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Les perspectives d’Ă©volution de cette politique publique

Publié le 06/06/2011 • Par Dunod Éditions • dans : Fiches de révision

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Dès la promulgation de la loi du 5 mars 2007, la plupart des observateurs et des professionnels de la protection de l’enfance ont bien pris soin de souligner que mĂŞme si cette loi reprĂ©sente une avancĂ©e considĂ©rable, il ne s’agit que d’une Ă©tape.

Cette conviction est partagĂ©e y compris parmi les acteurs qui ont Ă©tĂ© Ă  l’origine de la mise en marche du processus lĂ©gislatif. Tel est par exemple le cas de Claude RomĂ©o, directeur Enfance et Famille du conseil gĂ©nĂ©ral de Seine-Saint-Denis et instigateur avec Jean-Pierre Rosenczveig, de l’Appel des cent. Claude RomĂ©o a ainsi choisi d’intituler l’article conclusif de l’ouvrage collectif RĂ©forme de la protection de l’enfance : Du droit aux pratiques : « Poursuivre le dĂ©bat par une loi d’orientation sur l’enfance Â».

S’appuyant notamment sur les observations de la DĂ©fenseure des enfants de l’époque Claire Brisset, Claude RomĂ©o appelle Ă  la rĂ©flexion en faveur d’une « loi d’orientation sur le bien-ĂŞtre de l’enfance Â». L’élaboration d’une telle loi devrait selon lui se fonder sur un diagnostic objectif et sans concession de la place que la sociĂ©tĂ© française rĂ©serve Ă  l’enfant, et ce Ă  tous points de vue : manque de places en crèches et en haltesgarderies, impact du mal logement (qui concerne 3 millions d’enfants), lacunes de la politique d’éducation Ă  l’égard des enfants handicapĂ©s, nombre Ă©levĂ© de tentatives de suicide et de suicides effectifs parmi les adolescents, accroissement de la pauvretĂ© (en particulier dans les familles monoparentales)… Quant au but d’une telle loi, il serait de garantir l’application effective des droits de l’enfant, en particulier de l’article 3 de la Convention internationale sur les droits des enfants, qui plaide en faveur de la prise en compte en toutes circonstances de « l’intĂ©rĂŞt supĂ©rieur de l’enfant Â».

RĂ©digĂ© par une Ă©quipe d’auteurs ayant directement participĂ© Ă  l’élaboration du projet de loi de rĂ©forme de la protection de l’enfance, l’ouvrage La rĂ©forme de la protection de l’enfance se conclut Ă©galement par un article qui pose un enjeu social et politique fort pour ces prochaines annĂ©es :« Utiliser la loi du 5 mars 2007 rĂ©formant la protection de l’enfance pour qu’une nouvelle dynamique s’instaure(1). Â»

Ces réflexions prennent place dans un contexte marqué par une forte incertitude. La remise en cause du rôle de l’État dans le champ de l’action sociale (et en particulier dans celui de la protection de l’enfance), la séduction exercée en France par certains dispositifs étrangers de protection de l’enfance, invitent à poser pour finir les questions suivantes : quelle protection de l’enfance demain ? Quelles sont les réformes en cours de discussion et qui seront peut-être mises en oeuvre dans les prochaines années ?

1. UN CONTEXTE INCERTAIN

a. La remise en cause du rôle de l’État dans le champ de l’action sociale

Même si ses effets ont été moins marquants en France que dans les pays anglo-saxons, le tournant néo-libéral entamé dans les années 1980 a débouché sur un reflux des interventions de l’État dans le champ économique (privatisations, déréglementation, etc.), mais aussi dans le champ de l’action sociale.

