Recul des recettes et hausse des dĂ©penses : ce scĂ©nario menace l’Ă©quilibre Ă©conomique des services d’eau et d’assainissement. Les rentrĂ©es pâtissent de la chute des consommations, observĂ©e dans les grandes villes d’Europe.
A Paris, la baisse entre 1991 et 2010 est de 25 %  (pour atteindre 87 mètres cubes par an et par habitant). A Toulon, les volumes distribuĂ©s ont diminuĂ© de 12,8 % de 2004 Ă 2009, malgrĂ© l’Ă©volution dĂ©mographique. Quand la raretĂ© de la ressource se combine avec la hausse de la population, les services peuvent ĂŞtre avantagĂ©s par le recul de la consommation qui permet de continuer Ă rĂ©pondre Ă la demande de nouveaux abonnĂ©s, rappelle Guillem Canneva, responsable du laboratoire gestion de l’eau et de l’assainissement Ă l’Engref de Montpellier.
Mais Ă Paris ou Berlin, cela pose des problèmes techniques et sanitaires redoutables : rĂ©seaux surdimensionnĂ©s, risque de vieillissement prĂ©maturĂ©, dĂ©gradation de la qualitĂ© de l’eau distribuĂ©e du fait du long temps de sĂ©jour dans les canalisations, etc.Â
Charges croissantes
La viabilitĂ© du système de financement de services, dont 80 % des coĂ»ts sont fixes, est mise en cause. Car l’amortissement des investissements et les dĂ©penses d’exploitation sont incompressibles, quels que soient les volumes consommĂ©s. Dans un contexte de hausse des charges, la question d’une rĂ©forme du financement des services d’eau et d’assainissement se pose avec une acuitĂ© croissante, met en garde Jean-François Le grand, prĂ©sident du Cercle français de l’eau.
Depuis une dizaine d’annĂ©es, les normes sanitaires et environnementales entraĂ®nent une hausse des charges vertigineuse : mise en conformitĂ© des stations d’Ă©puration, traitements plus poussĂ©s face Ă la dĂ©gradation de la qualitĂ© de l’eau brute, suppression des branchements en plomb, etc.
En 2014, le relèvement du dĂ©bit rĂ©servĂ© imposera de laisser de 4 Ă 20 fois plus d’eau dans les rivières, ce qui obligera certains services Ă aller chercher des ressources ailleurs, avec des coĂ»ts non nĂ©gligeables, souligne Michel Desmars, chef du service de l’eau Ă la FĂ©dĂ©ration nationale des collectivitĂ©s concĂ©dantes et rĂ©gies. Si les stations d’Ă©puration devaient demain traiter les substances dangereuses, le coĂ»t de l’assainissement grimperait de 50 %.
Face Ă ces deux tendances incompatibles, les collectivitĂ©s n’ont que très peu de marge de manĹ“uvre, sinon diffĂ©rer certains investissements pour Ă©viter une explosion du prix de l’eau, ou obtenir une baisse de prix dans le cadre de la renĂ©gociation ou du renouvellement d’un contrat de dĂ©lĂ©gation de service public.
Partie fixe plafonnée
La baisse des consommations, combinĂ©e au problème du renouvellement, fait peser de graves risques sur les services, alerte Sylvain Rotillon, chef de projet services publics d’eau et d’assainissement Ă l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema) (1).
La loi sur l’eau de 2006 empĂŞche une structure tarifaire plus conforme Ă la rĂ©alitĂ© Ă©conomique des services puisque, Ă la demande des reprĂ©sentants des consommateurs, la part fixe est dĂ©sormais plafonnĂ©e Ă 30 % (contre 50 % auparavant). Un sujet sur lequel il faudra « sans doute reprendre la rĂ©flexion, en trouvant des mĂ©canismes amortisseurs pour les mĂ©nages les plus dĂ©munis », estime Marc Reneaume, prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration professionnelle des entreprises de l’eau.
