Ses coups de sang étaient légendaires. Au fil des congrès d’élus locaux et des débats au Sénat, le maire (LREM) du Mans, Jean-Claude Boulard ne perdait jamais une occasion de pourfendre « l’incontinence normative ». La figure du Comité des finances locales, président de la commission Finances et fiscalité de France Urbaine, avait la dent dure contre la technostructure.
Un sacré paradoxe pour cet énarque conseiller d’Etat. Mais Jean-Claude Boulard était ainsi : inclassable. Romancier à ses heures, l’ancien secrétaire général de la marine marchande se montrait intarissable sur la langouste et la pêche à la sardine. La mer lui inspira plusieurs ouvrages.
Artisan du RMI et de la CMU
L’ancien écolier de Saint-Marceau, dans la Sarthe, était aussi un terrien, enraciné depuis plus de quatre décennies dans les collectivités de son département. Après ses premiers pas comme conseiller général du canton de Ballon, il avait décroché la députation en 1988 au Mans, sous la bannière socialiste. Proche de Michel Rocard, il avait porté le RMI sur les fonts baptismaux à l’Assemblée. Une décennie plus tard, le parlementaire avait remis ça avec la CMU.
En plein milieu de ces années fastes, Jean-Claude Boulard avait subi une épreuve : une mise en examen dans l’affaire « Urba » du financement délictueux du PS. Une blessure indélébile. Jean-Claude Boulard vouait une haine féroce aux magistrats.
Grand baron local
Il était arrivé en 2001 à la tête de l’hôtel de ville du Mans, après le règne XXL du communiste refondateur Robert Jarry. Son mandat fut marqué par la relance des 24 heures du Mans, la desserte ferroviaire mancelle, le développement de l’université, le devenir du site industriel de Renault ou encore la première charte « gay friendly » en France.
Au sein de son équipe municipale, le septuagénaire avait mis sur la rampe de lancement la future secrétaire d’Etat d’Emmanuel Macron, Marlène Schiappa. Elle était devenue adjointe au maire en 2014.
Vieux disciple de la deuxième gauche, Jean-Claude Boulard s’était d’ailleurs reconnu très tôt dans le jeune ministre de l’Economie. Ce grand baron local PS voyait dans Emmanuel Macron le meilleur moyen d’en finir avec les diktats de la rue de Solférino.
Ardent réformateur
Atteint d’un cancer, Jean-Claude Boulard a tenu les commandes de sa mairie et de sa communauté urbaine jusqu’au bout. À l’occasion du dernier round de la Conférence nationale des territoires, le 14 décembre 2017, il avait même hérité d’une mission sur les normes, avec son éternel complice, Alain Lambert.
Préfigurateur de l’ANPE, lorsque, jeune haut fonctionnaire, il œuvrait au commissariat général au Plan, Jean-Claude Boulard gardait, sous ses dehors grognons, l’ardeur des réformateurs.
L’apôtre des finances locales libres
Inclassable, bourru, fantasque, Jean-Claude Boulard disparu le 1er juin ne cadrait pas vraiment avec l’idée reçue qu’on se fait d’un expert en finances. Il a pourtant été un fin connaisseur de la fiscalité locale et pourfendeur de l’intervention étatique dans la gestion financière des collectivités, jusqu’à son récent soutien avec la contractualisation financière mise en place par le gouvernement Philippe, qu’il appelait de ses vœux par loyauté – nouvelle – à LREM, mais qu’il aurait probablement pourfendu quelques années avant, tant il était attaché au principe d’autonomie financière et fiscale des collectivités.
Il n’était pas exempt d’autres contradictions : opposé à la réforme de la taxe professionnelle, mais favorable à une différenciation d’appréciation selon l’intensité capitalistique ou le secteur d’activité des entreprises, soucieux de la bonne gestion des deniers publics, mais initiateur de projets pharaoniques comme le stade MMArena qui s’avéra être un gouffre financier, attaché à la transparence mais peu ouvert au partage de certaines données financières… C’était sa liberté, au même titre que celle qu’il défendait pour les collectivités.
Cédric Néau
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