Aux Pays-Bas, 45 % du territoire se trouvent sous le niveau de la mer. Mais cela n’inquiète nullement les habitants. « Cela fait partie de notre culture », reconnaît Erik Faber, maire adjoint de Kampen (55 000 hab.), chargé de l’eau, de la biodiversité, de l’électricité, de l’énergie et de la participation du public.
Mais cette sérénité résulte aussi d’une expertise en ingénierie hydraulique que le pays a développée au fil des ans, en construisant un vaste réseau d’aménagements et d’ouvrages de régulation de l’eau.
L’emblématique plan Delta
En 1953, d’importantes inondations ont pourtant pris ce dispositif en défaut. C’est à ce moment-là qu’a été lancé l’emblématique plan Delta, porté par la Rijkswaterstaat, l’agence d’Etat gérant les infrastructures d’eau et de transports. La réalisation de nouveaux ouvrages de protection face aux inondations maritimes venues de la mer du Nord a été programmée. Récemment, il a fallu revoir ce plan en intégrant les impacts du changement climatique, qui pourraient entraîner une élévation du niveau de la mer de 65 à 130 centimètres à l’horizon 2100. C’est ainsi que l’Afsluitdijk, la plus grande digue des Pays-Bas construite en 1932, longue de 32 kilomètres et haute de 7,25 mètres, a été surélevée de plus de deux mètres, pour un montant de 550 millions d’euros.
L’Etat a également lancé le programme DPRA pour inciter les collectivités à élaborer des stratégies locales d’adaptation climatique et de prise en compte des nouveaux risques liés à l’eau. La ville de Kampen s’y est engouffrée : « Nous avons pris conscience qu’il fallait anticiper ces risques et nous nous sommes emparés de la méthode du dispostif basée sur sept axes de travail », raconte Stan Vergeer, conseiller « eau » de Kampen. Certes, la ville est protégée, au nord, par le barrage de l’Afsluitdijk. Mais elle fait face aux crues importantes de la rivière qui la traverse, l’Ijssel. Connectée au Rhin, celle-ci est soumise aux pluies qui s’abattent sur l’Allemagne et la Suisse et qui, avec le changement climatique, sont plus intenses et fréquentes. « L’Ijssel, c’est à la fois une richesse et une menace », souligne l’élu.
Anticiper les impacts
En appliquant la méthode du DPRA, les services de la ville ont pu mesurer tous les impacts potentiels liés au changement climatique. Ainsi, en utilisant la modélisation, ils ont identifié les points bas de la ville où l’eau stagnerait lors d’une inondation.
Les propriétaires des habitations concernées ont été informés, le réseau d’assainissement redimensionné, et les documents d’urbanisme ont intégré de nouvelles exigences. Tout nouveau projet immobilier doit ainsi être en mesure de retenir un volume de précipitations de 70 millimètres. « Cela a conduit un promoteur à devoir installer un bassin tampon de 185 mètres cubes sous un parking », détaille l’expert. Dans la même logique, les risques liés aux îlots de chaleur urbains ou à l’assèchement des sols ont été analysés.
En octobre 2023, un autre chantier d’envergure a pris fin : la création d’un bras de rivière en amont de Kampen, pour détourner une partie de l’Ijssel et améliorer sa régulation. « Ce projet nous a pris quinze ans. Il comporte une zone inondable qui a déjà servi une fois cet hiver », précise Stan Vergeer. Avant cela, un procédé assez inédit – et toujours actif – avait été mis en place : une barrière démontable de 1,5 kilomètre de long, qui protège le centre-ville d’une inondation. Le dispositif repose sur quelques barrières hydrauliques qui sortent du sol, sur les murs des maisons servant de remparts et, surtout, sur 130 panneaux démontables en aluminium qu’il faut alors installer.
Une brigade de volontaires a été formée à cet effet (il existe même une liste d’attente pour en faire partie). En cas d’urgence, il faut être sur zone en une heure. Active depuis quinze ans, elle n’a heureusement dû intervenir qu’une fois.
Trois soufflets de 80 mètres
Enfin, le danger peut aussi provenir du puissant vent de la mer du Nord, qui pousse l’eau dans le sens inverse de l’écoulement de l’Ijssel.
Pour s’en prémunir, la Rijkswaterstaat a construit, en 2002, en aval de Kampen, un ouvrage unique au monde : une barrière gonflable qui se déploie grâce à trois soufflets de 80 mètres de long chacun, 15,4 mètres de large et 10 mètres de haut. « Depuis 2012, elle a servi huit fois », précise Stan Vergeer, en démontrant ainsi l’utilité.
Programme DPRA : le Delta Programme for Spatial Adaptation vise à développer des stratégies locales d’adaptation au changement climatique. Parmi ses sept actions : établir un diagnostic de vulnérabilité et une stratégie associant les parties prenantes.
Contact : Stan Vergeer, conseiller « eau » de Kampen, s.vergeer@kampen.nl
Les poissons se fraient un chemin
Afsluitdijk, un nom imprononçable pour qui ne parle pas le néerlandais, est connu de tous les habitants. Cette digue emblématique, de 32 kilomètres de long, sépare les eaux de la mer du Nord du gigantesque lac d’eau douce de l’Ijsselmeer. Lorsque le niveau de la mer est inférieur à celui du lac, un système permet à l’eau douce de s’écouler.
Les poissons les plus puissants en profitent pour se faufiler et suivre leur instinct en remontant les rivières. Mais les plus faibles en sont incapables. Chaque année, ils sont près de 200 millions à chercher un passage. En vain. Critiqué par les associations écologistes, l’Etat a finalement décidé de profiter des travaux de rehaussement de la digue pour construire une énorme passe à poissons. L’addition sera salée : 55 millions d’euros. La fin des travaux est prévue en 2025.
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