dissensions dans la gestion communale, par des votes divergents, voire par des prises de position publiques contradictoires, le retrait de délégation sera régulier s’il se fonde, précisément, sur les effets de la rivalité et non sur son principe.
La nuance est parfois subtile ; elle supposera en tout cas de réunir des éléments de preuve matériels convaincants (témoignages, comptes rendus de séance, correspondances…).
III. Les effets du retrait de délégation
Le retrait des délégations consenties par le maire à un adjoint emporte plusieurs conséquences, sur le mandat de l’élu ainsi que sur son statut.
A. Les conséquences sur le mandat de l’adjoint
L’article L.2122-18 du Code général des collectivités territoriales comporte, depuis 2004, un troisième alinéa très important : « Lorsque le maire a retiré les délégations qu’il avait données à un adjoint, le conseil municipal doit se prononcer sur le maintien de celui-ci dans ses fonctions. »
Cette disposition fait échec à la solution antérieure selon laquelle le retrait d’une délégation n’avait pas pour effet de faire perdre à l’élu concerné sa qualité d’adjoint (18). Dorénavant, le retrait de délégation par le maire entraîne donc une seconde décision, le conseil municipal devant délibérer sur le maintien dans ses fonctions de l’adjoint privé de délégation.
La question de la nature du contentieux des délibérations se prononçant sur le maintien en fonction des adjoints privés de délégations n’est pas encore tranchée.
En effet, si plusieurs tribunaux administratifs ont statué sur la légalité de telles délibérations en qualité de juges de l’excès de pouvoir (19), le tribunal administratif de Rouen s’est prononcé en faveur du caractère électoral de la délibération portant sur le maintien d’un adjoint dans ses fonctions (20). L’enjeu pratique est important, puisque la nature du recours détermine le régime de la recevabilité des recours dirigés contre les délibérations en cause : délai de recours, intérêt pour agir, griefs nouveaux, etc. Dans l’attente de l’intervention du Conseil d’Etat, qui tranchera la question, la prudence recommande évidemment de tenir le contentieux pour électoral et de respecter en conséquence les règles strictes qui en découlent (délai de recours de cinq jours, notamment)
B. Les conséquences sur le statut de l’adjoint
Les fonctions d’adjoint sont en principe gratuites, à l’instar de celles de maire et de conseiller. Seuls les adjoints titulaires de délégations consenties par le maire peuvent percevoir des indemnités de fonction. En conséquence, l’adjoint dont la délégation a pris fin ne peut plus prétendre au versement d’une indemnité, la seule qualité d’officier d’état civil et d’officier de police judiciaire, ou la participation aux travaux d’une commission municipale ne pouvant justifier l’octroi d’une indemnité de fonction (21).
Un sort particulier a cependant été réservé aux adjoints des communes de 20 000 habitants au moins ayant interrompu toute activité professionnelle pour exercer leur mandat et qui n’ont pas retrouvé d’activité professionnelle après le retrait de la délégation de fonctions. Afin de ne pas pénaliser excessivement ceux qui ont fait le choix de s’investir pleinement dans la politique locale, au détriment de leur vie professionnelle, une courte période de transition a été prévue. Selon l’article L.2123-24 V du Code général des collectivités territoriales, en effet, la commune continue de verser pendant trois mois au maximum, l’indemnité de fonction que percevait l’adjoint avant le retrait de la délégation.
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Ancien article L.122-11 du Code des communes Retour au texte
Note 02 CE 11 avril 1973, « Nemoz », Rec. p. 293 et, postérieurement à la loi du 11 juillet 1979 , CE 11 octobre 1991, req. n° 92741 Retour au texte
Note 03 CE 29 juin 1990, req. n° 86148 Retour au texte
Note 04 CE 4 juin 1997, req. n° 170749 Retour au texte
Note 05 CE 2 février 1951, « Préfet de la Marne », Rec. p. 60 Retour au texte
Note 06 CAA Paris 25 juillet 2005, req. n° 03PA04790 Retour au texte
Note 07 Rép. min. JO Sénat 17 avril 2003, p. 1348 Retour au texte
Note 08 CE 11 juin 1993, req. n° 105066 Retour au texte
Note 09 CE 24 mars 1976, req. n° 97163 Retour au texte
Note 10 CAA Paris 7 août 2002, req. n° 98PA01545 ; pour un jugement totalement atypique, TA Melun 23 octobre 2003, req. n° 024134, annulé par CAA Paris, 27 juillet 2005, req. n° 03PA04790 Retour au texte
Note 11 CE 20 mai 1994, req. n° 126958 Retour au texte
Note 12 CE 1 octobre 1993, req. n° 128485 Retour au texte
Note 13 Cas d’un projet d’aménagement où le maire a été mis en minorité du fait de l’opposition d’une partie de ses adjoints : CE 29 juillet 1994, req. n° 118838 Retour au texte
Note 14 CE 20 mars 1996, req. n° 137847 Retour au texte
Note 15 Cas d’un adjoint directeur d’un journal dans lequel son épouse a mis gravement en cause, en des termes vifs, la politique suivie par le maire dans les matières déléguées à cet adjoint : CE 29 juin 1990, req. n° 86148 Retour au texte
Note 16 CE 25 octobre 1996, req. n° 170151 Retour au texte
Note 17 CE 11 juin 1993, req. n° 105066 ; désaccord manifesté lors du vote d’une délibération relative à la suppression d’un emploi : CE 11 octobre 1996, req. n° 147593 Retour au texte
Note 18 CE 4 mars 1991, req. n° 104701 Retour au texte
Note 19 TA Melun 30 décembre 2004, req. n° 046920 Retour au texte
Note 20 TA Rouen 21 décembre 2005, req. n° 0500705 Retour au texte