Pour faire face à la multiplication des recours abusifs formés à l’encontre des autorisations d’occuper le sol, qui ont pour effet de ralentir, voire d’empêcher la construction de logements, l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme devrait modifier en profondeur ce contentieux déjà complexe. En principe, les nouvelles règles de procédure sont d’application immédiate aux instances en cours, alors que les règles restreignant le droit au recours et affectant la substance même de ce droit ne peuvent pas s’appliquer aux recours introduits avant leur entrée en vigueur. Ce principe avait encore été rappelé par le Conseil d’Etat pour l’applicabilité du nouvel article L.600-1-1 du code de l’urbanisme, qui restreignait la possibilité pour une association de former un recours contre une autorisation de construire (1).
Si le principe semble d’une interprétation aisée, il est toutefois apprécié de manière nuancée par les différentes juridictions qui ont dû récemment se prononcer sur l’application dans le temps de certaines dispositions issues de l’ordonnance du 18 juillet 2013. Plus spécifiquement, l’applicabilité des dispositions relatives à la nouvelle définition de l’intérêt à agir, ainsi que de celles concernant la possibilité d’introduire des conclusions reconventionnelles appelle une attention particulière.
Nouvelle appréciation de l’intérêt à agir
La première mesure pour laquelle la question de l’application dans le temps se pose concerne les nouveaux articles L.600-1-2 et L.600-1-3 du code de l’urbanisme, relatifs à la recevabilité de la requête formée à l’encontre d’un permis de construire, un permis d’aménager ou un permis de démolir. Ces articles redéfinissent non seulement l’intérêt à agir des personnes privées, autres que les associations, qui contestent un permis de construire, de démolir ou d’aménager, mais également la date d’appréciation de cet intérêt, lequel est désormais examiné « à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ». Ainsi, la recevabilité de la requête présentée par l’une de ces personnes est conditionnée par la démonstration du requérant de ce que « la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L.261-15 du Code de la construction et de l’habitation ».
Ces nouvelles dispositions affectent bien la substance même du droit de former un recours, puisqu’elles délimitent très précisément l’intérêt à agir des requérants en le restreignant quelque peu. Ainsi, en vertu du principe énoncé préalablement, cette nouvelle définition de l’intérêt à agir ne devrait pas pouvoir être appliquée aux contentieux initiés avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 juillet dernier. Il est vrai que certaines juridictions du fond ont eu un raisonnement inverse en appliquant ces dispositions à des contentieux pourtant en cours (2). Néanmoins, notamment dans l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon, c’est pour considérer que le requérant avait bien intérêt à agir que le juge applique le nouvel article L.600-2, et non pour le rejeter.
Cette utilisation apparaît ainsi moins problématique. Il n’en reste pas moins que, dès lors qu’elles peuvent au contraire permettre de qualifier d’irrecevables des requêtes qui ne l’auraient pas été avant leur entrée en vigueur, ces dispositions doivent, afin de garantir le principe de sécurité juridique, être regardées comme affectant le droit de former un recours et, par conséquent, voir leur application réservée aux contentieux initiés après leur entrée en vigueur. Plusieurs jugements ont confirmé cette analyse (3). C’est également l’avis exprimé en dernier lieu par la cour administrative d’appel de Lyon, laquelle a ainsi modifié de manière pertinente sa position initiale (4). Dans un arrêt du 9 avril 2014 (5), le Conseil d’Etat semble avoir mis un terme au débat en rappelant que l’intérêt à agir des requérants contre une autorisation d’urbanisme s’analyse compte tenu des règles en vigueur à la date d’introduction de leur demande devant le tribunal administratif.
Condamnation au paiement de dommages et intérêts
La difficulté se pose également pour une autre mesure symbolique ressortant de l’ordonnance du 18 juillet dernier, concernant plus particulièrement la sanction des recours « excédant la défense des intérêts légitimes du requérant ». Précisément, jusqu’à l’entrée en vigueur de ladite ordonnance, le juge administratif de l’excès de pouvoir rejetait systématiquement comme irrecevables les conclusions reconventionnelles à caractère indemnitaire : « En raison de la nature particulière du recours pour excès de pouvoir des conclusions reconventionnelles tendant à ce que le demandeur soit condamné à payer à une personne mise en cause des dommages-intérêts pour procédure abusive ne peuvent être utilement présentées dans une instance en annulation pour excès de pouvoir » (6). Ce principe contraignait ainsi le pétitionnaire qui souhaitait citer le requérant pour procédure abusive à former un nouveau recours devant le juge judiciaire, seul compétent pour que la responsabilité civile du requérant soit engagée (7).
