Le contentieux de l’urbanisme constitue une part importante de l’ensemble des instances pendantes devant les juridictions administratives. Un recours mis en Ĺ“uvre Ă l’encontre d’une autorisation d’urbanisme peut ĂŞtre entachĂ© d’irrecevabilitĂ©s, considĂ©rĂ©es comme non rĂ©gularisables. Il convient donc de prĂ©ciser les Ă©lĂ©ments Ă vĂ©rifier dès la rĂ©ception d’un recours administratif ou contentieux contre l’ensemble des autorisations d’urbanisme, afin de dĂ©celer les irrecevabilitĂ©s non rĂ©gularisables.
Intérêt des irrecevabilités non régularisables
Le juge a la possibilitĂ©, sur le fondement du 4° de l’article R.222-1 du code de justice administrative (CJA), de rejeter, par voie d’ordonnance, les requĂŞtes manifestement irrecevables. Lorsque la juridiction use de ce procĂ©dĂ©, elle peut notifier l’ordonnance de rejet au requĂ©rant Ă tout moment, sans qu’un dĂ©bat contradictoire ait eu lieu et sans qu’il soit nĂ©cessaire d’appeler l’affaire lors d’une audience. Le juge administratif utilise rĂ©gulièrement ce procĂ©dĂ© dans le cadre du contentieux de l’urbanisme lorsque le recours est entachĂ© d’une irrecevabilitĂ© qui n’est pas rĂ©gularisable (1).
Actes insusceptibles d’un recours en annulation
Il existe un certain nombre d’actes qui gravitent autour des autorisations d’urbanisme, mais qui ne peuvent pas faire l’objet d’un recours en annulation, dans la mesure oĂą ils ne sont pas considĂ©rĂ©s comme des dĂ©cisions administratives contestables. Des mesures Ă caractère purement informatif ne sont pas assimilĂ©es Ă des dĂ©cisions administratives pouvant faire l’objet d’un recours en annulation. Il a notamment Ă©tĂ© jugĂ© qu’une lettre Ă©mise par l’administration indiquant qu’une construction avait Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e illĂ©galement et demandant soit sa rĂ©gularisation par l’obtention d’un permis de construire, soit sa dĂ©molition, ne constituait pas une dĂ©cision pouvant faire l’objet d’un recours en annulation (2).
Le Conseil d’Etat a adoptĂ© la mĂŞme position, s’agissant d’une lettre de mise en demeure pour dĂ©molir un mur (3).Les autorisations d’urbanisme requièrent parfois l’obtention d’avis prĂ©alables. Ces formalitĂ©s sont considĂ©rĂ©es comme prĂ©paratoires et ne peuvent pas faire l’objet d’un recours en annulation. Le Conseil d’Etat a dĂ©jĂ eu l’occasion de statuer dans ce sens pour l’avis de l’architecte des bâtiments de France (4). Cependant, le requĂ©rant peut toujours soulever l’irrĂ©gularitĂ© de l’avis Ă l’appui de sa demande d’annulation de l’autorisation d’urbanisme (5).
De mĂŞme, les autorisations administratives qui n’Ă©taient pas nĂ©cessaires ne produisent aucun effet juridique et ne peuvent donc pas faire l’objet d’un recours en annulation. La cour administrative d’appel de Douai a dĂ©jĂ statuĂ© en ce sens pour un permis de construire qui avait Ă©tĂ© dĂ©livrĂ© alors que les travaux envisagĂ©s ne nĂ©cessitaient aucune formalitĂ©.
Les dĂ©cisions seulement confirmatives sont Ă©galement insusceptibles de recours contentieux. Ainsi, un refus de dĂ©livrer un permis de construire portant sur un projet identique Ă celui ayant dĂ©jĂ fait l’objet d’un rejet constitue une dĂ©cision confirmative, Ă l’encontre de laquelle tout recours contentieux est irrecevable (6). La cour administrative d’appel de Lyon a, en outre, jugĂ© que le second refus opposĂ© Ă un mĂŞme projet est assimilĂ© Ă une dĂ©cision confirmative, mĂŞme s’il est fondĂ© sur des motifs diffĂ©rents de la première dĂ©cision de refus.
Expiration du délai de recours
Le délai de recours contentieux est de deux mois (CJA, art. R.421-1).
