Un article récent de La Gazette répercutait l’écho de la prochaine loi de finances. Une nouvelle année de transition sur les indicateurs de richesse. Rien d’étonnant, le système ne fonctionne plus. Rien de vraiment nouveau. A force de dérégler et de rerèglementer les ressources locales, il devient compliqué de réinventer une cohérence.
Dans ce marasme, l’idée commune de France Urbaine soutenue par les représentants de l’Afigese prend la lumière. Il faudrait supprimer la Dotation nationale de péréquation (DNP). Elle serait beaucoup moins efficace en matière de péréquation que les autres dotations de solidarité rurale (DSR) ou urbaine (DSU). Il s’agirait de reventiler une péréquation sur les seuls produits (la DNP) vers une péréquation basée sur les charges (DSU et DSR). Basculer de la mauvaise péréquation vers la bonne en somme. Pourquoi pas.
Toutefois, avant de crier haro sur l’outil, il convient d’observer plus précisément le sujet qu’on évoque et ce qu’il produirait comme effet… et surtout ce que la reventilation de ce produit sur les deux autres dotations de péréquation génèrerait.
De quels enjeux parle-t-on ?
La Dotation nationale de péréquation (DNP) pèse 794 M€ dont 6 % sont gagés sur les territoires d’outre-mer. 746 M€ se concentrent donc sur les communes métropolitaines. Très complexe, cette enveloppe se réfère aux indicateurs de richesse hérités du passé. 15 143 communes sont éligibles et 337 en voie de sortie ce qui prélève une somme d’un peu moins de 2 M€. Pour le reste, elle se répartit en deux blocs. Une pour les communes qui conjuguent potentiel fiscal modeste et effort fiscal élevé : la part principale (573 M€). L’autre pour les communes de moins de 200 000 habitants disposant d’une part de potentiel fiscal économique bien plus faible que la moyenne : la part majorée (171 M€). Dans les communes de plus 10 000 habitants en métropole, 661 bénéficient de la DNP.
En face la Dotation de solidarité urbaine (DSU) est jugée plus juste. Elle pèse trois fois plus avec 2 320 M€ répartis sur les communes urbaines de métropoles : 691 communes de plus de 10 000 habitants, 124 communes de 5 à 10 000 habitants. Dans le présupposé de France urbaine, elle représenterait une garantie de meilleure péréquation. Sa récente réforme aboutit à ce que la situation sociale des habitants représente 70 % des critères d’affectation avec un système de pondération complexe. Elle s’appuie ainsi principalement sur le revenu moyen des habitants, la part de logements sociaux dans le parc ainsi que la part de population percevant des aides au logement.
661 communes de 10 000 habitants d’un côté, 691 de l’autre. Quel intérêt y aurait il à une reventilation des sommes de la DNP ? Simplement, ce ne sont pas les mêmes bénéficiaires. Sur les actuels bénéficiaires de la DNP, environ la moitié seulement perçoivent les deux types de dotation, 2 % des communes sont sur l’un ou l’autre des dispositifs de sortie, 17 % des communes ne perçoivent aucune des deux dotations. Surtout 17 % perçoivent seulement de la DSU et 14 % seulement de la DNP.
En apparence, il s’agit donc de reventiler des produits entre ce petit tiers de commune de 10 000 habitants soit tout de même 316 communes. Est-ce que cela est pour autant juste ?
Qu’est-ce-qui caractérise les 173 bénéficiaires de la DSU seule par rapport aux 143 bénéficiaires de la DNP seule ?
Pour les 173 bénéficiaires de la seule DSU, l’explication est simple : deux tiers de ces allocataires uniques disposent d’un potentiel financier supérieur à la moyenne des plus de 10 000 habitants. Pour les autres communes, elles ont le plus souvent un niveau d’effort fiscal inférieur à la moyenne. Il existe seulement une quinzaine de cas où les communes ont des potentiels proches de la moyenne. La dotation nationale de péréquation agit donc comme une garantie de meilleure prise en compte du niveau de richesse et de pression fiscale des communes. Elle justifie intrinsèquement la précédente réforme de la DSU… qui a abaissé le poids du potentiel financier dans les critères !