Le principe fondamental des rĂ©formes d’inspiration libĂ©rale entreprises dans les 20 dernières annĂ©es est le suivant : il y a de nombreux domaines dans lesquels l’État ne doit pas agir lui-mĂŞme et dans lesquels il doit simplement dĂ©finir les grands objectifs Ă  atteindre, en confier l’exĂ©cution Ă  d’autres acteurs (collectivitĂ©s territoriales, agences, groupements d’intĂ©rĂŞt public, fondations, voire entreprises privĂ©es), et exercer un rĂ´le de contrĂ´le et d’inspection sur la façon dont interviennent ces acteurs. ConformĂ©ment Ă  un slogan en vogue en Grande-Bretagne au cours des annĂ©es 1990, l’État doit « dĂ©cider, mais pas ramer Â» (« steering, not rowing Â»)(2).

La décentralisation de la protection de l’enfance engagée en 1983 correspond à ce choix idéologique, de même que la loi du 5 mars 2007 désignant le conseil général comme le chef de file de la protection de l’enfance. On peut alors se poser la question : que reste-t-il à l’État dans le champ de la protection de l’enfance ?

b. La séduction exercée en France par plusieurs dispositifs de protection de l’enfance étrangers

Les rĂ©flexions sur l’avenir du dispositif français de protection de l’enfance sont de plus en plus irriguĂ©es par l’analyse des dispositifs Ă©trangers, enparticulier en Europe (la Belgique, le Danemark, l’Allemagne…), mais aussi au Canada. En attestent plusieurs constats :

  •  Le souci de resituer le dispositif français au regard des dispositifs Ă©trangers apparaĂ®t dĂ©sormais comme une sorte de figure imposĂ©e dans tout colloque national sur la protection de l’enfance. Une sĂ©ance plĂ©nière y a par exemple Ă©tĂ© consacrĂ©e lors des ateliers nationaux de la protection de l’enfance organisĂ©s en mars 2007 Ă  Besançon par le conseil gĂ©nĂ©ral du Doubs en partenariat avec le club ASE et l’ONED (« Des organisations de la protection de l’enfance diversifiĂ©es en Europe Â»). 
  •  Plus significatif, une partie importante de l’activitĂ© de l’ONED consiste Ă  Ă©tudier ces dispositifs (lĂ©gislation, pratiques, modalitĂ©s d’articulation entre acteurs…), dans la mesure oĂą ils « peuvent participer Ă  l’amĂ©lioration du système français Â» (site Internet de l’ONED). Le centre de ressources numĂ©risĂ©es de l’ONED est largement alimentĂ© par des documents relatifs aux expĂ©riences Ă©trangères en matière de protection de l’enfance.
  •  On peut aussi mentionner ici la place significative prise dans les dĂ©bats entre experts consacrĂ©s Ă  la protection de l’enfance par Alain Grevot. Directeur d’un service d’action Ă©ducative dans l’Oise (le SISAE), il est frĂ©quemment invitĂ© Ă  donner son point de vue sur les rĂ©formes en cours et Ă  venir dans des revues professionnelles ou des colloques. Il a aussi participĂ© Ă  l’élaboration du projet de loi rĂ©formant la protection de l’enfance, puis Ă  la rĂ©daction des guides ministĂ©riels. Sa place dans les rĂ©flexions et les travaux de concertation tient avant tout Ă  la connaissance des dispositifs de protection de l’enfance europĂ©ens et nord-amĂ©ricains qui lui est attribuĂ©e : il est en effet auteur d’un ouvrage très souvent citĂ©, Voyage en protection de l’enfance. Une comparaison europĂ©enne.

 Toutefois, il n’existe pas de dispositif europĂ©en de protection de l’enfance. Chaque dispositif national est spĂ©cifique et prĂ©sente, par rapport Ă  la France, des similitudes et des diffĂ©rences plus ou moins nombreuses et significatives. De ce fait, les propositions de rĂ©forme du dispositif français qui s’appuient sur l’analyse des expĂ©riences Ă©trangères consistent en gĂ©nĂ©ral Ă  mettre en exergue des procĂ©dures, des pratiques professionnelles ou des modes d’articulation entre acteurs qui existent dans tel ou tel pays europĂ©en ou nord-amĂ©ricain (mais pas dans tous), et dont la France gagnerait Ă  s’inspirer.

