Anthropologue de formation puis chargée d’études sur la laïcité à la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et membre de l’Observatoire de la laïcité, Dounia Bouzar est « convaincue d’être face à un phénomène similaire à celui des sectes » précise le quotidien catholique La Croix dans son édition du jeudi 20 février.
C’est ce qui a motivé cette ancienne éducatrice spécialisée, de confession musulmane, à fédérer « travailleurs sociaux et spécialistes des dérives sectaires pour mieux prévenir les radicalisations » dans le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’Islam (CPDSI) qu’elle va prochainement mettre en place.
Information préventive – Objectif : créer des supports pédagogiques pour « informer et former » sur les manières de repérer un jeune qui bascule, notamment via des conférences, des publications, des ateliers…
Regrettant que rien ne bouge alors que cela fait « des années » qu’elle lance un « cri d’alarme à l’adresse des politiques », elle a décidé de lancer elle-même cette structure de recherche et de prévention sur la radicalisation des jeunes musulmans.
La France ne connaît pas la prévention – Cette initiative citoyenne fait écho au propos du sociologue Samir Amghar, pour qui « depuis les attentats de 1995, la France ne lutte contre le terrorisme et l’extrémisme que par des politiques répressives et sécuritaires, jamais préventives, contrairement au Royaume-Uni par exemple. Les responsables politiques sont aujourd’hui désemparées pour prévenir la radicalisation des jeunes ou pour les réinsérer. »
Plusieurs « cellules d’alerte et de ressources », qui seraient tout à la fois « relais d’accueil, d’écoute et de partage pour les familles » doivent être créées par cette nouvelle association, a-t-elle fait valoir. Les premières verront le jour en région parisienne, à Rennes, Montbéliard et Grenoble.
En partenariat avec les élus locaux – Pourquoi le choix de ces villes ? Parce que Dounia Bouzar y a déjà formé des travailleurs sociaux sur la radicalisation. Les élus seront sollicités pour aider au montage financier de l’opération : « je vais aller voir les responsables politiques, nationaux et territoriaux, tous ceux qui me soutiennent depuis des années, et leur demander de s’engager concrètement. »
S’il le radicalisme musulman « ne concerne que la minorité de la minorité, le phénomène qui touchait il y a une dizaine d’années, principalement de jeunes « sans père ni repère », concerne aujourd’hui une frange de la population élargie, des jeunes souvent fragilisés et qui ont en commun de ne se sentir d’aucun territoire » expliquait-t-elle dans une interview accordée fin janvier, toujours à La Croix.
Amalgame contreproductif – « La société doit cesser de fermer les yeux. Beaucoup d’élus ou de responsables de terrain craignent de passer pour ‘islamophobes’ ou de faire monter le Front national en s’attaquant au problème : mais ce qui est ‘islamophobe’, c’est d’entretenir la confusion entre musulmans et radicaux […] c’est de se montrer laxiste vis-à-vis des radicaux sectaires, tout en harcelant les simples musulmans pratiquants. Amalgamer islam et radicalisme, c’est aller dans le mur » continue-t-elle.
C’est ce que ferait, selon elle, la France depuis des années. « On réprime exagérément certains musulmans pratiquants qui veulent vivre en paix – les mères voilées désireuses de s’intégrer à la société et d’accompagner les sorties scolaires, par exemple –, et à l’inverse, fait preuve de laxisme à l’égard des radicaux. »
Selon elle, cette dichotomie entre radicalisme et religion est néfaste pour la République. « Plus il y aura de musulmanophobes, plus il y aura de radicaux musulmans » développe Dounia Bouzar.
Références
- Lire l'article de La Croix : "Radicalisation islamiste, un premier centre de prévention créé en France"
- Entretien de Dounia Bouzar à La Croix : « Les radicaux musulmans profitent de l’ignorance sur l’islam en Occident »
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