A l’initiative d’Autisme France, une constellation de 127 petites associations, nationales mais surtout locales, de parents d’enfants autistes a publié, le 10 août, un communiqué au vitriol sur « les placements abusifs », avec un co-signataire de poids, l’Unapei. Largement repris par la presse au cœur de l’été, ce communiqué met violemment en cause l’aide sociale à l’enfance de l’Isère, à qui le tribunal pour enfants de Grenoble a confié, le 3 juillet, trois enfants d’une même fratrie, dont l’un diagnostiqué autiste : « la protection de l’enfance est devenue un système largement dévoyé, écrivent les associations: appel, y compris anonyme, à la délation permanente, droits des familles violés en permanence, accès interdit aux rapports établis à leur encontre et aux débats contradictoires, judiciarisation abusive des informations transmises aux services sociaux, experts judiciaires non-indépendants et incompétents, méconnaissance totale du handicap et vision préhistorique de l’autisme comme conséquence d’une relation déviante entre la mère et l’enfant, sous-traitance des enquêtes et placements à des associations sans formation ni contrôle, maltraitances souvent signalées. »”
Respecter la décision du juge
Abasourdi, le conseil départemental de l’Isère, a aussitôt répliqué à ce « scandaleux coup médiatique » dans un communiqué du 10 août et rappelé que « le département de l’Isère n’a pas d’autre possibilité que de respecter la décision du juge en opérant le placement ». Après avoir vainement demandé au juge pour enfants la solution alternative du placement chez un « tiers digne de confiance », en l’occurrence les grands parents, le conseil départemental a dû, pour le moment, séparer la fratrie : deux des trois enfants, dont le petit autiste de 6 ans, sont placés en foyer, et l’aînée, 9 ans, en famille d’accueil. « Nous refusons d’entrer dans une logique d’affrontement, commente Frédérique Puissat, vice-présidente du conseil départemental chargée de la famille, de l’enfance et de la santé. Nous sommes d’autant plus surpris par cette attaque que nous sommes en contact permanent avec l’avocate de la mère de famille et l’association Envol Isère Autisme, qui suit l’enfant. Et l’affaire est beaucoup plus complexe qu’il n’est dit. »
Une affaire complexe
Affaire complexe, on le comprend entre les lignes d’un rapport rédigé en juillet par Autisme France, très à charge lui aussi : « Aide sociale à l’enfance : la machine à broyer les familles d’enfants autistes ». Des pans entiers du dossier sont déballés ! Le conditionnel reste de mise, mais la mère pourrait avoir été considérée par la justice comme « pathologique » elle-même, selon les conclusions d’une expertise psychiatrique : syndrome de Münchhausen par procuration (syndrome très grave et très rare dans lequel la mère rend son enfant maladie pour se valoriser, ndlr) y compris pour les deux autres enfants non diagnostiqués autistes, et syndrome d’aliénation parentale -les deux parents séparés sont en conflit. Les associations ont la volonté de faire de cette affaire un cas d’école. Elles y voient une confirmation de ce qu’en France,
- l’idéologie psychanalytique dominante ne désarmerait pas et continuerait à culpabiliser les mères d’enfant autiste ;
- la pédopsychiatrie institutionnelle refuserait d’appliquer les recommandations de bonne pratique faites en 2012 par la Haute autorité de santé (HAS) et l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm). S’appuyant sur une conception développementale (neurologique) de l’autisme, ces recommandations prônent une prise en charge éducative et comportementale et non plus psychiatrique.
Une vision complotiste
Pour Autisme France, la psychanalyse aurait en quelque sorte noyauté le dossier isérois depuis l’hôpital de jour de Romans (Drôme), qui a effectué le signalement déclencheur au parquet, fin 2011 au moment où la mère souhaitait un autre type de prise en charge, jusqu’à l’expert psychiatre auquel le juge a eu recours, en passant par les travailleurs sociaux qui ont fait l’enquête. La vision paraît, certes, complotiste, mais on ne peut balayer d’un revers de main la réalité de ce que vivent les parents. Le 15 juillet, le tribunal administratif de Paris a d’ailleurs condamné l’État à verser 240 000 euros à 7 familles d’enfant autiste pour carences de prise en charge. Et ces mêmes parents, qui en font le choix, ne trouvent pas en institution (centres médico-psychologiques, centres médico-psycho-pédagogiques, hôpitaux de jour…) les méthodes éducatives type ABA ou Teacch dont l’efficacité est pourtant reconnue partout dans le monde. Ils doivent se tourner vers les professionnels libéraux. Lors de la présentation, le 16 avril dernier, d’un rapport d’étape du 3e Plan Autisme (2013-2017), Ségolène Neuville, secrétaire d’État en charge du Handicap l’a reconnu implicitement et a insisté sur l’application des recommandations des autorités de santé – « Il faut « agir encore plus vite et plus fort ». Avec un levier d’action important : la formation des professionnels de santé et d’accompagnement.
Instrumentalisation ?
Mais si la cause est juste, la cible est-elle la bonne ? Dans un communiqué de soutien à tous les professionnels de la protection de l’enfance de l’Isère « qui sont injustement discrédités sans pouvoir se défendre », l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (Ones) évoque « une campagne de diffamation » et, de la part de l’avocate de la mère, « une stratégie de défense bien connue (stratégie de rupture) qui consiste à porter devant les médias un débat qui ne peut être remporté devant le juge ». L’Ones répond à un certain nombre d’accusations, reprises parfois sans précaution dans la presse, et conclut : « Le fait que de nombreux enfants atteints d’autisme ne bénéficient pas d’une prise en charge adaptée, que de nombreuses places en établissements spécialisés manquent et que les parents soient pour certains livrés à eux-mêmes est déplorable pour un pays comme la France. Mais il est tout aussi déplorable d’instrumentaliser certaines défaillances dans la prise en compte de l’autisme et de ses spécificités pour légitimer toutes les accusations ».
Bientôt un rapport du Défenseur des Droits
20 enfants autistes seraient pris en charge par la protection de l’enfance sur un total de 284 000. Mais, en l’absence de statistiques, il ne s’agit d’une estimation. Le Défenseur des Droits s’est en tout cas saisi de cette question en l’élargissant au handicap en général. Un questionnaire a d’ailleurs été adressé à tous conseils départementaux par les services de Geneviève Avenard, défenseur des enfants. Le dossier fera l’objet du volet « Le défenseur des droits et la protection des droits de l’enfant » du rapport annuel qui sera remis au président de la République le 20 septembre.
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