Ce qui, dans les dispositifs étrangers de protection de l’enfance, exerce un attrait en France, tient à des raisons diverses, et qui varient selon les acteurs (ce qui séduit fortement les uns peut susciter chez d’autres un rejet vigoureux). Parmi les éléments les plus souvent mentionnés, on peut citer les suivants :

  •  Des professionnels français comme le docteur Maurice Berger vantent par exemple le fait qu’au QuĂ©bec, l’intĂ©rĂŞt de l’enfant, qui est aufondement de toutes les dĂ©cisions des professionnels, est dĂ©fini de façon prĂ©cise dans la loi, laquelle fait notamment rĂ©fĂ©rence Ă  la thĂ©orie et Ă  la clinique de l’attachement. 
  •  Beaucoup d’experts français de la protection de l’enfance souhaiteraient aussi que les dĂ©cisions des professionnels français soient fondĂ©es sur des processus d’évaluation beaucoup plus poussĂ©s, formalisĂ©s, voire standardisĂ©s, Ă  l’instar de ce qui se fait lĂ  encore au QuĂ©bec. Cela dĂ©bouche souvent, comme Ă  l’ONED, sur la volontĂ© de resserrer les liens entre le champ de la protection de l’enfance et la recherche scientifique. 
  •  Le dĂ©bat sur la place de l’institution judiciaire dans le champ de la protection de l’enfance (avec les notions de « subsidiaritĂ© Â» ou de « dĂ©judiciarisation Â») est Ă©galement nourri par l’analyse des rĂ©formes qui ont rĂ©cemment eu lieu dans plusieurs pays europĂ©ens, par exemple en Belgique. Dans ce pays, mais aussi en Allemagne, en Angleterre ou au Danemark, le travail administratif en protection de l’enfance occupe une place et un statut bien plus Ă©minents qu’en France, l’intervention du juge Ă©tant rĂ©duite Ă  un nombre très restreint de situations (cf. infra).

 2. VERS DE FUTURES RÉFORMES DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE ?

a. De nouvelles vagues de décentralisation ?

Les conditions dans lesquelles les dernières lois de dĂ©centralisation ont Ă©tĂ© votĂ©es et mises en oeuvre ont suscitĂ© un vif mĂ©contentement dans les collectivitĂ©s locales, en particulier parce que l’État a très mal compensĂ© les charges qu’il leur a transfĂ©rĂ©es (cf. le contentieux financier relatif au RMI ou Ă  l’APA). Concernant les domaines de compĂ©tences des conseils gĂ©nĂ©raux, l’ADF a explicitement demandĂ© un moratoire sur tout transfert de compĂ©tences après la loi du 13 aoĂ»t 2004 sur les libertĂ©s locales, arguant qu’une pause Ă©tait nĂ©cessaire pour permettre aux dĂ©partements de « digĂ©rer Â» leurs nouvelles attributions.

En revanche, l’État continue Ă  ĂŞtre demandeur en matière de dĂ©centralisation, en grande partie pour des raisons financières : la dĂ©centralisation lui permet de se dĂ©lester de certaines dĂ©penses et donc de limiter son dĂ©ficit budgĂ©taire. On a mĂŞme pu constater dans nombre de secteurs une forme de dĂ©centralisation « rampante Â», par laquelle l’État se dĂ©sengage de certaines de ses missions en rationnant les effectifs et les moyens dont disposent ses services, en misant implicitement sur le fait que les collectivitĂ©s locales seront Ă  terme forcĂ©es de prendre Ă  leur charge ces missions.

