1. LA NÉCESSITÉ DE PERSONNALISER LES ACTIONS EN FAVEUR DES ENFANTS À PROTÉGER
L’apparition et la généralisation des « mesures alternatives » proviennent d’une prise de conscience des limites du dispositif antérieur à la loi du 5 mars 2007, qui conduisaient parfois à la juxtaposition de mesures non cohérentes entre elles ou encore à une succession de prises en charge différentes sans recherche de l’intérêt de l’enfant.
Le manque d’évaluation de la situation d’origine, l’absence de coordination entre les acteurs et l’opposition trop binaire entre « milieu ouvert » et « placement » ont pu entraîner pour les enfants des conséquences lourdes. La fiche 18 présente les modifications des concepts et des pratiques qui sont intervenues afin d’y remédier.
Sont désormais valorisées les actions qui permettent d’assurer une continuité dans le parcours des enfants à protéger et de privilégier les transitions douces entre les diverses modalités de prise en charge.
a. L’émergence de nouvelles modalités de prise en charge
Depuis la fin des années 1950, les modes d’intervention de la protection de l’enfance étaient structurés autour de deux grandes alternatives :
- l’aide directe dans la famille, qualifiée d’aide à domicile (en protection administrative) et d’action éducative en milieu ouvert (en protection judiciaire) ;
- la séparation et le placement.
À partir des années 1980, ces pratiques ont connu des évolutions, sous l’impulsion de certaines expérimentations. Ainsi, le département du Gard a créé un « Service d’adaptation progressive en milieu naturel » (SAMPN), le département du Vaucluse a créé un « Service d’accueil, de protection, de soutien et d’accompagnement à domicile » (SAPSAD), la Sauvegarde du Calvados imaginait un service d’éducation en milieu ouvert, précurseur des hébergements temporaires… Ces institutions nouvelles avaient pour objet d’apporter plus de souplesse dans les réponses proposées aux familles et aux enfants.
S’appuyant sur les travaux réalisés en matière de parentalité(1), l’intervention en « suppléance ponctuelle et provisoire » des seules fonctions parentales défaillantes devient une possibilité complémentaire dans certaines situations, plus systématiquement recherchée.
La diversification des pratiques s’est accélérée avec la loi du 2 janvier 2002. En effet, ce texte renforce le principe selon lequel les usagers (l’enfant ou le jeune à qui l’on doit garantir la prise en compte de la situation de sa famille) doivent être situés au coeur des dispositifs sociaux et médico-sociaux. Il ouvre la voie à la reconnaissance d’expériences innovantes(2) qui vont se développer de façon importante dans certains départements.
b. Les apports et limites des expérimentations
L’analyse de ces pratiques et de leurs bénéfices encourage leur création dans tous les départements. Pourtant, pour les gestionnaires, le coût de ces nouvelles prestations, qui ne peut être pré-établi, ne leur permet pas de maîtriser les dépenses, notamment en l’absence d’interdiction de « doubles mesures ».
Ensuite, le fait que ces prestations doivent être acceptées par les familles les place dans le système d’admission à l’Aide sociale à l’enfance. Or, ceci est considéré comme une contrainte pour les équipes pilotes, qui voudraient au contraire pouvoir développer ces actions « hors mandat ». Cette approche, plus progressive, permet de construire avec la famille une relation de confiance qui doit l’aider, petit à petit, à prendre conscience de ses difficultés et à accepter l’appui extérieur. Si cet appui passe nécessairement par une admission à l’ASE, cet appui peut être refusé d’emblée car jugé trop stigmatisant.
Sensible à ces limites, le premier rapport annuel de l’ONED met plus l’accent sur la recherche de modulations des dispositifs existants. Il poursuit ainsi le but d’apporter de nouvelles réponses adaptées aux besoins particuliers de chaque situation et tenant compte des différences de temporalité. Il suggère par exemple de permettre au juge des enfants d’autoriser les services mandatés à organiser au quotidien et selon les besoins de l’enfant les modalités et la périodicité des droits de visite et d’hébergement des parents en cas de séparation.
c. Les nouvelles prestations instituées la loi du 5 mars 2007
La loi du 5 mars 2007 modifie le CASF et le Code civil pour créer une série de modalités nouvelles d’action (cf. infra, II). Avec la loi du 5 mars 2007, l’accueil d’un enfant en protection de l’enfance peut s’organiser selon des modalités beaucoup plus souples qu’auparavant, mieux articulées aux besoins des enfants et des familles, qui sont très variables. De fait, les crises passagères ne nécessitent pas le même accompagnement que l’hospitalisation durable d’un parent seul ou encore que la préparation du retour d’un enfant dans sa famille.
Ces dispositifs suscitent toujours des débats importants. Certains, comme le docteur Maurice Berger, font par exemple remarquer qu’ils n’ont pas encore été évalués et qu’on ne sait au fond pas grand-chose de leur efficacité sur le long terme. Néanmoins, ils se sont en pratique développés de manière importante dans les départements, dont certains leur ont accordé une place au sein de leurs dispositifs locaux de protection de l’enfance.
d. Des projets de plus en plus individualisés
La loi du 5 mars 2007 offre les moyens d’assouplir la prise en charge des enfants, au point de permettre de faire quasiment du « sur-mesure ». Cette souplesse, l’ouverture de l’éventail du choix d’actions à mettre en oeuvre, renforcent le rôle de l’évaluation ex ante et ex post de toutes les mesures réalisées, car les textes ne précisent pas quelle est l’intervention la plus adaptée en fonction de chaque problématique familiale. Il devient indispensable de pouvoir estimer l’impact des interventions et les indications les plus efficientes pour chaque type d’action.