Pour les 143 allocataires de la seule DNP, on comprend plus aisément pourquoi cette péréquation interroge. 85 des 143 communes bénéficiaires de ces seules dotations hébergent une population dont les revenus moyens sont 10 % supérieurs à la moyenne nationale… des banlieues ou stations balnéaires cossues ont moins besoin de péréquation que d’autres. Si ce constat choque, ne suffirait-il pas d’ajouter un critère d’exclusion sur le revenu des habitants pour ventiler sur les autres communes plutôt que de risquer un bouleversement bien plus grand ? Il en reste 58 autres qui ne perçoivent pas de DSU. Pourquoi ? Pour insuffisance de logements sociaux… Très bien mais aussi par une réalité particulière. Une trentaine de ces communes ont un parc de logement constitué à plus de 10 % de résidences secondaires. Si on enlève ses résidences secondaires dans le total des logements à Briançon, son taux de logements sociaux sur le parc des résidences principales devient supérieur à la moyenne. Ce biais mathématique joue aussi pour le critère de la population percevant des APL rapporté au parc de logement. Dans la commune d’Argelès-sur-mer, si on supprime le parc les résidences secondaires, le taux passe à 70 % alors qu’il est de 17 % pour les critères DSU. Schématiquement, ces communes touchent seulement de la DNP parce que leur taux de résidents secondaires les rend inéligibles à vie à la DSU… Ces 18 M€ de DNP dont un tiers se répartit sur Nice, Fréjus et Hyères constituent une forme de dotation touristique péréquée complémentaire. Elle disparaitrait dans une relative impunité car les résidents principaux d’Agde ou d’Hendaye ne sont pas riches pour autant.
Pourquoi ce raisonnement dysfonctionne pour les communes de moins de 10 000 habitants ?
En premier lieu, il convient de souligner que 140 communes de 5 à 10 000 habitants seront les principales bénéficiaires et c’est relativement juste. Elles perçoivent 107 M€ de la dotation de solidarité urbaine en plus des fonds dédiés à la dotation de solidarité rurale. Elles cumulent toutes les dotations de solidarité…. Et, dans chacune des enveloppes, c’est sur la DNP qu’elle capte la plus faible part des enveloppes : 2,3 % de la DNP, 3 % de la DSR et 4,6 % de l’enveloppe de DSU.
En revanche, le raisonnement de justice péréquatrice s’essouffle sur l’analyse de la réalité de la dotation de solidarité rurale. Il devient plus délicat d’y dupliquer le raisonnement de France urbaine de bascule de la mauvaise vers la bonne péréquation. La DSR se ventile en trois blocs.
La fraction Bourg-centre s’appuie essentiellement sur l’écart au potentiel fiscal moyen des communes de moins de 10 000 habitants avec des pondérations par l’effort fiscal et la présence en zone de revitalisation rurale… et il s’agit de 37 % de l’enveloppe répartie. Et c’est bien de la péréquation sur les produits, comme la DNP !
La fraction dite de péréquation représente 40 % de l’enveloppe et dispose bien des critères de charges et de produits. Avec des limites imperceptibles pour les zones urbaines. D’une part, quand deux tiers des communes perçoivent de la DSU, ce sont 97 % des communes qui la perçoivent. D’autre part, les critères de charges s’avèrent plus discutables. Outre la longueur de voirie qui peut s’entendre, la répartition prend en compte la part de population d’enfants de 3 à 16 ans. Il est aujourd’hui compliqué de comprendre en quoi les collégiens constituent un élément de charge pour les communes rurales… en tout cas pas plus que la part des personnes de plus de 75 ans voire d’enfants de 0 à 3 ans. Enfin, pour mixer charges et produits, un potentiel financier superficiaire est calculé… ce dernier a également pour effet de diluer les potentiels financiers élevés des communes de grandes tailles disposant de ressources. Ici, point de revenu pour la péréquation… ce schéma de « péréquation » n’a rien à voir avec celui des communes de plus de 10 000 habitants.
De plus, la DSR dispose d’une part plus péréquée dite cible. Enfin, le revenu entre en jeu. Mais uniquement comme filtre pour en bénéficier. La répartition sur les charges prend toutefois en compte les mêmes éléments et avec les mêmes limites que pour la fraction péréquation.
En substance, la répartition de la DNP par le filtre de la DSR en zone rurale ne garantit en rien une meilleure justice de la répartition. Contrairement au caractère vertueux de la DSU, il conviendrait probablement de repenser un système assez peu opérant…
Que se passerait-il pour les communes urbaines si la DNP était répartie selon les critères DSU ?
Si on s’arrête sur les communes métropolitaines de plus de 10 000 habitants, elles captent 42 % de la DNP ce qui offrirait une nouvelle somme à répartir de 332 M€. On peut estimer ce que pourrait donner cette reventilation de la DNP vers la DSU souhaitée par France urbaine. Bien entendu, ce genre de réforme s’étalerait dans le temps et il y aurait d’autres effets de la loi de finances voire d’autres abonnement. Pour autant, cela permet de mesurer le sens d’une telle mesure.
