Dans le cadre de la rĂ©glementation applicable en vertu de la loi « Sapin », les contrats de dĂ©lĂ©gation de service public (DSP) sont obligatoirement soumis Ă une procĂ©dure de publicitĂ© donnant lieu Ă plusieurs offres concurrentes. Avant l’entrĂ©e en vigueur des dispositions de l’ordonnance du 29 janvier 2016, la seule exception admise relevait des termes de l’ancien article L.1411-8 du code gĂ©nĂ©ral des collectivitĂ©s territoriales (CGCT) selon lequel, dans le cas oĂą, après mise en concurrence, aucune offre n’avait Ă©tĂ© proposĂ©e ou lorsque seules des candidatures irrecevables ou des offres inappropriĂ©es avaient Ă©tĂ© dĂ©posĂ©es, la personne publique disposait de la facultĂ© d’ouvrir une nĂ©gociation directe avec une entreprise. Aucune autre exception n’Ă©tait admise par le CGCT.
Le caractère « transitoire » d’une convention de DSP ne pouvait, en aucun cas, constituer un fondement juridique permettant de justifier le recours Ă une procĂ©dure sans mise en concurrence. A ce stade, il peut ĂŞtre prĂ©cisĂ© que la rĂ©cente transposition de la directive 2014/23/UE par l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 et le dĂ©cret n° 2016-86 du 1 er fĂ©vrier 2016 relatif aux contrats de concession ne remet pas en cause fondamentalement ce dispositif.
Dans le cadre du nouvel encadrement juridique applicable depuis le 1er avril 2016, les dispositions prĂ©citĂ©es des articles L.1411-1 et suivants du CGCT ont certes Ă©tĂ© modifiĂ©es mais demeurent applicables aux contrats de dĂ©lĂ©gation de service public – lesquels forment une sous-catĂ©gorie relevant du rĂ©gime des concessions de service public. Par renvoi aux dispositions de l’ordonnance du 29 janvier 2016, l’autoritĂ© dĂ©lĂ©gante demeure libre de dĂ©terminer la procĂ©dure applicable, en fonction de la valeur globale et de l’objet de la convention.Lorsque le montant du contrat est infĂ©rieur au seuil d’application de la directive 2014/23/UE – Ă savoir, en dernier lieu, 5 225 000 &euro HT – ou lorsque son objet, quel que soit son montant, porte sur certains services, l’autoritĂ© dĂ©lĂ©gante peut choisir de recourir Ă une procĂ©dure « adaptĂ©e ».
Dans les autres situations, l’autoritĂ© dĂ©lĂ©gante est tenue de recourir, conformĂ©ment aux dispositions de la directive 2014/23/UE, Ă une procĂ©dure formalisĂ©e. Mais, dans tous les cas, l’autoritĂ© dĂ©lĂ©gante demeure tenue de respecter les principes gĂ©nĂ©raux de la commande publique, rappelĂ©s Ă l’article 1er de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016, tenant Ă la libertĂ© d’accès Ă la commande publique, l’Ă©galitĂ© de traitement des candidats et la transparence des procĂ©dures. Du reste, dès avant la transposition de la directive 2014/23/UE, il Ă©tait dĂ©jĂ considĂ©rĂ© que les contrats de dĂ©lĂ©gation de service public devaient ĂŞtre conclus en conformitĂ© avec les principes gĂ©nĂ©raux du droit de la commande publique (1) et en respectant un degrĂ© de publicitĂ© adĂ©quat, propre Ă assurer le respect du principe de non-discrimination (2).
Admission de la prorogation pour motif d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral
IndĂ©pendamment des obligations gĂ©nĂ©rales de publicitĂ© et de mise en concurrence applicables aux contrats de dĂ©lĂ©gation de service public, en lien avec les dispositions (aujourd’hui abrogĂ©es) de l’article L.1411-2 du CGCT, il Ă©tait admis qu’une convention existante pouvait ĂŞtre exceptionnellement prolongĂ©e pour une durĂ©e d’un an, pour des motifs d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral. Dans ce cas, le principe Ă©tait celui d’une prorogation provisoire du contrat de dĂ©lĂ©gation de service public dĂ©lĂ©guĂ© conclu avec l’ancien cocontractant de l’administration.
