« Le libre c’est une manière de penser et de remettre l’humain au centre plutôt qu’à plaquer des solutions des solutions développées par les géants américains de l’informatique », lance Jean-Christophe Becquet, président de l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre auprès du grand public, des entreprises et des institutions.
Garantir son indépendance vis-à-vis de tout monopole d’éditeur n’est pas un long fleuve tranquille. S’engager hors des sentiers déjà battus par les leaders américains de l’informatique demande un changement d’état d’esprit et une réelle motivation.
Mais pour l’heure, il reste un long travail d’évangélisation auprès des décideurs territoriaux, déjà engagé par les militants de la cause du libre. L’image du logiciel libre souffre encore du cliché du programme gratuit donc bricolé. « C’est l’effet Veblen (dit aussi effet de snobisme, ndlr), selon lequel la qualité de la machine est conditionnée par son prix aux yeux des clients potentiels. Pour contrer cela, il faut expliquer que des gens autorisés travaillent avec rigueur à l’échelle planétaire pour améliorer ces logiciels avec l’obligation de documenter leurs développements », argumente Jean-Christophe Becquet.
Les collectivités doivent mettre la main à la pâte pour contribuer aux développements de solutions propres à leurs métiers qui manquent encore (voir encadré), mais aussi accompagner les utilisateurs plus familiers des solutions grand public du marché.
« L’approche est double, morale et économique, affirme Christophe Lhardy, directeur informatique de Bezons (Val-d’Oise). Aujourd’hui les obstacles ne sont plus techniques mais psychologiques, il ne faut pas négliger l’accompagnement. On peut adapter les logiciels bureautiques pour qu’ils se rapprochent de l’ergonomie des environnements Apple ou Microsoft. Mais, comme lorsque l’on change de voiture, il y a toujours des commandes qui ne sont pas placées aux mêmes endroits. Avec les smartphones, beaucoup ont découvert Android, et s’y sont habitués, je m’appuie sur cet argument pour les convaincre”.
Licences gratuites, maintenance payante
« C’est un projet à long terme, ça ne se fait pas en un claquement de doigt. Il faut une volonté politique et des élus qui comprennent qu’il n’y a rien de pire pour une collectivité que d’être captive d’un éditeur qui ne lui donnera pas le modèle de ses données », indique François Aubriot, président du Ploss-Rhône-Alpes, un réseau d’entreprises qui ont pour seuls revenus les services proposés autour des logiciels libres. Au niveau national, elles se fédèrent autour du Conseil national du logiciel. Ce marché de 300 PME de proximité est moins visible que celui des réseaux de partenaires des grands éditeurs . « Bien sûr, il faut trouver un prestataire capable d’installer et de paramétrer un logiciel libre, reconnait-il. Mais l’on a le droit de se tromper et de changer de prestataire en conservant le même logiciel. »
Le modèle économique du logiciel libre repose sur les coûts de maintenance, similaires aux logiciels propriétaires. Les développements spécifiques sont remis en partage. « Dans le monde propriétaire, non seulement nous donnons de notre temps pour l’évolution de leurs logiciels, mais en plus nous payons les mises à niveau », explique Christophe Lhardy. La motivation du DSI n’est pas toujours suffisante. A Bezons, par exemple dans son équipe de 6,5 postes à l’informatique, seule une personne sait développer en environnement Linux…
Faute de temps ou de compétences, il faut se tourner vers un prestataire qui assurera la maintenance du logiciel et reversera ses nouveaux développements sur la plate-forme collective du logiciel choisi.