Les résultats de cette estimation montrent que seule 56 % des communes « DSU » bénéficient d’une hausse globale de la péréquation. En effet, 311 communes sur les 695 éligibles perdent des ressources en transférant les subsides de la DNP sur la DSU. Les premiers rangs du classement correspondent aux communes qui ont le plus de besoins et les effets indésirables de cette mesure ne les épargnent pas. Sur les 200 « premières » communes DSU, les plus en difficultés, on trouve 51 perdantes soit un quart des communes les plus en difficulté. Tourcoing, située au 73ème rang des communes les plus en difficulté perdrait près de 1 M€ : privée de 3,5 M€ de DNP, elle toucherait 2,5 M€ de DSU supplémentaire. Pire, Poitiers qui figure au 90ème rang en serait pour 2 M€ de perte avec une DNP qui lui octroie 4 M€ et une future croissance de la DSU à 2 M€.
A l’opposé, 37 communes gagneraient plus de 1 M€ de fonds péréqués… avec au sommet la commune de Saint-Denis mais également Vénissieux, Vaulx-en-Velin, Le Havre et la Courneuve… 5 communes qui ne perçoivent pas de DNP aujourd’hui parce qu’elles ont un fort potentiel financier ce qui signifie qu’elles ont plus de facilité que d’autres à faire face aux besoins de leur population.
Pour finir avec une forme d’ironie sur les résultats de ces simulations, on peut regarder les résultats pour les villes de plus de 150 000 habitants… représentées par France Urbaine
Code INSEE de la commune | Nom de la commune | Population INSEE de l’année N | Rang de classement à la DSU | DNP 2021 | Hausse potentiel DSU produite par la DNP | Ecart Hausse DSU – DNP |
06088 | NICE | 343 889 | 768 | 3 292 833 | 0 | -3 292 833 |
83137 | TOULON | 178 065 | 401 | 4 439 315 | 1 600 945 | -2 838 370 |
33063 | BORDEAUX | 260 352 | 715 | 1 809 959 | 0 | -1 809 959 |
31555 | TOULOUSE | 491 942 | 460 | 5 163 198 | 3 515 274 | -1 647 924 |
69123 | LYON | 525 236 | 695 | 2 494 876 | 860 270 | -1 634 606 |
44109 | NANTES | 319 284 | 492 | 3 512 317 | 2 063 501 | -1 448 816 |
13055 | MARSEILLE | 874 619 | 308 | 13 601 022 | 12 741 161 | -859 861 |
30189 | NIMES | 151 875 | 186 | 3 913 524 | 3 085 777 | -827 747 |
35238 | RENNES | 221 898 | 305 | 3 073 676 | 2 689 868 | -383 808 |
49007 | ANGERS | 157 577 | 223 | 2 932 535 | 2 608 435 | -324 100 |
21231 | DIJON | 160 186 | 548 | 811 003 | 734 888 | -76 115 |
34172 | MONTPELLIER | 293 410 | 202 | 4 887 960 | 5 054 989 | 167 029 |
42218 | SAINT-ETIENNE | 175 057 | 243 | 1 837 398 | 2 556 540 | 719 142 |
59350 | LILLE | 235 189 | 254 | 3 171 792 | 4 045 231 | 873 439 |
38185 | GRENOBLE | 159 855 | 472 | 0 | 1 166 443 | 1 166 443 |
67482 | STRASBOURG | 287 532 | 274 | 2 877 754 | 4 378 674 | 1 500 920 |
69266 | VILLEURBANNE | 151 727 | 329 | 6 496 | 1 539 536 | 1 533 040 |
76351 | HAVRE | 171 587 | 267 | 0 | 2 698 198 | 2 698 198 |
51454 | REIMS | 185 211 | 175 | 611 967 | 3 473 891 | 2 861 924 |
Il semble que ces résultats bruts interrogent sur la pertinence même d’une telle réforme. Dans la plupart des cas considérés ici, l’effort fiscal est élevé. Quel intérêt aurait une réforme qui priverait Marseille de 800 k€ avec son effort fiscal élevé, ses modestes revenus des habitants et et son potentiel financier inférieur à la strate ? Peut-être juste donner le sentiment que Marseille est souvent un perdant des réformes puisque cette dernière a déjà perdu 2 M€ de FPIC avec la création de la Métropole.
L’analyse sommaire réalisée ici montre surtout qu’une « petite réforme » creuse de nouveaux déséquilibres même s’il s’agit d’une petite dotation obsolète. Faut-il pour autant renoncer à refondre les relations financières entre l’Etat et les collectivités ? Certainement pas. En revanche, il faut en revenir à une approche globale comme avait tenté de le faire le duo de députés Christine Pirès-Beaune / Charles Guéné en leaders techniques de leur Assemblée… une mission pour 2023 très probablement.
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