Le cas de la Protection judiciaire de la jeunesse est ici symptomatique. La politique menĂ©e depuis plusieurs annĂ©es par l’État en la matière consiste Ă  recentrer l’action de la PJJ sur les mineurs dĂ©linquants et Ă  renvoyer vers le conseil gĂ©nĂ©ral toutes les situations qui ne comportent pas une dimension judiciaire avĂ©rĂ©e, ce qui est le cas d’une bonne partie dessituations d’adolescents en danger. Selon certains de ses cadres, la PJJ ressemblerait ainsi de plus en plus Ă  une sorte de « SPIP-jeunes Â». De fait, les crĂ©dits allouĂ©s par l’État Ă  la PJJ ont Ă©tĂ© rognĂ©s d’environ 4 % entre 2008 et 2010, avec une accentuation de son action en faveur des mineurs dĂ©linquants (+ 13 % en 2010), mais une baisse massive de son action en faveur des mineurs en danger et des jeunes majeurs (– 50 % en 2010). Ces nouvelles orientations entraĂ®nent un transfert aux conseils gĂ©nĂ©raux, sans compensation, du coĂ»t de la prise en charge des mesures civiles mises en oeuvre par la PJJ.

Les conseils généraux sont d’autant plus préoccupés par les conditions dans lesquelles les derniers transferts de compétences ont été mis en oeuvre que leur situation financière est souvent très fragile, du fait d’un effet de ciseaux entre dépenses et recettes et d’une dette de l’État en accroissement constant(3). En 2010, le département de Seine-Saint-Denis est allé jusqu’à voter un budget en déficit afin d’alerter sur ses difficultés financières.

Dans ce contexte tendu, une nouvelle étape dans la décentralisation de la protection de l’enfance ne pourrait être acceptée par les élus des conseils généraux et par les techniciens des services d’Aide sociale à l’enfance que si elle était accompagnée d’un transfert équitable de ressources.

Une grande majorité des élus départementaux et des cadres de l’ASE estiment qu’il serait plus pertinent d’intégrer au sein des conseils généraux les deux services spécialisés de l’Éducation nationale que sont le service social en faveur des élèves et le service de santé en faveur des élèves, au motif que le travail en partenariat avec la PMI, l’ASE et la polyvalence de secteur en serait facilité.

Lors de l’élaboration de la loi du 13 aoĂ»t 2004 sur les libertĂ©s locales, la perspective d’un transfert de ces deux services aux conseils gĂ©nĂ©raux a suscitĂ© une forte hostilitĂ© de leurs personnels, Ă  la fois pour des raisons de statut et pour des raisons de fond (beaucoup estiment que l’appartenance Ă  l’Éducation nationale facilite les contacts avec le personnel enseignant et permet donc un travail de repĂ©rage plus efficace). Mais la loi du 5 mars 2007 pourrait avoir changĂ© la donne. En effet, elle a actĂ© le fait que le conseil gĂ©nĂ©ral est destinataire de toutes les informations prĂ©occupantes produites par les personnels de l’Éducation nationale, et elle a ainsi donnĂ© ainsi au conseil gĂ©nĂ©ral une sorte de « droit de regard Â» sur les Ă©valuations produites par les assistants sociaux et les personnels mĂ©dicaux de l’Éducation nationale. De ce fait, la loi du 5 mars 2007 a créé les conditions d’un transfert plus aisĂ© vers le dĂ©partement du service social scolaire et de la mĂ©decine scolaire. En tout cas, nombreux sont les Ă©luset les techniciens pour qui il s’agit lĂ  d’une rĂ©forme « inĂ©luctable Â» et qui « mĂ»rit Â» petit Ă  petit…

Toutefois, sur cette question également, les réflexions en cours relatives à l’organisation territoriale de la France et les conséquences de la réforme des collectivités locales ne seront pas sans conséquences sur la mise en oeuvre de la politique de protection de l’enfance, notamment si elles débouchaient à terme sur un rapprochement des régions et des départements.

b. L’avenir du juge des enfants

Parmi les rĂ©formes possibles de la protection de l’enfance Ă  la française, l’une de celles qui sont les plus passionnĂ©ment discutĂ©es consisterait Ă  transformer le statut et les missions du juge des enfants. La loi du 5 mars 2007 avait notamment pour objectif de faire intervenir le juge des enfants dans un nombre plus restreint de situations. De nombreux observateurs, notamment au sein des conseils gĂ©nĂ©raux (mĂŞme si les techniciens de l’ASE semblent ici plus prudents que les Ă©lus), estiment qu’il conviendrait d’aller plus loin et de faire du magistrat de la jeunesse un juge arbitre, qui n’interviendrait au titre de l’assistance Ă©ducative que dans les cas, rares, oĂą on constate un conflit impossible Ă  surmonter entre la famille et l’ASE. Dans tous les autres cas de figure, l’ASE serait pleinement compĂ©tente pour prendre toutes les dĂ©cisions quelle qu’en soit la nature (placement, choix du service chargĂ© de l’exĂ©cution de la mesure, organisation du droit de visite…).