Point de départ du délai
En ce qui concerne la contestation d’une dĂ©cision refusant la dĂ©livrance d’une autorisation d’urbanisme, le dĂ©lai de deux mois commencera Ă courir Ă compter de la date de notification de la dĂ©cision de rejet. L’administration doit prĂ©ciser dans la lettre de rejet le dĂ©lai de recours contentieux et la juridiction compĂ©tente pour connaĂ®tre un Ă©ventuel recours en annulation. A dĂ©faut, le dĂ©lai de deux mois ne sera pas opposable au pĂ©titionnaire et celui-ci sera recevable Ă saisir la juridiction administrative plus de deux mois après la notification de la dĂ©cision de rejet (CJA, art. R.421-5).
En ce qui concerne les tiers, le dĂ©lai de deux mois court « Ă compter du premier jour d’une pĂ©riode continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnĂ©es Ă l’article R.424-15 [du code de l’urbanisme] » (article R.600-2 du code de l’urbanisme). L’article R.424-15 du code de l’urbanisme (C. urb.) Ă©nonce l’ensemble des informations devant ĂŞtre affichĂ©es sur le terrain d’assiette du projet. L’affichage doit ĂŞtre lisible depuis la voie publique ou des espaces ouverts au public (C. urb., art. A424-15 et A424-18).Dans l’hypothèse oĂą ces conditions d’affichage ne seraient pas respectĂ©es, le dĂ©lai de deux mois ne pourrait pas ĂŞtre opposable aux tiers.
Sur ce point, la jurisprudence n’applique pas cette sanction pour toutes les omissions entachant l’affichage de l’autorisation d’urbanisme. Le Conseil d’Etat Ă©nonce que l’affichage est rĂ©gulier dès lors que les tiers peuvent avoir connaissance de la consistance et de l’importance du projet, alors mĂŞme que certaines mentions imposĂ©es par le code de l’urbanisme auraient Ă©tĂ© omises (7). Toutefois, en cas de litige, la preuve de la date d’affichage et de la rĂ©gularitĂ© des conditions d’affichage incombe au bĂ©nĂ©ficiaire de l’autorisation d’urbanisme (8).
En tout Ă©tat de cause, les recours engagĂ©s Ă l’encontre d’une autorisation d’urbanisme plus d’un an après l’achèvement des travaux sont irrecevables (C. urb., art R.600-3). La date de rĂ©ception par l’administration de la dĂ©claration d’achèvement des travaux prĂ©vue par l’article R.462-1 du code de l’urbanisme constitue, sauf preuve contraire, le point de dĂ©part de ce dĂ©lai. Ce mĂ©canisme permet d’Ă©viter la possibilitĂ© de mise en Ĺ“uvre perpĂ©tuelle d’un recours, dans l’hypothèse oĂą le dĂ©lai de deux mois ne serait pas opposable en raison d’irrĂ©gularitĂ©s entachant l’affichage de l’autorisation d’urbanisme.
Prorogation du délai
Le requĂ©rant a la possibilitĂ© d’obtenir une prorogation du dĂ©lai de recours de deux mois, en notifiant un recours gracieux. Ce procĂ©dĂ© est assimilĂ© Ă une demande adressĂ©e Ă l’autoritĂ© qui a dĂ©livrĂ© l’autorisation d’urbanisme ou qui a refusĂ© de dĂ©livrer une telle autorisation, afin d’obtenir le retrait de la dĂ©cision contestĂ©e. Si ce recours gracieux a Ă©tĂ© notifiĂ© Ă l’administration avant l’expiration du dĂ©lai de recours de deux mois, il aura pour consĂ©quence de proroger le dĂ©lai. Cette prorogation du dĂ©lai interviendra uniquement si la demande notifiĂ©e par le requĂ©rant constitue effectivement un recours gracieux. La jurisprudence exige que le courrier transmis par le requĂ©rant contienne une demande de retrait de la dĂ©cision contestĂ©e.
Il a ainsi Ă©tĂ© jugĂ© qu’une lettre contenant des interrogations sur d’Ă©ventuelles mĂ©connaissances des règles d’urbanisme, sans solliciter expressĂ©ment un retrait de la dĂ©cision contestĂ©e, ne pouvait pas ĂŞtre assimilĂ©e Ă un recours gracieux (9).La notification de ce recours gracieux octroiera un nouveau dĂ©lai de recours de deux mois pour le requĂ©rant, Ă compter de la date de notification de la dĂ©cision explicite de rejet ou de la naissance d’une dĂ©cision implicite de rejet du recours gracieux, pour saisir la juridiction administrative.Sur ce point, et selon les termes des articles L.231-4 et L.411-7 du code des relations entre le public et les administrations, le nouveau principe en vertu duquel « le silence gardĂ© pendant deux mois vaut dĂ©cision implicite d’acceptation » ne concerne pas les recours gracieux qui ne sont pas obligatoires.
