PAR LA LOI du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, le législateur a souhaité clarifier les relations entre l’autorité administrative (le conseil général) et l’autorité judiciaire (les parquets et les tribunaux pour enfants). Pour ce faire, la loi assied dorénavant l’intervention de l’autorité judiciaire en matière de protection de l’enfance sur la notion de « subsidiarité », laquelle n’apparaît toutefois pas de manière explicite dans la loi. Cette notion signifie qu’une situation ne doit faire l’objet d’un signalement au procureur et d’une mesure d’assistance éducative ordonnée par le juge des enfants que si l’intervention du conseil général ne peut pas suffire à remédier à la situation de danger ou de risque de danger.
Le terme de signalement
La loi du 5 mars 2007 réserve clairement le terme « signalement » aux écrits qui sont adressés au procureur de la République en vue de saisir l’autorité judiciaire. « Le signalement est un acte professionnel écrit présentant, après évaluation, la situation d’un enfant en danger qui nécessite une protection judiciaire »(1). Quant aux informations adressées aux services du conseil général, le CASF ne les définit pas comme des signalements, mais comme des « informations préoccupantes » (article L. 226-2-1 du CASF). Cette notion d’information préoccupante est présentée plus en détail dans la fiche n °21.
1. LA « SUBSIDIARITÉ » DE L’INTERVENTION JUDICIAIRE
Au début des années 2000, de nombreux travaux d’observation, relayés par plusieurs rapports administratifs et parlementaires(2), ont mis à jour la « judiciarisation » des interventions des pouvoirs publics en matière de protection de l’enfance. Cette notion de judiciarisation renvoie à deux phénomènes distincts mais complémentaires :
- La judiciarisation des signalements , c’est-à-dire le fait qu’un pourcentage élevé d’informations concernant des mineurs en danger ou en risque de danger sont directement adressées à l’autorité judiciaire. Dans les années précédant la loi du 5 mars 2007, ce pourcentage a fortement progressé jusqu’à atteindre 59 % en 2005 (cf. La Lettre de l’ODAS, décembre 2006).
- La judiciarisation des mesures , autrement dit le fait que parmi les mesures dont bénéficient les enfants et les familles au titre de la protection de l’enfance, un pourcentage élevé (77 % au 31 décembre 2006 selon les données du rapport ONED 2008) sont des mesures ordonnées par le juge des enfants et imposées aux parents, plutôt que proposées par l’autorité administrative et acceptées par les parents (ceci étant valable pour le placement mais aussi pour l’aide éducative à domicile).
Le phénomène de judiciarisation a entraîné certains dysfonctionnements et effets pervers dans les dispositifs de protection de l’enfance mis en oeuvre au plan local, en particulier l’engorgement des parquets. Dans les années précédant la loi du 5 mars 2007, ceux-ci étaient très souvent saisis de situations qui auraient pu faire l’objet d’une mesure de protection sociale. On a pu ainsi constater que la surcharge de travail des magistrats a entraîné un allongement des délais de traitement et une plus grande méfiance des parents à l’égard des travailleurs sociaux…
Face à cette situation, l’un des objectifs de la loi du 5 mars 2007 était de clarifier l’entrée dans le dispositif de protection de l’enfance, de telle sorte que l’autorité judiciaire ne soit saisie que des situations qui relèvent réellement de sa compétence.
La notion de « subsidiarité » renvoie à cet objectif. Elle consiste à privilégier autant que possible une démarche de protection proposée par le conseil général et approuvée par les parents, sans que le juge des enfants soit sollicité. Il s’agit de donner la priorité à la protection sociale ou administrative, qui doit être mobilisée en première intention (sauf si elle paraît d’emblée inadaptée).
La subsidiarité consiste aussi à affirmer que si une situation qui fait l’objet d’une mesure judiciaire semble s’améliorer de façon significative, le juge des enfants doit alors passer le relais à la protection sociale.
La notion de « subsidiarité » prend fortement en considération la position des parents. En effet, elle revient à affirmer que toutes les fois où les parents sont d’accord pour accepter une aide au titre de la protection de l’enfance, la situation relève de la protection sociale ou administrative (et ce, y compris lorsque le mineur est en danger au sens de l’article 375 du Code civil). La protection judiciaire ne peut être sollicitée que si l’autorité du juge est nécessaire pour contraindre les parents (à ouvrir leur porte, à accepter l’intervention des professionnels de la protection de l’enfance…).
