Rédigé avant les attentats de début janvier, le rapport du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks fait le constat d’« un inquiétant effritement de la cohésion sociale et du principe d’égalité ».
Dans sa précédente enquête sur la France, qui remonte à 2006, le Conseil de l’Europe avançait que « beaucoup d’Européens voient la France comme le pays des droits de l’homme et qu’effectivement la France offre un haut niveau de protection ».
Aux côtés des chapitres consacrés à la résurgence de l’extrémisme ou encore aux personnes handicapées, Nils Muiznieks s’attarde sur le sort des mineurs isolés étrangers, qu’il a étudié en situation lors de sa visite en France, du 22 au 26 septembre 2014. Le rapport précise que la délégation s’est rendue à Marseille et à Paris pour y rencontrer « des autorités nationales, des structures nationales des droits de l’homme et des représentants de la société civile ».
Semi validation de la nouvelle organisation
Jugeant le système de prise en charge français, le commissaire considère que la circulaire de la ministre de la Justice du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des mineurs isolés étrangers, qui vise, notamment, à une répartition entre départements, constitue une « évolution positive ». A noter que Nils Muiznieks se prononce avant l’annulation partielle de cette même circulaire, le 30 janvier 2015, par le conseil d’Etat.
Cependant, il regrette qu’elle ne s’applique pas à l’outre-mer « alors même que le département de Mayotte est particulièrement concerné (environ 3 000 MIE sur un total estimé à 12 000) » et relève que plusieurs de ses interlocuteurs se sont inquiétés de « son application inégale et imparfaite par les conseils généraux ».
Enfin, le commissaire s’inquiète de la « crispation » exprimée par des conseils généraux qui se sont opposés à cette nouvelle organisation. L’Etat est également pointé du doigt, sa participation financière (prise en charge des 5 premiers jours d’évaluation) étant jugée « insuffisante ».
Les tests osseux au cœur des critiques
Le rapport avance que certains départements continueraient « d’avoir recours de manière systématique aux tests d’âge osseux » afin de déterminer la minorité du jeune migrant. Le commissaire rappelle les principes du Conseil de l’Europe selon lesquels la décision de prise en charge devrait être « fondée sur la présomption de minorité et ne pas reposer uniquement sur un avis médical.
En outre, si la minorité de l’intéressé reste incertaine, celui-ci devrait avoir le bénéfice du doute ». Ce rappel vient conforter la démarche de plusieurs associations, dont le collectif Réseau éducation sans frontières (Resf) et le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), qui ont lancé, le 17 janvier 2015, une pétition en ligne demandant l’abandon des tests osseux, pétition qui compterait déjà 10 000 signatures.
Tour à tour, depuis 2005, le Comité consultatif national d’éthique, l’Académie nationale de médecine, le Défenseur des Droits, ou encore, en juin 2014, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), ont préconisé de mettre fin à cette pratique (mesure des poignets à l’aide d’une radio de la main), la jugeant inadaptée. Ce test fournirait une évaluation avec une variation de plus ou moins deux ans.
A l’abandon
Le commissaire a constaté « avec effarement » lors de sa visite, notamment dans le nord de Paris, que certains mineurs sont « sans abri ». Il a rencontré « plusieurs dizaines de jeunes migrants, principalement d’origine afghane et subsaharienne, âgés pour certains de seulement quatorze ans », contraints de dormir à la rue. Dominique Versini, adjointe à la maire en charge de la solidarité, réagit à ce triste constat : « Effectivement, au moment de son passage, Nils Muiznieks a pu rencontrer des jeunes, peut-être mineurs, en situation d’errance. Mais, depuis décembre 2014, nous nous assurons et nous pouvons certifier que tous les MIE sont mis à l’abri le temps de leur évaluation, et que s’ils sont déclarés mineurs, bénéficient d’une prise en charge ».
Par ailleurs, le commissaire critique le mode d’hébergement à l’hôtel, donc sans accompagnement social, et, là aussi, Dominique Versini précise que la collectivité vient de s’engager à améliorer sa politique d’accueil.
Qu’il s’agisse des MIE ou des personnes discriminées de part leur religion, le commissaire pointe la responsabilité de la classe politique. « Certains membres de la communauté politique tiennent des discours haineux et contribuent ainsi à la banalisation de tels propos. Leur langage donne un signal à la police, aux fonctionnaires en général mais aussi au citoyen », insiste-t-il.
Il invite « les représentants de l’Etat et de la classe politique à tenir un discours fort et clair, qui non seulement rejette le racisme, la xénophobie et toutes les formes de discrimination, mais aussi valorise le principe d’égalité et le respect des différences ».
De ce tableau inquiétant, émerge, néanmoins, une note positive. En effet, Nils Muiznieks estime que la France est « remarquablement outillée. Sur le plan des structures comme en matière législative, elle dispose de bien plus d’outils que la plupart de ses voisins. Par ailleurs, elle compte un maillage associatif qui fait un travail exceptionnel ».
Références
Le rapport
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