Le dispositif français de protection de l’enfance se rapprocherait ainsi de celui du dispositif belge. En Belgique, l’assistance Ă©ducative, appelĂ©e « aide Ă  la jeunesse Â», est très largement dĂ©judiciarisĂ©e depuis les dĂ©crets de 1990 et 1991 : les mesures et leur prise en charge financière ne sont plus dĂ©cidĂ©es par un juge, mais par un « conseiller Ă  l’aide Ă  la jeunesse Â», lequel est assistĂ© d’un service social. Le tribunal de la jeunesse n’intervient que lorsque le conseiller de l’aide Ă  la jeunesse ne parvient pas Ă  obtenir l’accord et la collaboration des parents, mais mĂŞme dans ce cas prĂ©cis, la mise en oeuvre des mesures judiciaires qu’il ordonne relève de la responsabilitĂ© d’un « directeur de l’aide Ă  la jeunesse Â», qui est seul Ă  dĂ©cider de l’orientation des mineurs en question(4).

Une telle Ă©volution vers le juge-arbitre nĂ©cessiterait que le conseil gĂ©nĂ©ral soit mieux repĂ©rĂ© par les familles comme une institution lĂ©gitime, dont les services oeuvrent dans un lieu solennel, et dont les cadres ayant dĂ©lĂ©gation de signature du prĂ©sident du conseil gĂ©nĂ©ral disposent dece que les magistrats appellent « l’aura dĂ©cisionnel Â». Pour l’heure, les conseils gĂ©nĂ©raux sont loin d’y ĂŞtre tous prĂŞts. Aller vers le juge-arbitre nĂ©cessiterait sans doute aussi de garantir que le contentieux entre l’ASE et les familles continue Ă  se dĂ©rouler au niveau civil, et pas au niveau administratif.

Le projet de faire du juge des enfants un simple juge arbitre doit ĂŞtre replacĂ© dans le cadre plus gĂ©nĂ©ral d’une demande de dĂ©judiciarisation qui ne touche pas seulement la protection de l’enfance, mais aussi des domaines comme le divorce (lĂ©galisation de formes de divorce « soft Â» par consentement mutuel) ou le licenciement (la « rupture Ă  l’amiable Â» du contrat de travail). Dans tous les cas, il s’agit d’« Ă©conomiser le juge Â», selon la formule de Denis Salas, maĂ®tre de confĂ©rence Ă  l’ENM. Cette demande de dĂ©judiciarisation a des causes idĂ©ologiques, mais aussi financières : la situation des greffes Ă©tant unanimement considĂ©rĂ©e comme « sinistrĂ©e Â», il paraĂ®t inĂ©vitable aux yeux de beaucoup de transfĂ©rer davantage de responsabilitĂ©s aux conseils gĂ©nĂ©raux. Quoi qu’il en soit, de nombreux professionnels de la protection de l’enfance estiment, pour s’en rĂ©jouir ou pour le dĂ©plorer, que l’avènement du juge arbitre n’est qu’une question d’annĂ©es, et que les nouveaux critères de saisine de la Justice instaurĂ©s par la loi du 5 mars 2007 en constituent d’ailleurs un prĂ©lude. Il faut par ailleurs noter qu’un mouvement analogue est en cours dans le champ des majeurs incapables ; or, il est possible que les habitudes prises par les parquets sur ces dossiers se diffusent petit Ă  petit, en quelque sorte par « capillaritĂ© Â», dans le champ de l’assistance Ă©ducative.