Par ailleurs, le nouveau dĂ©lai de deux mois sera opposable seulement si la dĂ©cision explicite de rejet du recours gracieux contient les voies et dĂ©lais de recours, conformĂ©ment Ă l’article R.421-5 du code de justice administrative.
Enfin, dans le cas oĂą le recours gracieux Ă©mane d’un pĂ©titionnaire dont la demande d’autorisation d’urbanisme a Ă©tĂ© refusĂ©e, aucun dĂ©lai de deux mois ne pourra lui ĂŞtre opposĂ© en cas de naissance d’une dĂ©cision implicite de rejet, si l’administration ne lui a pas adressĂ© un accusĂ© de rĂ©ception de sa demande, conformĂ©ment Ă l’article L.112-3 du code des relations entre le public et l’administration.Cet accusĂ© de rĂ©ception doit mentionner la date de rĂ©ception du recours et la date Ă laquelle naĂ®tra la dĂ©cision implicite de rejet, ainsi que les voies et dĂ©lai de recours contentieux (article R.112-5 du code des relations entre le public et l’administration).
Obligation de notification du recours
L’article R.600-1 du code de l’urbanisme impose au requĂ©rant de notifier Ă l’autoritĂ© qui a dĂ©livrĂ© l’autorisation d’urbanisme et au pĂ©titionnaire les recours administratifs et contentieux dans les quinze jours de leur dĂ©pĂ´t. La mĂ©connaissance de cette obligation de notification est sanctionnĂ©e par l’irrecevabilitĂ© du recours contentieux. Ce dispositif ne concerne que les dĂ©cisions qui sont crĂ©atrices de droits. Il en dĂ©coule, par consĂ©quent, que le pĂ©titionnaire dont la demande d’autorisation d’urbanisme a Ă©tĂ© refusĂ©e n’est pas assujetti Ă cette obligation de notification prĂ©alable. Le Conseil d’Etat a dĂ©jĂ eu l’occasion de statuer en ce sens pour un refus de permis de construire (10).
Intérêt à agir
Les dĂ©veloppements qui suivent concernent exclusivement les tiers qui souhaitent contester la rĂ©gularitĂ© d’une autorisation d’urbanisme. En effet, le pĂ©titionnaire dont la demande d’autorisation d’urbanisme a Ă©tĂ© refusĂ©e justifie nĂ©cessairement d’un intĂ©rĂŞt Ă agir contre ce refus. S’agissant des tiers, les conditions d’apprĂ©ciation de l’intĂ©rĂŞt Ă agir varient selon que l’on soit en prĂ©sence d’une personne physique ou en prĂ©sence d’une personne morale.
Les personnes physiques
La rĂ©forme du contentieux de l’urbanisme initiĂ©e par l’ordonnance n° 2013-638 en date du 18 juillet 2013 a durci les conditions d’apprĂ©ciation de l’intĂ©rĂŞt Ă agir des personnes physiques. En effet, l’article L.600-1-2 du code de l’urbanisme dispose que les tiers doivent justifier que « la construction, l’amĂ©nagement ou les travaux sont de nature Ă affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance » de leur bien. A cet Ă©gard, le Conseil d’Etat a rĂ©cemment jugĂ© qu’un requĂ©rant ne justifie pas d’un intĂ©rĂŞt Ă agir s’il se contente de dĂ©montrer que sa propriĂ©tĂ© est voisine du terrain d’assiette du projet objet de l’autorisation d’urbanisme contestĂ©e (11). Les juridictions d’appel avaient dĂ©jĂ eu l’occasion de statuer dans le mĂŞme sens.
Les requĂ©rants doivent apporter des Ă©lĂ©ments justifiant que le projet en cause va impacter l’occupation, l’utilisation ou la jouissance de leur propre bien. Cette apprĂ©ciation restrictive de l’intĂ©rĂŞt Ă agir concerne uniquement la contestation des permis de construire, de dĂ©molir et d’amĂ©nager. L’intĂ©rĂŞt Ă agir Ă l’encontre des dĂ©clarations de non-opposition Ă une dĂ©claration prĂ©alable s’apprĂ©cie conformĂ©ment Ă la jurisprudence antĂ©rieure Ă l’ordonnance du 18 juillet 2013 susmentionnĂ©e, qui sera rappelĂ©e ci-après.
