Jalil Benabdillah, président de la fédération des agences de développement et d’attractivité et d’innovation (CNER) depuis 7 mois a publié sa feuille de route début septembre. Celui qui est également vice-président de la région Occitanie en charge de l’économie, l’emploi, l’innovation et la réindustrialisation, vice-président de l’agence régionale de développement Ad’Occ mais aussi PDG de son entreprise SDTech tient à accroître l’influence du CNER, développer les outils numériques et collaboratif pour valoriser les données des agences et leurs expertises, malgré un environnement contraint.
Vous revenez d’une tournée en outre-mer. Quel est l’enjeu d’un tel déplacement ?
D’abord c’est une marque d’attention et de respect. Nous avons déjà fait des missions d’accompagnement en outre-mer, mais jamais un président du CNER n’avait fait le déplacement dans les Antilles et en Guyane en 73 ans d’existence du CNER. Il fallait corriger cette incongruité et connaître mieux ces territoires qui nous ont reçus avec tous les honneurs. Ensuite, si nous voulons déployer notre nouvelle stratégie, nous avons besoin de tout le monde. Le vice-président du CNER est ultra-marin et nous souhaitons avec lui avoir une réflexion sur les problématiques très spécifiques des territoires ultra-marins. Nous attendons aussi d’eux des propositions pour moderniser notre réseau, dans l’idée de rééquilibrer nos relations. D’ailleurs, nous avons prévu d’organiser dans les années à venir notre forum dev&co en outre-mer.
Il y a quelques mois, le CNER s’inquiétait de la situation financière des agences et de l’avenir de leurs missions compte tenu des budgets locaux votés ? Qu’en-est-il à date ? Les agences ont-elles pu retrouver leur équilibre ?
Non, elles restent encore fragiles. L’enquête réalisée en fin d’année dernière sur une cinquantaine d’agences reste d’actualité : 7 agences sur 10 subissent une baisse de budget pour 2025. En moyenne, la baisse globale atteint -6,1 % et -220 750 € par structure, 12 agences ont annoncé une baisse supérieure à 10 % et 15 agences ont annoncé une baisse entre -1 et -5 %. Nous avons, à date, 75 agences membres contre 81 l’an dernier, mais je constate que les adhésions repartent à la hausse et nous devrions revenir à 80 d’ici notre prochain forum qui aura lieu à Montpellier les 13 et 14 novembre.
Vous avez voulu dès votre entrée en fonction à la présidence du CNER édicter une feuille de route ? Pourquoi et que contient-elle ?
Notre priorité est de moderniser notre réseau c’est-à-dire s’équiper de nouveaux outils collaboratifs, s’ouvrir à l’intelligence artificielle, se sensibiliser à la cyber-sécurité, utiliser des CRM, récupérer, maîtriser et valoriser les données fournies par nos 3500 développeurs territoriaux indiquant de manière très fine les potentiels des territoires, identifiant tous les acteurs du développement, les forces et faiblesses de chacun. Une fois le constat fait, la feuille de route va nous permettre d’atteindre plusieurs objectifs.
A court terme, nous pouvons déjà mutualiser nos compétences et nos moyens. On peut partager nos modèles et nos données de manière très rapides. Il suffit d’une prise de conscience.
A moyen terme, il faut s’organiser en mécénat de compétence pour mobiliser des ressources humaines supplémentaires provenant des agences volontaires qui peuvent apporter du temps à celles en difficulté sur un point précis. Le CNER réfléchit à créer une plateforme pour partager mais aussi quantifier, filtrer les besoins, et créer des référentiels. Nous devons ensuite partager les outils techniques et enfin chercher de nouveaux partenaires, y compris privés comme des banques, des structures industrielles, des organismes RSE ou toute structure publique ou privée sensibilisée à l’acceptabilité des projets. Cet aspect doit être mieux mis en valeur car qui mieux que le développeur économique est en capacité d’informer toutes les parties prenantes et en premier lieu les élus qui sont encore largement ignorants des méthodes à mettre en place pour rendre un projet acceptable ?
Enfin à long terme notre ambition est clairement d’agir comme un laboratoire d’idée, un influenceur pour réussir la réindustrialisation mais aussi plus pragmatiquement pour le CNER de bénéficier d’un statut à travers une proposition de loi afin de protéger nos agences, nos compétences et notre expertise. Nous allons créer dans ce sens un collège paritaire avec des parlementaires. Il nous faut maintenant injecter une culture du partenariat local. On a des atouts à faire valoir, il faut qu’on arrête de s’excuser !
Justement, il semble que l’Etat ne vous ait pas sollicité dans l’élaboration de sa politique de réindustrialisation ?
Il ne nous a pas du tout demandé notre avis et nous ne sommes jamais rentrés dans la concertation pour définir la stratégie industrielle. Tout a été décidé de haut en bas, sans connaitre les problématiques des territoires en termes de mobilité, d’accessibilité ou d’acceptabilité. L’histoire industrielle du Nord facilite par exemple l’implantation d’usines ou le réaménagement de friches. Cette politique de réindustrialisation a été pensée en réaction à une situation d’urgence post-covid, sans consulter les collectivités.
C’est étonnant de voir qu’à Choose France, il n’y a pas de régions invitées. Autre exemple, sur le budget de 54 milliards d’euros alloués à France 2030, seul 0,97 % a été régionalisé ! Il y a des choses qu’on ne peut pas faire au niveau régional, c’est vrai. Il faut par exemple consolider nos schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) pour éviter la compétition territoriale, il faut mutualiser le foncier au niveau national pour trouver les lieux d’implantations adéquats, etc. Mais on doit respecter les acteurs régionaux et leur rôle.
Comment voyez-vous votre rôle auprès de l’Etat pour relancer l’industrie ?
Au niveau national, on ne parle que d’attractivité. Or, il y a d’autres facteurs de réussite que les acteurs locaux du développement peuvent mobiliser. L’acceptabilité par exemple est une élément potentiellement bloquant qui peut être résolu au niveau territorial. Ensuite, il faut aussi penser à la consolidation du tissu industriel local et au développement endogène, constitué de TPE, PME, ETI, etc.
Or tous les dispositifs de relance nationaux les ont snobés. Tout le monde n’est pas disruptif et innovant, beaucoup d’entreprises familiales qui vivent discrètes depuis des générations créent tout de même de l’emploi partout. Ensuite, il faut éviter à tout prix ces politiques de stop and go qui envoient des messages catastrophiques aux acteurs économiques et aux investisseurs. Je prends l’exemple de l’hydrogène. Beaucoup de régions ont mis le paquet sur cette filière. L’Occitanie a investi par exemple 150 millions pour son développement. Et on apprend que l’Etat préfère finalement ne plus investir sur cette énergie ! Mais l’industrie ne s’inscrit que dans le temps long.
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