On peut nĂ©anmoins Ă©mettre des doutes sur la possibilitĂ© de mener Ă  son terme un tel processus de dĂ©judiciarisation de la protection de l’enfance. Beaucoup de politistes travaillent actuellement sur le processus de « judiciarisation Â» des relations sociales : multiplication des recours Ă  l’arbitrage judiciaire par les individus, sollicitation croissante de la justice pour traiter des problèmes clefs de la sociĂ©tĂ© (santĂ© publique, risque technologique ou naturel…), etc. La dĂ©judiciarisation de la protection de l’enfance ne va donc peut-ĂŞtre pas autant dans le sens de l’histoire que ses promoteurs ne le disent…

Vu du point de vue des magistrats de la jeunesse, le dĂ©bat sur l’avenir du juge des enfants prend parfois un tour encore plus radical et menaçant. Parmi les parlementaires et les experts de la protection de l’enfance, certains souhaitent en effet dĂ©charger totalement le juge des enfants de toute attribution en matière d’assistance Ă©ducative, pour le recentrer sur la seule dĂ©linquance des mineurs. Les dossiers d’assistance Ă©ducative seraient confiĂ©s soient Ă  l’actuel JAF (juge aux affaires familiales), soit Ă  un nouveau magistrat qui cumulerait les attributions du JAF et celles du juge des enfants au titre du civil.Ce type de projets a Ă©tĂ© dĂ©fendu plus ou moins ouvertement par l’actuel chef de l’État lorsque celui-ci Ă©tait ministre de l’IntĂ©rieur et candidat Ă  l’élection prĂ©sidentielle. Dans un discours prononcĂ© le 10 octobre 2008 lors de l’inauguration de l’ENPJJ, la garde des Sceaux Rachida Dati avait affirmĂ© que le « coeur de la mission Â» de la Justice des mineurs est de « faire acte d’autoritĂ© et sanctionner Â». Ces propos accentuent le sentiment ressenti par de nombreux magistrats de la jeunesse d’une « danse du scalp autour du juge des enfants Â», selon la formule de Jean-Pierre Rosenczveig, prĂ©sident du Tribunal pour enfants de Bobigny.

c. La notion de « projet de vie Â»

La parution en 2004 de l’ouvrage du Dr Maurice Berger L’échec de la protection de l’enfance a contribuĂ© Ă  nourrir un vif dĂ©bat au sujet des mineurs dont l’enfance et l’adolescence se dĂ©roulent quasi uniquement sous le statut d’« enfant confiĂ© Â». En effet, un grand nombre d’enfants sont sĂ©parĂ©s très jeunes de leur famille1, puis vivent jusqu’à leur majoritĂ© dans un ou plusieurs Ă©tablissement(s) ou famille(s) d’accueil. Les mesures de sĂ©paration sont ainsi reconduites par le juge des enfants tous les ans ou tous les deux ans(5).

Face Ă  ce constat, certains experts de la protection de l’enfance proposent de consacrer dans notre droit la notion de « projet de vie permanent Â». Ils estiment que lorsque l’évaluation permet de conclure que, selon toute probabilitĂ©, un parent est et restera incapable d’exercer son autoritĂ© parentale de façon constructive et protectrice pour son enfant(6), le dispositif de protection de l’enfance doit garantir Ă  cet enfant un environnement fiable et stable, afin de lui assurer la sĂ©curitĂ© psycho-affective dont il a besoin. Qui plus est, cette garantie doit lui ĂŞtre apportĂ©e pour une longue durĂ©e, si besoin jusqu’à sa majoritĂ©, et ce dès le moment oĂą est posĂ© le diagnostic d’une « inadĂ©quation Ă©ducative Â» non rĂ©versible de son ou de ses parent(s).Une telle procĂ©dure existe au Canada et en particulier au QuĂ©bec(7). Le Dr Berger a proposĂ© une modification des articles du Code civil encadrant l’assistance Ă©ducative afin d’« assurer une protection Ă  long terme des enfants vivant dans des situations gravement carentielles Â»(8). Concrètement, le « projet de vie permanent Â» qui serait proposĂ© Ă  ces enfants pourrait ĂŞtre soit un placement de longue durĂ©e (et non remis en question Ă  intervalles rĂ©guliers par une dĂ©cision du juge des enfants), soit une adoption.