Les personnes morales
Les personnes morales ne sont pas concernĂ©es par les exigences prĂ©vues par l’article L.600-1-2 susmentionnĂ©es. L’intĂ©rĂŞt Ă agir s’apprĂ©cie selon les principes arrĂŞtĂ©s par la jurisprudence antĂ©rieure Ă ce nouveau dispositif. Le Conseil d’Etat avait dĂ©gagĂ© trois critères pour apprĂ©cier l’intĂ©rĂŞt Ă agir : la distance entre le terrain d’assiette du projet et le fonds du requĂ©rant, la configuration des lieux et l’ampleur du projet. La haute juridiction administrative a eu l’occasion de prĂ©ciser qu’un requĂ©rant justifiait d’un intĂ©rĂŞt Ă agir, dans la mesure oĂą son fonds se situait Ă 800 mètres de la localisation du projet de construction d’un centre commercial (12).
En revanche, l’intĂ©rĂŞt Ă agir d’un requĂ©rant n’a pas Ă©tĂ© reconnu dans une espèce oĂą la construction projetĂ©e n’Ă©tait pas visible depuis le fonds du requĂ©rant, alors mĂŞme que les deux parcelles Ă©taient distancĂ©es de 400 mètres (13). En outre, l’intĂ©rĂŞt Ă agir des personnes morales est examinĂ© au regard de son objet social. Il a ainsi Ă©tĂ© jugĂ© qu’un syndicat de copropriĂ©taires dispose d’un intĂ©rĂŞt Ă agir pour contester un permis de construire d’un immeuble localisĂ© en vis-Ă -vis de la rĂ©sidence en copropriĂ©tĂ© (14).
A l’inverse, l’association syndicale d’un lotissement ne dispose pas d’un intĂ©rĂŞt pour agir Ă l’encontre d’un permis construire autorisant un projet situĂ© Ă proximitĂ© du lotissement sans en affecter les parties communes du lotissement, dès lors que l’association est seulement propriĂ©taire des parties communes du lotissement et qu’elle n’a pas pour objet de dĂ©fendre l’intĂ©rĂŞt collectif de ses membres.
Enfin, que l’on soit en prĂ©sence d’une personne physique ou d’une personne morale, l’existence de l’intĂ©rĂŞt Ă agir s’apprĂ©cie, sauf circonstances particulières justifiĂ©es par le requĂ©rant, Ă la date d’affichage en mairie de la demande du pĂ©titionnaire (C. urb., art. L.600-1-3).
Capacité à agir en justice des personnes morales
Les personnes morales doivent Ă©galement ĂŞtre capables d’agir en justice. S’agissant des associations syndicales de propriĂ©taires, leurs statuts doivent ĂŞtre conformes Ă l’ordonnance n° 2004-632 du 1 er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriĂ©taires. La jurisprudence a dĂ©jĂ conclu Ă l’irrecevabilitĂ© d’un recours formĂ© par une association syndicale de propriĂ©taires Ă l’encontre d’une autorisation d’urbanisme, car, Ă la date du dĂ©pĂ´t de la requĂŞte, ses statuts n’Ă©taient pas conformes Ă l’ordonnance du 1 er juillet 2004 susvisĂ©e.
Pour les associations, plus particulièrement, l’article L.600-1-1 du code de l’urbanisme impose que les statuts de l’association aient Ă©tĂ© dĂ©posĂ©s Ă la prĂ©fecture antĂ©rieurement Ă la date d’affichage en mairie de la demande du pĂ©titionnaire, sous peine d’irrecevabilitĂ© de la requĂŞte.
Notes
Note 01 CE, 10 février 2016, n° 387507. Retour au texte
Note 02 CE, 27 juillet 1988, req. n° 62233 Retour au texte
Note 03 CE, 29 juin 1990, req. n° 88249. Retour au texte
Note 04 CE, 19 février 2014, ministère de la Culture et de la communication, req. n° 361769. Retour au texte
Note 05 CE, 26 octobre 2001, req. n° 216471. Retour au texte
Note 06 CE, 1 er août 2013, commune de Gramond, req. n° 366497. Retour au texte
Note 07 CE, 6 juillet 2012, req. n° 339883. Retour au texte
Note 08 CE, 29 novembre 1999, req. n° 182214. Retour au texte
Note 09 CE, 30 mai 2001, SCI Les Jardins de Mennecy, req. n° 204434. Retour au texte
Note 10 CE, 12 mars 1999, société Cimamed, req. n° 175721. Retour au texte
Note 11 CE, 10 février 2016, req. n° 387507. Retour au texte
Note 12 CE, 24 juin 1991, société SCAEX Inter Provence-Côte d'Azur, req. n° 117736 Retour au texte
Note 13 CE, 5 mai 2010, comité de sauvegarde du domaine de la Coudoulière, req. n° 304059. Retour au texte
Note 14 CE, 29 déc.1993, syndicat des copropriétaires de la résidence Le Gonfanon, req. n° 140385. Retour au texte








