Quels sont les enseignements de votre étude, menée à partir d’entretiens auprès de cadres de Bercy et de ministères sociaux, pour comprendre le maintien des inégalités de carrière ?
Malgré un statut de la fonction publique a priori protecteur, les normes organisationnelles et de construction des carrières sont défavorables aux femmes. L’enquête révèle que la carrière des hommes dans la haute administration est en partie rendue possible par leur désinvestissement de la sphère domestique, surinvestie en contrepartie par leur conjointe. La conciliation entre sphères professionnelle et privée reste un problème essentiellement féminin.
Certains témoignages en particulier vous ont-ils étonné ?
Nous avons été surpris par l’investissement de certaines femmes cadres dans le suivi de la scolarité de leurs enfants, bien au-delà du primaire. Contrairement à une idée reçue, il n’y a pas nécessairement de relâchement des contraintes familiales lorsque les enfants grandissent. Par ailleurs, les hommes interviewés ne s’interrogent pas sur les mécanismes sociaux conduisant à ce que ce soit eux qui fassent carrière. La plupart renvoient ce schéma conjugal à un choix assumé de leur conjointe. Ce qui leur permet d’ailleurs de ne pas trahir leur engagement affiché en faveur de l’égalité au sein de la sphère professionnelle.
Des évolutions sont-elles encore possibles ?
Tant que la carrière restera fondée sur un modèle unique d’ascension rapide, au prix d’un investissement temporel très fort, dépendant parfois de mobilités géographiques, au moment même où l’on est en âge d’avoir des enfants, atteindre l’égalité ne sera pas possible. Pour autant, deux facteurs pourraient pousser les hommes à investir davantage la sphère familiale : la pression exercée par la conjointe, voire la peur de la séparation, et les déconvenues professionnelles ou la deuxième partie de carrière, période à laquelle les hommes estiment avoir atteint leur but professionnel.