Début 2023, les 100 classes « prépas talents » (CPT), d’une capacité totale de 1 900 places, étaient remplies aux deux tiers. Pour booster le dispositif, créé en 2021, le ministre de la Transformation et de la fonction publiques a promis, en mars, une meilleure communication et apporté des garanties sur la mise en œuvre des aides. En 2022, déjà, la formule avait été retravaillée pour diversifier la nature des organismes d’accueil et les types de concours préparés. Ceux de la fonction publique territoriale restent très minoritaires. « En dehors de l’Institut national des études territoriales [Inet], la territoriale ne s’est pas vraiment positionnée », observe Damien Zaversnik, coprésident de La Cordée, une association de promotion de la diversité sociale dans la fonction publique.
Peut-être parce que la cible de départ était les concours de la haute fonction publique et ceux menant aux fonctions d’encadrement, quand les trois quarts des agents territoriaux occupent des postes de catégorie C.
Certaines CPT visent aujourd’hui les « B », à l’image de celle portée par l’Institut des métiers du droit et de l’administration (IMDA) de l’université de Caen Normandie, qui prépare désormais aux concours de contrôleur des finances publiques, des douanes, de la DGCCRF et de secrétaire administratif, en plus des concours de catégorie A. « Nous avons adapté notre offre à notre tissu social. Je préfère attirer des étudiants qui vont pouvoir réussir que de mettre la barre trop haut », rapporte Stéphane Leclerc, codirecteur de l’IMDA.
L’Ecole nationale des finances publiques (Enfip) dispose, outre ses deux classes dédiées au concours de catégorie A d’inspecteur des finances, de trois « prépas talents » pour le concours de catégorie B de contrôleur. « En même temps, les candidats sont incités à présenter le concours de catégorie C d’agent des finances publiques », précise Isabelle Giraud – Le Pottier, directrice de l’établissement de l’Enfip de Noisy-le-Grand – Le Montaigne.
Des profils différents
Certaines CPT sont des classes à part entière, c’est le cas à l’Enfip. D’autres sont adossées à des licences ou des masters. D’autres, encore, sont totalement « intégrées », comme à Sciences-po Lille où les élèves « talents » suivent le cycle préparatoire aux concours de l’Institut national du service public (INSP) et aux grands concours des fonctions publiques. « Nous ne voulions pas de classe à part. Mais il faut reconnaître que l’intégration s’est avérée difficile pour certains, créant une ambiance pas très agréable », se remémore Gérard Belet, ancien directeur de cette « prep’ENA ».
Au sein de l’université de Bordeaux, la CPT de la faculté de droit et science politique est à la fois un diplôme universitaire et une préparation à des concours de catégorie A (attaché territorial, notamment) et A +. Elle est ouverte aux étudiants boursiers et aux non-boursiers (sans qu’ils puissent bénéficier des aides « talents »).
Hajar Belaaraj, lauréate du concours d’administrateur territorial en 2023, a suivi cette préparation. « J’aurais pu intégrer la “prépa talents” de Sciences-po Bordeaux qui est adossée au master 2 “carrières administratives” que je suivais alors. Mais cela n’aurait pas changé grand-chose pour moi en matière de préparation, en dehors de l’aide financière supplémentaire. J’ai voulu rejoindre celle de l’université car c’est une prépa à la carte, avec des cours le soir et le samedi matin. »
« C’est la première fois que l’on nous donne vraiment les moyens de préparer des étudiants aux concours et de faire du cas par cas », observe Stéphane Leclerc. « Le maître-mot de notre préparation est l’adaptabilité, avec un accompagnement dédié et rapproché », confirme Isabelle Giraud – Le Pottier, selon laquelle le mentorat est l’une des conditions de réussite. « C’est un moyen de rebooster les préparationnaires », observe-t-elle. L’Inet, qui gère deux « prépas talents » avec l’INSP pour les concours d’accès aux deux instituts, propose ce mentorat avec l’association La Cordée.
« Ce soutien complémentaire permet d’acquérir plus facilement les codes des concours et de se familiariser avec certains sujets. Cela contribue aussi à renforcer la confiance en soi », constate Belkacem Mehaddi, directeur de l’Inet. Réservées aux étudiants boursiers et aux demandeurs d’emploi de conditions modestes, les CPT ont été conçues pour attirer des profils différents vers les emplois d’encadrement de la fonction publique.
Un petit appel d’air
Si l’on observe, dans certains cas, un effet d’aubaine pour des étudiants qui se destinaient déjà à devenir hauts fonctionnaires, « c’est un bon outil de diversification », observe Belkacem Mehaddi. « Sur les deux premières années, beaucoup d’élèves étaient des étudiants issus de formations variées, qui étaient en réorientation », confirme Stéphane Leclerc. En revanche, la CPT normande n’attire pas les personnes en recherche d’emploi. A l’inverse de l’Enfip, dont les « prépas talents » sont constituées en majorité de demandeurs d’emploi, fruit d’un partenariat avec Pôle emploi, à côté d’étudiants venant des universités avec lesquelles l’Enfip entretient également d’étroites relations.