La prolongation prĂ©vue par l’article L.1411-2 a) du CGCT devait donc ĂŞtre non seulement matĂ©rielle mais aussi personnelle, les modalitĂ©s d’exĂ©cution du service public et le cocontractant devant ĂŞtre les mĂŞmes. En 1995, le Conseil d’Etat avait admis la licĂ©itĂ© d’une prorogation transitoire d’une dĂ©lĂ©gation de service public, pour un motif d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral tirĂ© de la nĂ©cessitĂ© d’assurer la continuitĂ© du service public balnĂ©aire (3). A plusieurs reprises, les juridictions du fond ont reconnu le bien-fondĂ© de procĂ©dures menĂ©es sans mise en concurrence, en considĂ©ration de l’urgence liĂ©e Ă l’annulation contentieuse d’une prĂ©cĂ©dente convention de DSP (4) ou du fait de la nĂ©cessitĂ© d’assurer la continuitĂ© du service public, après l’annulation des conventions existantes, dans l’attente de l’aboutissement d’une nouvelle procĂ©dure de mise en concurrence (5).
Ces jurisprudences Ă©taient cependant toutes prises sur le fondement de l’ancien article L.1411-2 du CGCT (abrogĂ© depuis le 1 er avril 2016).
Élargissement pour la continuité du service public
RĂ©cemment, le Conseil d’Etat a actualisĂ© sa doctrine en matière de prorogation transitoire des conventions de dĂ©lĂ©gation de service public. Par une dĂ©cision « communautĂ© d’agglomĂ©ration du centre de la Martinique » du 4 avril 2016, le Conseil d’Etat a posĂ© le principe selon lequel : « En cas d’urgence rĂ©sultant de l’impossibilitĂ© soudaine dans laquelle se trouve la personne publique, indĂ©pendamment de sa volontĂ©, de continuer Ă faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-mĂŞme, elle peut, lorsque l’exige un motif d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral tenant Ă la continuitĂ© du service public, conclure, Ă titre provisoire, un nouveau contrat de dĂ©lĂ©gation de service public sans respecter au prĂ©alable les règles de publicitĂ© prescrites ; que la durĂ©e de ce contrat ne saurait excĂ©der celle requise pour mettre en Ĺ“uvre une procĂ©dure de publicitĂ© et de mise en concurrence, si la collectivitĂ© entend poursuivre la dĂ©lĂ©gation de service public ou, au cas contraire, pour organiser les conditions de sa reprise en rĂ©gie ou pour en redĂ©finir la consistance. »
Une décision « précieuse »
Au regard des termes choisis et des faits de l’espèce, cette dĂ©cision nous paraĂ®t mĂ©riter une attention particulière. Cette dĂ©cision constitue, en effet, une source d’information prĂ©cieuse concernant la libertĂ© dont disposent aujourd’hui les personnes publiques pour confier transitoirement l’exĂ©cution d’un service public, sans publicitĂ© ni mise en concurrence, en dĂ©rogation avec les principes gĂ©nĂ©raux de la commande publique prĂ©cĂ©demment rappelĂ©s.
