Fusillades en pleine ville, règlement de compte entre trafiquants, plusieurs villes françaises ont été le théâtre de violences parfois mortelles au cours des dernières semaines. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Le narcotrafic est un phénomène que nous avons identifié il y a de nombreuses années mais qui connaît depuis le Covid une véritable explosion au niveau national et touche désormais des territoires qui étaient jusque-là peu concernés. Les méthodes utilisées ignorent complètement la valeur de la vie humaine, les trafiquants recourent sans hésiter à l’ultraviolence.
Quelle réponse apporter ?
Les opérations « places nettes » qui ont été réalisées ces derniers mois ont l’intérêt de mettre un coup de balai sur les points de deal. Il faut les poursuivre mais ces opérations ne règlent pas durablement le problème car elles n’atteignent pas les têtes de réseau.
L’envergure du trafic est telle qu’elle nécessite des juridictions spécialisées ainsi que des opérateurs spécifiques, notamment du côté de la Justice. C’est l’objet des mesures qu’a arbitrées le Premier ministre le 7 novembre et des annonces faites le 8 novembre à Marseille par les ministres de l’Intérieur et de la Justice.
Enfin, sur le terrain, il faut aller plus loin et taper à tous les niveaux : à la tête, bien sûr, là où le patrimoine s’accumule, mais aussi sur les consommateurs. A cet effet, je veux être clair : il faut en finir avec cette idée d’une consommation festive des drogues. Comme l’a dit le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, au bout d’un joint, au bout d’un rail de coke, il y a des criminels qui flinguent des mineurs.
Faut-il en déduire que vous écartez l’appel lancé par un certain nombre d’élus locaux à ouvrir le débat sur la légalisation des drogues ?
Les appels à la légalisation des stupéfiants ne sont pas défendables. Faut-il rappeler l’impact des produits stupéfiants sur la santé publique ? Nous disposons aujourd’hui d’études très précises sur les conséquences de ces drogues sur la santé mentale des adolescents. Il nous faut sensibiliser les consommateurs sur ces dangers et leur expliquer que la consommation sera dorénavant sanctionnée systématiquement.
Quelle place pour les élus locaux dans cette politique répressive ?
Aujourd’hui, les policiers municipaux ne peuvent pas sanctionner un consommateur. Je propose donc qu’ils puissent le faire avec l’amende forfaitaire délictuelle. Cette possibilité accélèrera la procédure de sanctions et allégera la tâche des policiers et des gendarmes nationaux.
De même, je suis favorable à l’utilisation du procès-verbal électronique (PVe) pour exécuter les arrêtés municipaux. Le PVe s’applique aujourd’hui aux amendes de stationnement. Pourquoi ne servirait-il pas à exécuter les arrêtés anti-mendicité ou anti-protoxyde d’azote, par exemple ?
Le précédent gouvernement voulait renforcer les compétences judiciaires des policiers municipaux. Est-ce également votre intention ?
Les polices municipales d’aujourd’hui ne sont plus celles d’hier. Le nombre d’agents a augmenté de 40 % en dix ans pour atteindre aujourd’hui 27 000 agents. Il faut y ajouter 10 000 postes de policiers municipaux actuellement vacants. Autrement dit, dans les cinq ans qui viennent, nous dénombrerons en France environ 40 000 agents répartis dans 4 000 communes. A ce niveau, il s’agit bel et bien de la troisième force de sécurité du pays. Mais elle est selon moi bridée dans sa capacité à intervenir.
Concrètement, lors d’un contrôle routier, les agents n’ont pas les moyens de savoir si le conducteur figure au fichier des personnes recherchées. Ils ne peuvent d’ailleurs pas procéder au relevé d’identité directement ni ouvrir le coffre d’un véhicule. Il faut y remédier.
Comment ?
Bon nombre de maires demandent un renforcement des compétences et un accès élargi aux fichiers de police. C’est pourquoi, parallèlement aux consultations que j’ai engagées avec les associations d’élus et les syndicats, nous relançons le Beauvau des polices municipales le 21 novembre, à l’occasion du congrès des maires, pour échanger sur tous ces enjeux. Il n’y aura pas de sujet tabou. Tous les sujets, y compris statutaire, devront être abordés. La réflexion s’étendra jusqu’au 31 mars prochain. Nous prendrons en avril un certain nombre d’actes réglementaires et nous irons si nécessaire vers une loi sur la transformation de la sécurité du quotidien. Le sujet doit être traité avant le terme du mandat municipal.