Avec des taux de réussite de 50 % en moyenne, jusqu’à 70 % pour l’Enfip, le dispositif a le mérite de créer un « petit » appel d’air. « Mais il faudrait surtout diversifier les épreuves académiques et faire en sorte que les mises en situation ne discriminent pas ceux qui n’ont pas le bagage culturel. Il faut davantage évaluer les potentiels », assure Belkacem Mehaddi.
« On demande encore dans les concours de recracher du cours de droit de la fonction publique, comme si tout le monde avait fait Sciences-po ! » constate également Yann Bisiou, responsable de la « prépa talents » de l’université Paul-Valéry de Montpellier.
Des aides spécifiques
Le dispositif des « prépas talents » comprend une aide financière de 4 000 euros cumulable avec les bourses sur des critères sociaux et le RSA, des facilités d’accès à un logement, du tutorat, des enseignements adaptés (académiques et professionnalisants) et des immersions dans des administrations.
A la carte
La cartographie des « prépas talents » est à retrouver sur le site du ministère de la Transformation et de la fonction publiques.
A consulter ici.
Sélection sous conditions de ressources et de mérite
Les « prépas talents » préparent à 45 concours permettant d’accéder à des emplois de catégorie A +, A et B, sur tout le territoire au sein d’écoles de service public, d’universités, d’instituts d’études politiques, de centres de préparation à l’administration générale (CPAG) ou d’instituts de préparation à l’administration générale (Ipag). Le parcours de formation proposé est en principe, en complément, diplômant. Les « prépas talents » donnent accès à six « concours talents » d’entrée dans les écoles de la haute fonction publique. Les candidats sont sélectionnés sous conditions de ressources et de mérite, sur la base d’un dossier et d’un entretien tenant compte de leurs parcours et aptitudes, et de leur motivation à intégrer un futur emploi dans la fonction publique. Il n’y a pas de limite d’âge.
« L’investissement dans les potentiels doit être le fil rouge »
Damien Zaversnik, coprésident de l’association La Cordée (1)
« Le dispositif des “prépas talents” est de mieux en mieux identifié. Il mériterait cependant de gagner en lisibilité, notamment par une harmonisation des calendriers de sélection des candidats. Des freins sociaux perdurent aussi. Il est indispensable que la bourse soit versée à la rentrée et de garantir l’accès à un logement. Certains peuvent toutefois renoncer par manque de moyens. Du côté des jurys, il y a encore un travail à faire pour sélectionner des candidats qui n’ont pas d’emblée les compétences attendues. L’investissement dans les potentiels doit être le fil rouge des “prépas talents” si l’on veut diversifier les profils et attirer. Concernant la fonction publique territoriale, il existe aujourd’hui un sous-investissement des centres de gestion et du CNFPT dans le dispositif, qui peut pourtant faire office de prérecrutement. Ils pourraient créer leurs propres “prépas talents” ou nouer des partenariats avec des classes existantes en organisant la mise à disposition d’agents pour donner des cours. Si l’on veut renforcer l’attractivité de la fonction publique, Il s’agit de travailler sur les recrutements plus en amont. »
Une réponse aux besoins d’accompagnement matériel et pédagogique
Yann Bisiou, responsable de la « prépa talents publics »
[« Prépa talents publics » de l’université Paul-Valéry de Montpellier (Hérault)] La « prépa talents » de l’université Paul-Valéry de Montpellier prépare les concours de catégorie A dans les métiers de la santé et de la cohésion sociale, dont celui d’attaché territorial spécialité « gestion du secteur sanitaire et social », ainsi que les concours d’accès aux écoles de la haute fonction publique. « C’est un super dispositif ! C’est bien pensé, ça répond aux besoins d’accompagnement matériel et pédagogique. Les financements nous permettent de faire du quasi-coaching pour les étudiants », s’enthousiasme Yann Bisiou, responsable de cette « prépa talents publics ». Malgré cela, la classe peine à faire le plein.
« Nous avions tablé sur quinze places. La première année, nous avons eu onze étudiants. L’an dernier, comme en 2023, seulement trois. Diriger des politiques publiques n’intéresse plus les jeunes. Ils ont le sentiment que la haute fonction publique est déconnectée du terrain. Ils ne voient pas non plus l’intérêt de l’emploi à vie », analyse Yann Bisiou. Il se souvient d’une candidate qui était admissible au concours de directeur d’établissement sanitaire, social et médicosocial, et qui entre-temps a été recrutée par le conseil régional avec un salaire plus élevé que celui auquel elle pouvait prétendre en tant que fonctionnaire. « Elle était en formation continue et élevait seule son enfant. Le processus d’entrée dans le fonctionnariat est beaucoup trop long aujourd’hui », constate Yann Bisiou.
Contact : Yann Bisiou, yann.bisiou@univ-montp3.fr
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