Lors des dĂ©bats parlementaires ayant prĂ©cĂ©dĂ© le vote de la loi du 5 mars 2007 rĂ©formant la protection de l’enfance, plusieurs amendements ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©s par les dĂ©putĂ©es Patricia Adam (PS) et Henriette Martinez (UMP) pour introduire cette notion de « projet de vie Â». Les dĂ©bats ont finalement conduit Ă  l’ajout des deux alinĂ©as suivants Ă  l’article 375 du Code civil :

« Cependant, lorsque les parents prĂ©sentent des difficultĂ©s relationnelles et Ă©ducatives graves, sĂ©vères et chroniques, Ă©valuĂ©es comme telles dans l’état actuel des connaissances, affectant durablement leurs compĂ©tences dans l’exercice de leur responsabilitĂ© parentale, une mesure d’accueil exercĂ©e par un service ou une institution peut ĂŞtre ordonnĂ©e pour une durĂ©e supĂ©rieure [Ă  deux ans], afin de permettre Ă  l’enfant de bĂ©nĂ©ficier d’une continuitĂ© relationnelle, affective et gĂ©ographique dans son lieu de vie dès lors qu’il est adaptĂ© Ă  ses besoins immĂ©diats et Ă  venir. Un rapport concernant la situation de l’enfant doit ĂŞtre transmis annuellement au juge des enfants. Â»

Mettez toutes les chances de votre côté

Notes

Note 01 Naves P. (dir.) (2007), La réforme de la protection de l’enfance. Une politique publique en mouvement, Paris, Dunod, p. 247. Retour au texte

Note 02 Pour une description plus dĂ©taillĂ©e de ce que les politistes anglo-saxons appellent le Â« new public management Â», cf. Merrien F.-X. (2004). L’État social. Paris, Armand Colin, p. 289-290. Retour au texte

Note 03 Voir Pierre Jamet (DGS du conseil général du Rhône), Rapport au Premier ministre sur les finances départementales, 20 avril 2010. Retour au texte

Note 04 Ce dernier point Ă©voque la notion de « mandat global Â» envisagĂ©e lors des dĂ©bats prĂ©paratoires de la loi du 13 aoĂ»t 2004 par certains Ă©lus, notamment le prĂ©sident du conseil gĂ©nĂ©ral du RhĂ´ne Michel Mercier. Retour au texte

Note 05 À titre d’exemple, la directrice du pôle enfance et famille du conseil général du Val-de-Marne Michèle Créoff estime que dans son département, le pourcentage d’enfants pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance sur une très longue durée, et sans perspective de retour de l’enfant dans sa famille d’origine, oscille entre 15 et 30 % des situations (entretien avec G. Derville, 26/06/2006). Retour au texte

Note 06 Par exemple s’il est gravement psychotique, grand malade alcoolique ou pervers sexuel récidiviste. Retour au texte

Note 07 La loi quĂ©bĂ©coise sur la protection de l’enfance du 15 juin 2006 prĂ©cise que si malgrĂ© une aide adaptĂ©e, des parents ne parviennent pas Ă  assumer de façon positive la responsabilitĂ© de leur enfant dans un dĂ©lai raisonnable, « on mettra en place avec diligence un projet de vie extĂ©rieur Ă  la famille assurant des liens affectifs stables si besoin jusqu’à la majoritĂ©. La durĂ©e d’un placement provisoire avant la mise en oeuvre de ce projet ne doit pas dĂ©passer 12 mois pour un enfant de moins de 2 ans, 18 mois pour un enfant âgĂ© de 2 Ă  5 ans, et 24 mois après 6 ans, incluant la durĂ©e du placement avant la dĂ©cision judiciaire Â». Retour au texte

Note 08 Berger M. (2004). L’échec de la protection de l’enfance. Paris, Dunod, p. 230. Retour au texte

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