L’exercice se heurtera aux difficultĂ©s d’acceptabilitĂ© sociale du prix de l’eau. Mais l’Ă©luder reviendrait Ă reporter des charges colossales sur les futurs usagers des services. La question de l’Ă©quilibre budgĂ©taire amène aussi Ă s’interroger sur le contour des services d’eau et d’assainissement. Les collectivitĂ©s sont rĂ©gulièrement sollicitĂ©es pour prendre en charge de nouvelles missions en amont et en aval de la gestion de l’eau et de l’assainissement (2). Et ces missions « annexes » sont parfois financĂ©es par la facture des usagers du service.
Ainsi, malgrĂ© des règles comptables claires sur les eaux pluviales (imputation sur le budget gĂ©nĂ©ral), de nombreuses collectivitĂ©s n’arrivent Ă financer la gestion de ces flux qu’en en faisant peser la charge, pour une part au moins, sur le budget assainissement. Inversement, la rĂ©utilisation de l’eau de pluie soulève le problème du manque Ă gagner pour les services d’assainissement : ces eaux, qui ne peuvent ĂŞtre comptabilisĂ©es lors de leur prĂ©lèvement pour consommation, ne sont donc pas quantifiĂ©es et facturĂ©es lorsqu’elles rejoignent le rĂ©seau.
Nouveaux modèles
Tous ces problèmes ne pourront ĂŞtre rĂ©solus sans redĂ©finir les limites du principe, selon lequel « l’eau paye l’eau » et sans remise Ă plat de la structure tarifaire, des règles juridiques, comptables, voire fiscales en vigueur, des conditions de rĂ©munĂ©ration du dĂ©lĂ©gataire, etc. Il faudra inventer de nouveaux modèles, viables Ă©conomiquement, Ă©quitables et intĂ©grant une tarification sociale.
Une diminution ininterrompue
La consommation d’eau a reculĂ© dans toutes les grandes villes europĂ©ennes, en lien avec la transformation du tissu Ă©conomique et une consommation mieux maĂ®trisĂ©e des immeubles collectifs et des services publics. « A Berlin, la consommation est aujourd’hui de 56 m 3 /an/hab, contre 65 m 3 en 2001. On pensait qu’il y aurait un seuil plancher autour de 60 m 3 , mais cela n’a pas Ă©tĂ© le cas et personne ne peut dire si la consommation va continuer Ă descendre. Paris connaĂ®t une tendance comparable », analyse Bruno Maresca, responsable du dĂ©partement Ă©valuation des politiques publiques du Centre de recherche pour l’Ă©tude et l’observation des conditions de vie.
Avis d’expert
Jean Gaubert, dĂ©putĂ© des CĂ´tes-d’Armor, coprĂ©sident du Cercle français de l’eau
« Il faut redĂ©finir ce qui relève de l’impĂ´t et de la facture »
La remise Ă plat des principes de financement est compliquĂ©e, car il faut concilier logique Ă©conomique et acceptabilitĂ© sociale. Je suis toujours surpris de voir des associations de consommateurs militer pour la suppression de la part fixe, alors que c’est le moyen le moins inĂ©quitable de faire payer les infrastructures nĂ©cessaires Ă tous. Les gens disposant d’un puits ou les propriĂ©taires de maisons secondaires pèsent autant que les autres sur les charges d’investissement et d’exploitation : s’ils payent peu car ils consomment peu, cela revient Ă faire payer plus aux autres. L’usager doit payer pour le service rendu, de manière juste et transparente. Mais il faudra redĂ©finir ce qui doit relever de l’impĂ´t et de la facture d’eau, car celle-ci n’a pas Ă financer l’ensemble des dĂ©penses liĂ©es Ă la politique de l’eau.
Notes
Note 01 L'Onema a apporté une contribution au rapport du Conseil d'Etat "Le droit et l'eau" Retour au texte
Note 02 Déjà , les missions assignées aux services d'eau et d'assainissement ne se limitent plus à assurer l'alimentation en eau potable et à maîtriser les rejets. Avec la directive-cadre sur l'eau et le Grenelle de l'environnement, les exigences pesant sur les collectivités se renforcent et une partie de ces nouvelles missions est assurée par les services d'eau et d'assainissement. On peut citer la protection de la ressource, des zones humides, de la biodiversité, la gestion des eaux pluviales, la qualité des eaux de baignade, la coopération avec les pays en développement ou encore l'obligation de contrôler les citernes de récupération d'eau de pluie. Retour au texte








