Les journaux municipaux regorgent d’informations intéressantes. Au bord du lac Léman, c’est à la page 32 du numéro du 24 septembre de « Vivre à Genève » que l’on trouve une information surprenante : « La ville de Genève offre la gratuité des obsèques à ses habitantes et habitants », peut-on lire après la communication du numéro de téléphone et du mail des pompes funèbres de la ville. Nouveau concept fièrement mis en avant par les services municipaux ? Au contraire. Depuis 1898, Genève prend en charge la dépense pour les défunts habitant sur son territoire, quel que soit leur niveau de revenu.
« À l’époque, le conseil municipal avait voté une formule qui prévoyait la gratuité pour les personnes indigentes ou, je cite, “pour toute personne qui en fait la demande” », retrace Anne Humbert-Droz, cheffe de service des pompes funèbres, du cimetière et du crématoire de la ville. Dans les années 70, sous l’impulsion d’une personnalité genevoise du parti libéral-radical suisse, Guy-Olivier Segond, le discours change. Ce n’est plus aux familles d’en faire la demande, mais aux conseillers funéraires de la proposer.
« Je vous informe que le service des pompes funèbres de la ville vous offre la gratuité des obsèques. Voulez-vous en bénéficier ? » entendent les endeuillés qui se présentent au siège des pompes funèbres municipales, avenue de la Concorde. « Le fait de quémander la gratuité était potentiellement humiliant », poursuit Anne Humbert-Droz, depuis son bureau situé au deuxième étage de ce beau bâtiment.
Deux modèles de cercueil
Sous sa responsabilité, ce sont près de 50 collaboratrices et collaborateurs, conseillers funéraires, agents funéraires, chefs de convoi, maîtres de cérémonie, employés techniques du crématoire et gardiens de cimetière qui assurent un service 360 degrés aux administrés genevois, gratuitement : la levée de corps, la toilette et l’habillage de la personne décédée, sa mise en bière, la possibilité de se recueillir dans une chambre mortuaire pendant trois jours, la location d’une salle et la mise à disposition d’un maître ou d’une maîtresse de cérémonie, et l’incinération ou l’inhumation.
Les prestations jugées dispensables – fleurs, avis de décès et soins de thanatopraxie, par exemple – restent à la charge de la famille, dans le cas où elle en souhaiterait. Enfin, et c’est la seule condition pour obtenir la prise en charge des obsèques, les familles doivent choisir entre les deux modèles de cercueil proposés, fabriqués en Suisse et en Italie. Les services municipaux réduisent volontairement la sélection pour avoir d’importantes quantités à commander et ainsi obtenir des prix réduits de la part de ses fournisseurs.
En 2024, ce sont 1 392 Genevois décédés qui ont bénéficié de la gratuité de leurs obsèques – un chiffre stable, dont le coût total est estimé entre 3 et 4 millions de francs suisses (3,2 et 4,26 millions d’euros), financés par les impôts.
En comparaison, le budget de la commune (200 000 hab.) dépasse le milliard de francs suisses. « Les finances de la ville se portent plutôt bien, se réjouit Anne Humbert-Droz. Mais le futur est incertain. Et si la gratuité n’a pour l’instant jamais été remise en cause, qui sait si demain, elle ne sera pas questionnée, amoindrie, voire supprimée, si la ville se retrouve en difficulté financière ? »
En attendant, l’exemple de Genève a été copié par plusieurs communes voisines, Vernier (37 840 hab.), Lancy (37 260 hab.) et Plan-les-Ouates (12 190 hab.). « De nombreux progrès sociaux commencent dans les villes, relève avec plaisir Christina Kitsos, vice-présidente de la ville de Genève, chargée de la cohésion sociale et de la solidarité – et maire jusqu’en juin. Car elles représentent souvent le premier maillon de la politique sociale. D’ailleurs, lorsque les politiques se durcissent au niveau national, les villes, elles, font souvent contre-pouvoir. »
Mesure peu connue
Avant d’être élue, Christina Kitsos ne connaissait pas le dispositif. Comme beaucoup de ses concitoyens, malgré l’ancienneté de la mesure. Ils sont donc nombreux à être surpris lorsque l’annonce leur est faite. D’autres continuent de s’adresser à des pompes funèbres privées, censées prévenir leurs clients genevois de la gratuité municipale. Pour toutes ces raisons, Anne Humbert-Droz a décidé de communiquer dans le journal municipal.
« Un dispositif difficilement reproductible en France »
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« Je ne suis pas sûre que l’exemple genevois soit reproductible en France. Le modèle économique français est très lié à l’histoire. De 1905 à 1993, le service extérieur des pompes funèbres était la prérogative des mairies. Mais lors de ce monopole municipal, les mairies ont délégué à une entreprise, OGF. Et c’est elle qui a investi dans les infrastructures. S’il était décidé de remunicipaliser les funérailles, il faudrait que les mairies ou l’État réinvestissent dans des infrastructures, ou alors nationaliser celles qui existent. Certaines villes, néanmoins, innovent. Lyon, par exemple, est la première à mettre en place un tarif social des concessions. Les plus précaires les payent moins cher et inversement. Cette solution a un impact assez minime sur la facture finale payée par les familles. »
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