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat Ă©tait saisi d’une demande tendant Ă l’annulation d’une ordonnance du juge des rĂ©fĂ©rĂ©s du tribunal administratif de la Martinique ayant Ă©cartĂ© la cause d’urgence invoquĂ©e par la collectivitĂ© pour justifier la conclusion d’une convention « transitoire » de dĂ©lĂ©gation de service public avec une tierce entreprise (avec laquelle elle n’Ă©tait pas prĂ©cĂ©demment en relation), sans publicitĂ© ni mise en concurrence, pour la gestion d’un service de fourrière.Après avoir rappelĂ© que les dispositions alors applicables du CGCT ne souffrent normalement d’aucune dĂ©rogation Ă l’obligation de publicitĂ© et de mise en concurrence des conventions de dĂ©lĂ©gation de service public, le Conseil d’État ajoute cependant qu’une convention de dĂ©lĂ©gation de service public peut faire exceptionnellement l’objet d’une procĂ©dure librement nĂ©gociĂ©e dans certaines circonstances particulières.
En application de la dĂ©cision « communautĂ© d’agglomĂ©ration du centre de la Martinique », sous rĂ©serve Ă©videmment de satisfaire aux exigences posĂ©es par le Conseil d’Etat, une personne publique dispose alors de la possibilitĂ© de conclure librement une convention de dĂ©lĂ©gation de service public, y compris avec une personne avec qui elle n’Ă©tait pas prĂ©cĂ©demment en relation et sans conditions de durĂ©e prĂ©dĂ©terminĂ©e. Ces trois Ă©lĂ©ments, tenant, d’une part, Ă l’identitĂ© du cocontractant, d’autre part, au contenu de l’instrumentum et, enfin, Ă la durĂ©e de la convention, laissent une latitude dans le contenu et la portĂ©e de la nĂ©gociation que ne permettait pas l’exception fondĂ©e sur l’ancien article L.1411-2 a) du CGCT. Bien que la dĂ©cision « communautĂ© d’agglomĂ©ration du centre de la Martinique » ait Ă©tĂ© rendue pour des faits antĂ©rieurs Ă l’entrĂ©e en vigueur de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016, il sera prĂ©cisĂ© que l’exception ainsi dĂ©finie par le Conseil d’Etat – ne reposant par sur les dispositions abrogĂ©es de l’article L.1411-2 a) du CGCT- nous paraĂ®t toujours pertinente.
La convention ainsi conclue devra cependant conserver un caractère transitoire, correspondant au temps nĂ©cessaire pour mettre en Ĺ“uvre une nouvelle procĂ©dure de publicitĂ© et de mise en concurrence ou, le cas Ă©chĂ©ant, pour organiser les conditions de sa reprise en rĂ©gie ou pour en redĂ©finir la consistance.Il est Ă©galement Ă noter que le Conseil d’Etat a pris la prĂ©caution de limiter cette dĂ©rogation aux seules situations d’urgence indĂ©pendantes de la volontĂ© de la personne publique.
Dans cette perspective, la conclusion libre d’une convention de dĂ©lĂ©gation de service public ne pourra intervenir que dans des circonstances n’ayant pas Ă©tĂ© gĂ©nĂ©rĂ©es par l’attitude de la personne publique.Par cet intermĂ©diaire, par-delĂ la rĂ©forme des contrats de dĂ©lĂ©gation de service public, les personnes publiques disposent donc toujours d’une cause juridique leur permettant de justifier la nĂ©gociation libre d’une convention de dĂ©lĂ©gation de service public, permettant de veiller Ă la continuitĂ© du service public, lorsque dans des circonstances fortuites, elles se trouvent dans l’impossibilitĂ© de continuer Ă faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elles-mĂŞmes.
Thèmes abordés
Notes
Note 01 CE, 23 décembre 2009, Etablissement public du musée et domaine national de Versailles, req. n° 328827. Retour au texte
Note 02 CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH c/ Telekom Austria AG. Retour au texte
Note 03 CE, 8 juin 2005, commune de Ramatuelle, req. n° 255987, Rec. Lebon, p. 875 et 964 Retour au texte
Note 04 CAA Marseille, 21 juin 2007, commune de Sanary-sur-Mer, req. n° 05MA00197. Retour au texte
Note 05 CAA Marseille, 9 avril 2009, commune d'Orange, req. n° 07MA02807. Retour au texte