Les associations d’élus se disent réservées sur la judiciarisation des polices municipales. Que leur répondez-vous ?
En tant que maire et vice-président de l’Association des maires de France, je leur dis que le renforcement des compétences des policiers municipaux devra rester optionnel et porter sur des opérations très limitées. Il n’est pas question de conférer un statut d’officier de police judiciaire qui place les agents sous l’autorité du procureur 24 heures sur 24 et leur permette d’enregistrer des plaintes. En revanche, cela ne me pose pas de problème que le responsable du service dispose seul d’une qualité judiciaire qui lui donne accès à certains fichiers de police.
J’insiste : quelle que soit l’issue de la réflexion, ce sont les maires employeurs qui devront décider ou pas de renforcer les compétences de leurs policiers municipaux.
Le précédent ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’était dit favorable à la création d’une école nationale de police municipale. Et vous ?
Dans un contexte de fort développement des polices municipales, la question de fond est de savoir comment le CNFPT peut répondre au besoin de formation. Beaucoup de maires le déplorent : entre le jour où l’agent est recruté et le jour où il est formé, il peut s’écouler une année. Ces délais de formation sont aujourd’hui trop longs.
Mais là aussi, c’est aux maires employeurs qui financent la formation d’exprimer leur souhait et de décider. C’est un sujet inscrit à l’ordre du jour du Beauvau.
De leur côté, les syndicats de policiers municipaux réclament une plus grande reconnaissance sociale et demandent notamment une retraite à la hauteur.
Cette demande est compréhensible car la rémunération des policiers municipaux comporte des primes qui ne sont pas intégrées au calcul de la retraite. Si, lors du Beauvau, les maires décident de franchir un cap dans les compétences des policiers municipaux, nous ne pourrons pas rester sur le même référentiel statutaire. C’est aux maires d’en débattre sur les fondements des compétences.
Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a annoncé ces derniers jours la mise en place de plans départementaux de restauration de la sécurité du quotidien. De quoi s’agit-il ?
L’ambition de ces plans départementaux est de confier aux préfets de département en liaison avec les procureurs de la République, aux directeurs départementaux de la police nationale et aux commandants de groupement de gendarmerie, la réalisation d’un diagnostic territorial, en lien avec les élus locaux. En d’autres termes, il s’agit d’une analyse territoriale de l’insécurité confiée aux acteurs de terrain qui seront appelés à établir un plan d’actions dans leur département. Ces plans ont une vocation très opérationnelle et comporteront des objectifs. Une circulaire va être diffusée dans les prochains jours.
La violence croissante contre les élus a marqué la dernière période. Des lois ont été votées, un plan mis en place avec une batterie d’outils. Allez-vous poursuivre cet engagement ?
Absolument. L’ensemble des dispositifs destinés à protéger les élus sont maintenus. Nous devons également garantir une réponse pénale rapide. Je crois aussi nécessaire de fournir un effort de pédagogie et de communication auprès de la population sur le respect de l’autorité municipale. C’est un enjeu de démocratie locale.
Le ministre de l’Intérieur affiche une forte volonté de fermeté. Il n’est en revanche pas question de prévention de la délinquance. Qu’en est-il de la future Stratégie nationale de prévention de la délinquance qui doit en principe prendre le relais de l’actuelle stratégie qui expire fin 2024 ?
Je suis convaincu du rôle central de la prévention dans la lutte contre la délinquance. Il est indispensable d’occuper le terrain avec l’animation territoriale, la prévention spécialisée, le lien sport-culture-éducation, les cités éducatives. L’objectif est bien de diminuer les risques. A ce stade, nous ne relançons pas le Beauvau de la prévention de la délinquance pour nous concentrer sur nos deux urgences : les polices municipales et la sécurité civile.
Le ministre de l’Intérieur a également annoncé des conventionnements avec les collectivités dans le domaine des transports pour leur permettre d’engager des réservistes. Pouvez-vous préciser ?
C’est un sujet que je pilote avec le ministre délégué aux Transports, François Durovray. L’objectif est de faciliter le recrutement de réservistes de la police et de la gendarmerie nationales pour mieux sécuriser les transports. Il nous faut trouver un véhicule juridique pour conventionner avec les élus qui bénéficieraient ainsi de renforts moins coûteux que des brigades spécialisées.
Je souhaite également que nous profitions du Beauvau pour échanger sur les polices intercommunales des transports.
Bon nombre de maires s’interrogent également sur la possibilité de déplafonner le versement mobilité au profit de la sécurité de leurs transports. Nous devons y réfléchir.
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