C’est pourquoi, l’article L. 223-1 du CASF, tel que modifié par la loi du 5 mars 2007, pose le principe d’une évaluation obligatoire et préalable à toute décision et organisation d’une prise en charge. La prise en compte de l’état du mineur, de la situation de la famille et des aides mobilisables dans son environnement, mais aussi une bonne connaissance des ressources locales du dispositif de protection sont nécessaires à l’élaboration du « projet pour l’enfant » le plus adapté. Le rapport annuel pluridisciplinaire institué à l’article L. 223-5 du CASF permet aussi de porter une réelle attention à la prise en compte des besoins de l’enfant accueilli ou faisant l’objet d’une mesure éducative (cf. fiche n◦ 23).
2. LES « NOUVELLES » MODALITÉS DE PRISE EN CHARGE MISES EN OEUVRE AU TITRE DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE
a. L’accueil en urgence
Cadre juridique : article L. 223-2 du CASF.
Missions : ces établissements accueillent en urgence, pendant trois jours, les mineurs en fugue pour leur assurer une protection immédiate. Fonctionnement : cet accueil est assuré sans l’accord des parents mais sous réserve de les informer et d’en informer le procureur de la République. Si au terme de ce délai de 3 jours ou 72 heures, il n’a pas été possible d’organiser le retour de l’enfant dans sa famille, l’enfant est admis à l’ASE si les parents sont d’accord. Dans le cas contraire, l’autorité judiciaire est saisie. b L’accueil de jour Cadre juridique : article L. 222-4-2 nouveau du CASF et 375-3 du Code civil.
Mission : il s’agit pour ces établissements, à l’instar de ceux qui ont été créés pour prendre en charge des personnes handicapées, de proposer des services d’accueil à la journée, sans hébergement, afin de répondre aux besoins d’enfants qui sont certes en grandes difficultés socio-éducatives, mais pour lesquels une séparation des parents n’est pas nécessaire.
Cette possibilité est ouverte aux juges des enfants dans le cadre de la procédure d’assistance éducative. Ils peuvent donc désormais confier un enfant à un service ou à un établissement habilité pour l’accueil de mineurs à la journée.
Fonctionnement : ces services sont situés « à proximité du domicile » des enfants.
Ils proposent un ensemble articulé et cohérent d’actions éducatives, psychologiques et sociales de soutien à l’enfant, comme des prises en charge intensives, individuelles ou de groupe, mobilisant des équipes pluridisciplinaires.
Les enfants bénéficient de projets individualisés en fonction de leurs besoins, définissant leurs temps d’accueil sur les périodes périscolaires et/ou scolaires.
Centrée sur « le soutien éducatif de l’enfant », cette prestation laisse une grande place à la famille, que les services sont chargés « d’accompagner dans l’exercice de sa fonction parentale ». Les parents doivent ainsi être en mesure de mieux comprendre leur rôle, de mieux analyser leurs difficultés et de retrouver leurs capacités à éduquer leurs enfants. Ce soutien peut prendre la forme d’entretiens individuels avec les professionnels de l’équipe pluridisciplinaire, de groupes de parole d’adultes, des moments de reprise de l’action menée auprès de leur enfant…
c. Le « placement à domicile » : l’accueil séquentiel, exceptionnel ou périodique
Cadre juridique : articles L. 222-5 1 du CASF et 375-2 du Code civil. Missions : les services chargés de la mise en oeuvre d’une mesure d’AEMO peuvent obtenir du juge des enfants la possibilité, dans des conditions très étroitement délimitées et après une habilitation spécifique, d’héberger des mineurs de manière exceptionnelle ou périodique.
Cette possibilité d’organiser un accueil périodique, à temps complet ou partiel, modulé selon les besoins du mineur et de ses parents, est également ouverte dans le cadre de l’accueil provisoire en protection sociale.
Fonctionnement : ces types d’accueil sont donc prévus en alternance avec des temps de vie au domicile familial, selon des modalités et une fréquence plus ou moins déterminées à l’avance. Chaque fois que le mineur est hébergé en vertu de l’autorisation qui le concerne, le service doit en informer sans délai ses parents, le juge des enfants et le président du conseil général. En cas de désaccord concernant cet hébergement, le juge est saisi.
Pour éviter que ces accueils modulés ne débouchent pour les enfants sur une succession d’expériences et de ruptures entre plusieurs lieux de vie, il doit être tenu compte de leur besoin de stabilité affective dans l’organisation de ces modalités.
Notes
Note 01 Les trois composantes de la parentalité (l’exercice, l’expérience et la pratique) selon la commission Houzel sont détaillées dans la fiche n◦ 20. Retour au texte
Note 02 Notamment avec la notion d’établissement ou service à caractère expérimental introduite à l’article L. 312-1 12 du CASF. Retour au texte