Le nouvel article L.600-7 du code de l’urbanisme issu de l’ordonnance du 18 juillet 2013 modifie ce point de procédure en prévoyant que le bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme pourra désormais demander au juge administratif saisi d’un recours en annulation à son encontre de condamner le requérant au paiement de dommages et intérêts lorsque le droit de former ce recours « est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant » et lui « causent un préjudice excessif ». Cette demande devra être présentée par un mémoire distinct et il est précisé qu’elle pourra l’être pour la première fois en appel. La question se pose néanmoins de l’application de ces nouvelles dispositions aux instances en cours. L’article L.600-7 du code de l’urbanisme concernant une règle de procédure, sa mise en œuvre devrait pouvoir être sollicitée par les promoteurs dont les permis sont contestés dans les instances initiées avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance. Le fait que cette demande puisse être formulée pour la première fois en appel renforce cette position.
Toutefois, par un jugement du 15 octobre 2013, le tribunal administratif de Strasbourg (8) a rejeté les conclusions reconventionnelles qui avaient été formulées devant lui, en appliquant le principe selon lequel les règles affectant « la substance du droit de former un recours » ne sont applicables, sauf dispositions expresses contraires, qu’aux recours formés contre les décisions intervenues après leur entrée en vigueur. Les conclusions du rapporteur public sur ce jugement ne permettent pas d’en savoir plus, car c’est de manière extrêmement lapidaire qu’il soutient que les dispositions de l’article L.600-7 affectent la substance du droit de former un recours. En l’occurrence, la solution retenue par le tribunal administratif de Strasbourg apparaît contestable dans la mesure où, contrairement à l’article L.600-1-1 susmentionné du code de l’urbanisme qui restreignait véritablement la qualité pour agir d’une association, le nouvel article L.600-7 ne limite nullement les conditions de l’action en justice. Il permet, si certaines conditions sont remplies, que le requérant ayant excédé par son recours la défense de ses intérêts légitimes puisse être condamné à verser des dommages et intérêts, ce qui était déjà possible puisque le pétitionnaire pouvait saisir le juge judiciaire d’une telle action.
Les requérants étaient donc déjà conscients d’un tel risque, ou se devaient de l’être. Face à l’application dans le temps de ces nouveaux principes, pourtant créés pour permettre une accélération des procédures relatives aux autorisations d’urbanisme, les juridictions administratives apparaissent quelque peu perdues. Il apparaît donc primordial que le Conseil d’Etat intervienne rapidement pour affirmer les principes que pourront ensuite appliquer avec plus de sérénité les juridictions du fond. Il conviendra ainsi de rester très attentif aux prochaines décisions qui seront rendues en la matière, en espérant que le Conseil d’Etat puisse trancher rapidement la question de leur application dans le temps. C’est d’ailleurs la position qu’a retenue le tribunal administratif de Dijon (9) et qui ne peut qu’être approuvée.
Références
Ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l'urbanisme, JO du 19 juillet 2013.
Thèmes abordés
Notes
Note 01 CE, 11 juill. 2008, « Assoc. amis des paysages Bourganiauds », req. n° 313386. Retour au texte
Note 02 TA de Toulon, 26 sept. 2013, req. n° 1101385. Retour au texte
Note 03 TA de Rennes, ord. 12 sept. 2013, n° 1303007. Retour au texte
Note 04 CAA de Lyon, 4 févr. 2014, req. n° 13LY01727. Retour au texte
Note 05 CE, 9 avr. 2014, « Cne de Saint-Martin-le-Vinoux », req. n° 338363. Retour au texte
Note 06 CE, 24 nov. 1967, « Noble », req. n° 66271. Retour au texte
Note 07 Voir sur ce point, par exemple : Cass., 9 mai 2012, n° 11-13597. Retour au texte
Note 08 TA de Strasbourg, 15 oct. 2013, n° 1003775. Retour au texte
Note 09 TA de Dijon, 10 oct. 2013, n° 1201224. Retour au texte