La Charte européenne de l’autonomie locale est un texte européen auquel souscrivent les 47 États membres du Conseil de l’Europe ; la France l’a signé dès 1985, mais ne l’a ratifié qu’en 2007. C’est dire si le premier rapport d’application, qui sera examiné le 24 mars à Strasbourg, quelques mois après l’entrée en vigueur des lois de réforme territoriale est attendu.
La consultation des collectivités, au fondement de la démocratie
La principale violation relevée par les rapporteurs, Jacob Wienen (Pays-Bas, parti populaire européen) et Gudrun Mosler-Törnstörm (Autriche, socialiste), porte sur le défaut de consultation des collectivités locales dans le processus de réforme territoriale. « L’article 5 de la Charte porte sur un domaine spécifique de la consultation (les modifications des limites territoriales), tandis que l’article 6 établit le droit général à la consultation, » exposent les rapporteurs.
Article 5 – Protection des limites territoriales des collectivités locales
Pour toute modification des limites territoriales locales, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement, éventuellement par voie de référendum là où la loi le permet.
Le sixième paragraphe de l’article 4 énonce un droit général des collectivités locales à être consultées, entendu comme un « principe fondamental de la pratique juridique et démocratique européenne ».
Article 4 – Portée de l’autonomie locale
6. Les collectivités locales doivent être consultées, autant qu’il est possible, en temps utile et de façon appropriée, au cours des processus de planification et de décision pour toutes les questions qui les concernent directement.
Colère des responsables politiques locaux en Champagne et Alsace
Au cours des mois passés, le Conseil de l’Europe, dont le siège est à Strasbourg, a reçu de nombreuses plaintes émanant notamment d’Alsace. Cet automne, trois associations politiques ainsi que Daniel Hoeffel, ancien ministre et ancien président de l’AMF et le juriste Robert Hertzog avaient d’ailleurs déposé plusieurs recours devant le Conseil d’Etat.
Le rapport de J. Wiennen et G. Mosler-Törnstörm critique la façon dont le gouvernement français a mené sa réforme :
La pratique selon laquelle le pouvoir central consulte uniquement les associations nationales de pouvoirs locaux/régionaux lors d’une restructuration de l’ensemble du système d’administration locale, ou lors d’une fusion de plusieurs collectivités locales/régionales en entités plus vastes, n’est pas conforme aux exigences de la Charte. […]
Le choix du gouvernement d’une « procédure accélérée » (également controversée) pour l’examen de la loi par les deux chambres montre qu’il s’attendait à ce que ce thème – en particulier les limites territoriales des régions – suscite un vaste débat, ce qui a en effet été le cas. […]
L’intensité des convictions qui se sont exprimées à l’Assemblée nationale et au Sénat sur la question de la modification des limites territoriales des régions s’est également reflétée au niveau des citoyens et de leurs associations et elle a inspiré les questions des rapporteurs lors de la visite de monitoring. […]
Lors de certaines rencontres des rapporteurs avec des responsables politiques régionaux et locaux français, de vives critiques ont été exprimées concernant l’absence de consultation préalable, tandis que lors de la visite dans la région de Champagne-Ardenne, il est apparu clairement que le projet de fusion avec l’Alsace suscitait la colère des responsables politiques locaux et régionaux champenois. Cela étant, la loi sur les régions, adoptée par le Parlement le 16 janvier 2015, suit son cours, et aucun référendum ne sera organisé sur cette question, comme certains opposants l’ont proposé.
Ses commentaires sont également d’ordre général :
Lorsque la modification des limites territoriales ou du statut administratif d’une collectivité se fait contre la volonté d’une majorité écrasante de la population locale, non seulement la collectivité concernée mais aussi sa population peuvent aisément perdre leur confiance vis-à-vis des institutions et processus démocratiques.
Subtiles subtilités juridiques
Le raisonnement des rapporteurs ne manque pas de subtilité quand il aborde l’aspect non contraignant du résultat d’une (im)possible consultation :
Les résultats de la consultation ne sont pas contraignants pour les instances décisionnelles, mais il est important de garantir la transparence et la légitimité procédurale (dite « de traitement ») des décisions sur les choix territoriaux, surtout lorsqu’une part importante de la population locale/régionale désapprouve la modification des limites territoriales.
La subtilité est toujours au rendez-vous dans le rejet de la saisine parlementaire du Conseil constitutionnel (décision 2014-709 du 15 janvier 2015) pour annuler les modifications de la carte des région dans la loi Maptam :
Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi en application de l’article 61 de la Constitution, d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international.
« Le Conseil constitutionnel a confirmé une jurisprudence constante » observent les rapporteurs du Conseil de l’Europe. A propos du rejet des recours en Conseil d’Etat en octobre 2015 (décisions 393026 et suivantes), les rapporteurs observent que les juges « ont considéré que le Parlement, en tant que législateur, pouvait lever cette obligation de consultation préalable au cas par cas » et qu’ils « ont accepté uniquement d’examiner les dispositions de la loi à la lumière des engagements de la France et non d’examiner la procédure d’adoption de la loi à la lumière de ces mêmes engagements ».
Un rapport sans suite ?
« La violation de l’article 5 de la Charte est tellement flagrante que sa constatation par les rapporteurs ne faisait pas de doute, commente Jean-Marie Woehrling, ancien membre du groupe d’experts indépendants sur la Charte de l’autonomie locale. La question était de savoir quelle conséquence ils allaient en tirer. En se bornant à demander à la France de corriger sa législation pour l’avenir, les rapporteurs adoptent une solution minimaliste. »
« Quel est le statut d’un traité international si les hautes cours ne veulent pas l’appliquer ? » s’interroge-t-on encore du côté du Conseil de l’Europe. Trouver les mots justes sera délicat si Estelle Grelier, secrétaire d’Etat chargée des collectivités territoriales (dont la présence reste à confirmer selon l’ordre du jour de la session) souhaite répondre.