A l’occasion de la présentation du rapport de l’économiste italien Fabrizio Barca à Paris sur la réforme de la politique régionale, la conseillère au think-tank Notre Europe, Marjorie Jouen, revient sur les propositions du texte. Selon elle, la réforme de la méthode compte plus que l’augmentation des fonds.
Quel enseignement tirez-vous de ce rapport ?
Que l’on peut redonner une ambition politique et sociale à la politique de cohésion et en faire autre chose que ce qu’elle est devenue. Aujourd’hui, les enjeux attachés à cette politique se limitent à un débat de chiffres entre Etats membres, et sur le terrain à une série de mesures sectorielles. Fabrizio Barca montre que l’on peut redessiner cette politique en en faisant un outil de l’intégration européenne, en y incluant la dimension de cohésion territoriale, la lutte contre l’exclusion et les inégalités.
En quoi le débat français sur ces questions est-il spécifique ?
En France, la politique de cohésion est moins perçue dans sa dimension économique que dans sa dimension politico-administrative des relations entre les autorités locales, régionales, départementales et l’Etat central. On conserve une représentation assez classique du développement, même si au cours des 15 dernières années on a commencé à faire évoluer certaines choses en matière de développement rural avec LEADER, et de développement urbain avec URBAN.
Nous restons très en-deçà d’autres pays qui ont avancé beaucoup plus vite et plus loin, en mettant au point de véritables politiques de développement régional.
Dans son rapport, M. Barca propose la mise en place d’un contrat entre les Etats et la Commission au début de chaque programmation. Mais n’est-ce pas un système qui ressemble à l’actuel ?
La nouveauté proposée par M. Barca, c’est un engagement sur la méthode et les objectifs. Il a bien expliqué que le plus important c’était les résultats au regard des enjeux politiques -comme l’innovation, l’immigration, l’adaptation au changement climatique -, et pas simplement les résultats chiffrés. Par exemple, il ne s’agit pas de se focaliser sur le nombre de personnes formées grâce aux fonds communautaires, mais sur l’objectif que l’on voulait atteindre en formant ces personnes, pour améliorer leur niveau de vie, leur insertion professionnelle, etc.
La notion de contrat qu’évoque Barca dans son rapport a été un peu dévoyée en France. On a tellement pratiqué à outrance des contrats inégaux entre l’Etat et les régions, que la formule paraît suspecte maintenant. Pourtant, c’est la seule technique qui permette un engagement de moyen ou long terme entre des institutions. Encore faut-il que les signataires du contrat agissent comme des partenaires.
Le rapport affirme que la politique de cohésion est en danger de mort, et que les solutions qu’il avance sont les seules à pouvoir la sauver. Qu’en pensez-vous ?
Fabrizio Barca est assez lucide sur la dégradation progressive de la politique de cohésion, à chaque programmation, en tant qu’enjeu au sein du débat budgétaire. Depuis longtemps, on sait que la politique agricole commune est la cible à abattre pour de nombreux Etats membres. Jusqu’à présent, on pensait que la politique de cohésion, dont le poids budgétaire a beaucoup augmenté, au point de devenir la principale dépense européenne, était à l’abri de ce phénomène car elle avait montré son efficacité et qu’elle était fortement soutenue par les pays et les régions les plus pauvres. Mais d’une programmation à l’autre, les ambitions se réduisent.
Il est tout à fait imaginable que lors de la prochaine négociation budgétaire, de nombreux Etats membres poursuivent des stratégies très égoïstes. On pourrait alors se retrouver avec une politique régionale a minima. Ce qui serait pire que de ne pas avoir de politique du tout.
Dans son rapport, M. Barca évoque beaucoup la méthode, mais assez peu les chiffres. Il ne parle pas d’augmentation des fonds, par exemple…
L’augmentation des fonds n’est pas le premier problème. On a par exemple octroyé des enveloppes budgétaires pour les années 2007-2013 à des pays qui n’ont pas toujours la capacité réelle de les dépenser, parce qu’ils doivent cofinancer les projets ou que les administrations ne disposent pas des compétences techniques pour mener à bien de grands projets. Dans d’autres cas, les administrations renoncent à poursuivre certains programmes parce que les procédures de contrôle financier sont disproportionnées par rapport aux montants. Finalement, ces sommes vont être perdues pour tout le monde. Cette situation est ridicule : les gouvernements se battent pour des sommes qu’ils sont incapables de dépenser.
Du coup, il est autrement plus important de se concentrer sur le changement de méthode, afin de bien dépenser l’argent et d’atteindre des objectifs concrets.
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