En Scop
L’Addulact, le plus important réseau mutualisé de collectivités en France, s’appuie sur ses 250 adhérents qui contribuent à l’amélioration des développements ou adhèrent par conviction pour assurer une veille et participer aux forums. Le lancement de nouveaux développements mobilisant plus de moyens financiers, l’association a créé Adullact Projet, une société coopérative et participative (Scop). « Pour créer une nouvelle application, il faut écrire du code et les projets ne sont pas toujours simples à répartir entre les équipes d’informaticiens de nos adhérents. La coopérative prend un risque et le finance sur ses fonds propres. C’est un cercle vertueux qui se finance sur les contrats de maintenance proposés pour accompagner l’installation », explique Pascal Feydel, délégué général de l’Adullact. Certes, la collectivités qui télécharge un logiciel sur notre forge a tendance à se tourner en priorité vers celui qui l’a développé ». Ce choix écarte de fait des entreprises du numérique libre qui souhaiteraient partager leurs logiciels. « L’éditeur d’un logiciel libre ne le mettra pas sur la forge de l’Adullact, parce qu’il est quasiment certain que le service sera fait par la coopérative », confirme François Aubriot président du Ploss Rhône-Alpes, un réseau d’entreprises qui ont pour seuls revenus les services proposés autour des logiciels libres.
Appels d’offres
Pour favoriser la réponse d’entreprises du logiciel libre, les appels d’offre doivent clairement s’affranchir des systèmes propriétaires. Ce qui est loin d’être le cas pour les appels d’offres en dessous de 300 000 euros qui précisent le plus souvent le type de PC ou de serveur, ce qui est pourtant illégal. A Bezons, par exemple, pour favoriser la réponse de prestataires du logiciel libre, Christophe Lhardy indique systématiquement des clauses techniques relatives aux caractéristiques d’une application fonctionnant sur le web, fondé sur des standards ouverts.
« En revanche, l’on peut indiquer l’exigence d’un socle de logiciels libres et lancer l’appel d’offre pour une mise en concurrence des services pour l’installation, la formation et la maintenance », ajoute François Aubriot. De plus cela favorise l’économie locale et nationale car pour 100 euros investis dans un logiciel propriétaire, seul 10 profitent à l’économie nationale, avec le libre, ces 100 euros restent en France. »
La question peut donc se poser au moment d’un renouvellement. « Dernièrement, suite à un appel d’offre pour la téléphonie des services de la mairie, nous avions une réponse en offre libre. Nous étions à deux doigts de basculer mais les équipements étaient plus chers que l’offre directe du constructeur. Je défends cette cause mais pas à n’importe quel coût, avec le temps je suis devenu pragmatique, confie Christophe Lhardy. Je n’avance plus en franc-tireur. »
10 arguments pour le logiciel libre
- Licences gratuites
- L’économie réalisée sur le coût des licences peut être investi dans la formation
- Pérennité des investissements
- Les logiciels libres utilisent des formats de données normalisés qui permettent l’interopérabilité(1) et la conservation des données à long terme
- Conserver la maîtrise des solutions métier pour éviter d’être captif d’un éditeur
- Faciliter l’innovation en interne dans une équipe dédiée
- Des applications 100% compatibles avec le web
- Gain d’argent public grâce à la mutualisation des développements des collectivités
- Soutien à l’économie locale et nationale
- Faciliter l’open data. Les données créés ont des formats ouverts nativement
- Liberté de quitter son prestataire en cas de non satisfaction sans changer de logiciel
6 freins à lever
- Engagement politique des élus.
- Un directeur des systèmes d’information convaincu.
- Créer des communautés de développeurs territoriaux pour les logiciels métier qui n’ont pas d’alternatives libres (finances, ressources humaines, état civil…).
- Préparer les appels d’offres en favorisant la réponse des entreprises de service du numérique libre et conditionner le contrat au partage des développements spécifiques.
- Évaluer le coût de la bascule d’un environnement propriétaire vers un environnement open source. Les gains s’évaluent à long terme. C’est un investissement en temps et prestations d’accompagnement.
- Former les compétences en interne qui n’ont jamais développé sous Linux au cours de leur carrière ou recourir à des services de maintenance externes.
Références
Vers une société durable : les horizons ouverts par les logiciels libres, thèse de Sébastien Saunier
Thèmes abordés
Notes
Note 01 L’interopérabilité est la capacité que possède un produit ou un système, dont les interfaces sont intégralement connues, à fonctionner avec d'autres produits ou systèmes existants ou futurs et ce sans restriction d'accès ou de mise en œuvre, définition AFUL. Retour au texte