La notion de « subsidiarité » part donc du principe que la seule différence entre les deux modes de protection que sont la protection administrative et la protection judiciaire « réside dans le fait que le juge peut obliger les parents à accepter le choix qui apparaît le meilleur pour l’enfant »(3). Lorsque cette contrainte n’est pas nécessaire parce que les parents sont d’accord pour « collaborer » avec l’Aide sociale à l’enfance, c’est la protection administrative qui doit être mise en oeuvre.
La notion de « subsidiarité » ne postule en rien que l’intervention de l’autorité judiciaire est par nature « inférieure » ou « moins importante » que celle de l’autorité administrative. Elle affirme simplement que la protection judiciaire ne doit intervenir que dans un second temps, une fois que la protection administrative a épuisé ses effets, ou lorsque la protection administrative ne peut manifestement pas faire cesser une situation de danger. C’est pourquoi certains auraient souhaité que l’on utilise un terme plus neutre, moins hiérarchisant et que l’on parle de « secondarité »(4).
2. LES CRITÈRES DE SAISINE DE L’AUTORITÉ JUDICIAIRE
La loi du 5 mars 2007 a redéfini et précisé, dans un sens plus restrictif, les critères de saisine obligatoire de l’autorité judiciaire pour les situations d’enfant en danger ou en risque de danger. Même si le terme de « subsidiarité » ne figure pas dans la loi, il est implicitement contenu dans la nouvelle rédaction de l’article L. 226-4 du CASF.
Cet article est rédigé de la façon suivante :
« Le président du conseil général avise sans délai le procureur de la République lorsqu’un mineur est en danger au sens de l’article 375 du Code civil et :
1◦ Qu’il a déjà fait l’objet d’une ou plusieurs actions mentionnées aux articles L. 222-3 et L. 222-4-2 et au 1◦ de l’article L. 222-5, et que celles-ci n’ont pas permis de remédier à la situation ;
2◦ Que, bien que n’ayant fait l’objet d’aucune des actions mentionnées au 1◦, celles-ci ne peuvent être mises en place en raison du refus de la famille d’accepter l’intervention du service de l’Aide sociale à l’enfance ou de l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de collaborer avec ce service. Il avise également sans délai le procureur de la République lorsqu’un mineur est présumé être en situation de danger au sens de l’article 375 du Code civil mais qu’il est impossible d’évaluer cette situation ».
De manière simplifiée, on peut dire que la saisine de l’autorité judiciaire est impérative dans trois cas de figure :
- La protection administrative a déjà été mise en oeuvre, mais elle n’a pas produit de résultats efficaces, si bien que l’enfant reste en danger.
- Les parents (ou plus largement la famille) refusent manifestement toute intervention des services sociaux au titre de la protection administrative : soit ils s’opposent à leur intervention, soit ils ne lui donnent qu’un accord de façade derrière lequel ils « sabotent » le travail des professionnels ou sont dans une situation (hospitalisation, par exemple) qui ne leur permet pas de donner leur accord.
- L’évaluation de la situation est impossible, par exemple parce que la porte du domicile de l’enfant reste toujours fermée lorsque les professionnels s’y présentent, ou parce que l’enfant est toujours absent et que son état ne peut donc pas être mesuré. Dans son rapport 2007, l’ONED a explicité les critères de saisine qui figurent à l’article L. 226-4 du CASF en montrant qu’on peut les comprendre en les rapportant à la notion de temps (passé, présent et futur) :
- Temps passé . Il est impératif de signaler une situation au parquet « si l’action des services sociaux n’a pas pu résoudre la situation par le passé », et si « cet échec présume du caractère illusoire de la nouvelle tentative de protection sociale » (Rapport 2007, p. 26). Lorsque le bilan des interventions passées au titre de la protection sociale ou administrative est négatif et laisse penser que toute nouvelle tentative sera elle aussi vouée à l’échec, lorsqu’il apparaît aux professionnels qu’ils ont « tout tenté », que toutes les solutions dont ils disposent ont été proposées aux parents, que les parents ont refusé ou fait échouer toutes les initiatives, et lorsque du fait de ces échecs passés l’enfant reste en danger, alors un signalement judiciaire est nécessaire. Il est important de préciser que ce critère ne doit pas être un alibi pour les conseils généraux : ceux-ci ont l’obligation de mettre en place des modalités d’intervention variées et adaptées aux situations particulières.
