Il y avait quelque chose de proprement stupéfiant, presque cocasse, à entrer, lundi 6 octobre, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne : alors que la direction générale de l’administration et de la fonction publique s’apprêtait à y célébrer ses 80 ans, les téléphones du public ont soudain, peu avant 10 heures, annoncé la démission du Premier ministre, Sébastien Lecornu.
Étrange télescopage entre la « grande histoire », celle au cours de laquelle a été construite, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, une infrastructure administrative de très haut niveau qui manquait au pays, et la furie du temps présent, dans lequel l’espérance de vie d’un gouvernement se compte désormais en heures.
Intérêt général
Étranges similitudes, aussi, entre les époques, éclairées par l’intervention inaugurale de Pierre Rosanvallon à la Sorbonne, au cours de laquelle l’historien et sociologue rappelait qu’en 1945 les statuts de la fonction publique, de la haute fonction publique, de l’ENA…furent une réponse à l’instabilité politique de la IVe République et à la défaillance morale d’une grande partie de l’administration française sous l’occupation. Face à l’incapacité à agir des politiques, de jeunes hauts fonctionnaires, issus de la Résistance, se donnèrent pour mission d’être « les prêtres du long terme » et construisirent un appareil d’État qui prévoit loin, incarné, entre autres, par le « Plan », et qui affirme ses valeurs au service de l’intérêt général.
Continuité de services
La France fonctionne encore sur ces ressorts, même s’ils « sont affaissés » depuis une vingtaine d’années, regrette Pierre Rosanvallon : pendant que notre personnel politique, du président de la République au plus humble des parlementaires, se trouve incapable de proposer et de mettre en œuvre un projet politique, le pays tourne, et ses services publics aussi, grâce à des fonctionnaires qui en assurent la continuité.
La comparaison historique s’arrête là, le paysage politique de 2026, pour instable qu’il soit, n’est pas celui de 1945. Mais dans l’équilibre des institutions induit par la démocratie, il est plus que souhaitable que le politique retrouve, au plus tôt, toute sa légitimité.