- Temps présent . Un signalement judiciaire est impératif « si dans le présent de l’élaboration d’une action éducative, la famille oppose un refus de consentement, ou montre son impossibilité à consentir » (ONED, Rapport 2007, p. 26) – autrement dit lorsque les professionnels se heurtent à des parents qui, par leur attitude, manifestent « une volonté de mise en échec du dispositif », même malgré une « apparence de consentement » (p. 27).
- Temps futur . Lorsque les professionnels n’ont pas les moyens d’évaluer la situation, ils ne disposent pour prendre une décision que d’éléments tronqués et potentiellement erronés. Dès lors, ils risquent de prendre une décision inopportune qui ne mettrait pas l’enfant à l’abri s’il s’avère qu’il est effectivement en danger. En cas de « suspicion de danger », il faut donc procéder à un signalement, pour ne pas prendre une décision qui déboucherait ensuite sur un échec de la réponse en protection sociale (p. 27).
L’inscription du principe de « subsidiarité » dans la loi du 5 mars 2007 passe encore par l’ajout d’un nouvel alinéa à l’article 375 du Code civil : « Dans les cas où le ministère public a été avisé par le président du conseil général, il s’assure que la situation du mineur entre dans le champ d’application de l’article L. 226-4 du Code de l’action sociale et des familles ».
Cette disposition accorde au procureur de la République le pouvoir de vérifier qu’il a été saisi à bon escient, que la situation au sujet de laquelle un signalement lui est adressé relève bien de l’autorité judiciaire, et qu’une mesure d’assistance éducative prononcée par le juge est bel et bien nécessaire.
Autrement dit, dans tout signalement qu’ils adressent au parquet, les services du conseil général doivent faire la preuve qu’ils ont bien « tout tenté » pour remédier à la situation dans un cadre administratif et qu’il est absolument impossible d’obtenir la coopération de la famille.
L’ajout de cette nouvelle disposition à l’article 375 du Code civil est un moyen de garantir l’application du principe de subsidiarité et la primauté de la protection administrative par rapport à la protection judiciaire.
Au final, la loi du 5 mars 2007 a redéfini de façon substantielle les critères en fonction desquels les situations sont « triées » ou « réparties » entre les conseils généraux et les tribunaux pour enfants :
- Auparavant, l’autorité judiciaire ne devait théoriquement être saisie que dans les cas les plus « graves » (ceux où le danger est avéré), tandis que les conseils généraux devaient (toujours en théorie) traiter les situations « moins graves » (celles où on parle plutôt de « risque »). Dans la pratique, cette logique n’était souvent pas respectée, comme le démontrait la forte croissance des saisines du procureur évoquée ci-dessus.
- Désormais, la distinction entre l’intervention des uns et des autres repose sur « la capacité des services départementaux à remédier à la situation de l’enfant » (rapport ONED 2007, p. 10). L’enjeu n’est plus de repérer quelle est l’instance a priori compétente pour traiter une situation, mais de déterminer si le conseil général a effectivement les moyens de proposer une réponse adéquate et efficace, d’atteindre l’objectif qui est assigné au dispositif de protection de l’enfance (prévenir et protéger) et ce, quels que soient par ailleurs la nature et le degré du danger qui menace un enfant. L’autorité judiciaire ne doit donc être sollicitée que si les professionnels ont besoin d’elle pour contraindre des parents à accepter une intervention au titre de la protection de l’enfance.
3. LA NÉCESSITÉ D’ADRESSER EN PRIORITÉ DES INFORMATIONS PRÉOCCUPANTES AUX CONSEILS GÉNÉRAUX
La loi du 5 mars 2007 précise que tous les professionnels qui détiennent des informations préoccupantes à propos d’un enfant doivent les adresser en priorité aux services du conseil général (article L. 226-3 du CASF). Chaque conseil général a l’obligation de mettre en place sur son territoire un dispositif de recueil des informations préoccupantes appelé « cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes » (cf. fiche n°21). C’est le président du conseil général qui, après évaluation de ces informations préoccupantes par ses services, procède si nécessaire à un signalement judiciaire.
Les particuliers et les professionnels peuvent également contacter le numéro de téléphone vert national 119 (« Allô Enfance maltraitée »), lequel se charge de répercuter les informations recueillies vers les conseils généraux pour évaluation et décision.
Ces deux dispositifs de repérage des enfants en danger ou en risque de danger (la cellule départementale et le 119) sont présentés plus en détail dans la fiche n°21. Cependant, l’article L. 226-4 du CASF précise que dans certains cas, « du fait de la gravité de la situation », une personne participant au dispositif départemental de protection de l’enfance peut aviser directement le procureur de la République.
La loi du 5 mars 2007 impose aux partenaires institutionnels de la protection de l’enfance de signer un protocole qui précise les procédures de recueil des informations préoccupantes et les conditions dans lesquelles un signalement judiciaire est recommandé (cf. fiche n°21). Dans la plupart des 76 départements qui ont d’ores et déjà finalisé un tel protocole au 31 décembre 2009(5), les conditions dans lesquelles les particuliers et les professionnels sont invités à adresser un signalement direct au parquet sont les suivantes :
- faits susceptibles d’une qualification pénale ;
- maltraitances ou violences physiques avérées ;
- violences sexuelles avérées ou suspicion de violences sexuelles.
Conformément à une demande des parquets, la plupart de ces protocoles précisent que les signalements doivent leur être adressés sans que les parents en soient avertis, pour éviter tout risque qu’ils dissimulent ou détruisent des éléments de preuve qui seront indispensables si une procédure pénale est enclenchée.
4. LE « RAPPORT DE SIGNALEMENT »
Un signalement au parquet prend obligatoirement la forme d’un écrit. En cas d’urgence, il peut être opéré par téléphone, mais le procureur demandera alors la confirmation par un écrit.
Afin que le procureur puisse prendre la mesure de la situation, et donc prendre une décision adéquate, cet écrit, appelé « rapport de signalement », doit impérativement comprendre des éléments variés et détaillés :
- Sur l’enfant (identité, âge, adresse, établissement scolaire fréquenté…).
- Sur les parents et les adultes qui vivent au domicile de l’enfant (adresse, composition de la famille et situation familiale actuelle, titulaire de l’autorité parentale…).
- Sur les faits qui ont motivé le signalement (récit de l’enfant, scène constatée de visu, traces suspectes pouvant penser à de la maltraitance…). Ces faits doivent être rapportés de façon précise (quand, à quelle fréquence, dans quelles circonstances…), et de façon aussi neutre que possible, sans jugement de valeur.
- Dans la mesure du possible, les actions qui ont déjà été entreprises par différents professionnels pour venir en aide à l’enfant (interventions à domicile, placement), ainsi que les partenaires impliqués dans ces actions et un bilan de ces actions.
- Des propositions de prises en charge.
- Même si la peur de représailles peut souvent dissuader les signalants de fournir des informations sur eux-mêmes (identité, statut professionnel, coordonnées personnelles et / ou professionnelles), ces informations sont souvent précieuses, ne serait-ce que permettre de demander au signalant des précisions supplémentaires.
Les éléments ci-dessus sont également à transmettre aux conseils généraux dans la procédure « normale », à savoir celle qui consiste à leur adresser des « informations préoccupantes » : plus celles-ci sont précises, plus l’évaluation des situations peut être rapide et pertinente.
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Guide pratique ministériel La cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation, p. 27. Retour au texte
Note 02 Cf. notamment le rapport du groupe de travail présidé par le sénateur Louis de Broissia de 2005 (L’amélioration de la prise en charge des mineurs protégés, p. 11). Retour au texte
Note 03 Naves P., dir. 2007. La réforme de la protection de l’enfance, p. 69. Retour au texte
Note 04 Naves P., dir. 2007. La réforme de la protection de l’enfance, p. 70. Retour au texte
Note 05 États généraux de la protection de l’enfance. Améliorer la transmission d’informations relatives aux enfants en danger ou en risque de danger entre les acteurs de la protection de l’enfance, p. 16. Retour au texte