Cher Olivier,
Je me permets de t’appeler Olivier (bien que ton nouveau patron n’aime pas trop ces familiarités), parce que je me suis senti proche de toi, il y a quelques années, quand tu étais le benjamin de l’assemblée nationale, que tu portais haut la social-démocratie, et que tu tenais de vibrants discours défendant le service public de l’eau dans ta bonne ville d’Annonay.
Je me permets aussi de te tutoyer, parce que, comme tu l’étais à l’époque, je suis viscéralement attaché à notre territoire ardéchois, à son âme et ses mystères, au sens que nous avons de l’amitié, de la ruralité et bien sûr de la fidélité.
Olivier, par trois amendements présentés par ton gouvernement ce mois de juin, quelques jours après que tu aies confirmé aux organisations syndicales et associations professionnelles représentant les agents territoriaux ton attachement au statut de la fonction publique, tu as ouvert la première brèche.
Le coup est rude, subtil et presque sournois. Ces amendements s’en prennent à quelques supposés privilégiés, les 10 000 personnels de direction sur emplois fonctionnels que comptent les trois fonctions publiques. Pour ces 10 000 postes, par la grâce de dix lignes votés en quatre minutes, à 3 heures 20 du matin, alors que Paris s’éteint et que la Chine s’éveille, le verrou du statut a subitement sauté.
Dorénavant, nos maires, présidents de collectivités de plus de 2 000 habitants auront le libre choix d’embauche pour leurs directeurs généraux et directeurs généraux adjoints. Beaucoup trépignent déjà en coulisses ; les frères, sœurs, maris ou mères que les avancées éthiques ont mystérieusement oubliés, vont enfin pouvoir régler les problèmes de la communauté autour d’un bon repas de famille.
Personne ne va défendre le statut des DG, ni les associations d’élus dont l’indifférence cache mal une satisfaction opportune, ni les syndicats généralistes pour lesquels les DGS et DGAS sont l’incarnation d’une aristocratie financée par le système et fondée par lui.
Ces amendements, que tu as personnellement défendus devant la représentation populaire, ne te ressemblent pas. Ils sont l’expression d’une réalité que l’exercice de l’État n’a pas pu t’imposer. Je ne veux pas y croire.
Olivier, on ne prend pas la responsabilité d’une administration locale par hasard. Sais-tu qu’il y a, en France, moins de dirigeants territoriaux que de sportifs professionnels ? Qui douterait que nos Griezmann, Riner ou Yoka, sont le produit de gestes mille fois répétés, d’efforts intenses et de sacrifices familiaux ?
Les cadres territoriaux sont issus d’un processus d’apprentissage scolaire, universitaire, et concurrentiel qui a formé leurs convictions en même temps que leur grande polyvalence. Ils ont dû faire leurs preuves devant des jurys de concours ou d’entretien, car aucun poste ne leur a été donné. Ils ont acquis un bagage technique, un vocabulaire, une science juridique et financière, ont consolidé leurs connaissances pendant qu’ils servaient fidèlement leurs territoires et leurs élus, dont l’impatience l’emporte souvent sur l’estime.
Dans le même temps, ils diffusent leurs compétences dans les collectivités, tissent des partenariats externes, se forgent une culture de la ressource pendant qu’ils préservent une certaine bienveillance envers les agents qui leurs sont proposés ou imposés.
Tout ceci ne s’acquiert pas en collant des affiches ou dans les grandes écoles de commerce. L’intérêt général n’est pas le service public. Tout le monde peut revendiquer le sens du bien commun, mais tout le monde ne peut pas respirer le service public. Nier cela, c’est trahir la mémoire des grands bienfaiteurs de notre nation, qui ont eu à la sortie de la guerre une lumineuse vision de notre république, solidaire et redistributrice.
Cher Olivier, je sais que tu connais et partage la vision de nos aînés. Tu comprends que si le premier rempart cède, la bataille est déjà perdue. Il est encore temps de te ressaisir.
Ainsi, quand tu reviendras en Ardèche, sur cette superbe 4 voies du côté de Peaugres, que ta ville d’Annonay t’accueillera de ses plus beaux atours urbains, entretenus et fleuris, tu pourras enfin dire à Céline, qui dirige les services administratifs et communautaires : je sais pourquoi tu es là et pourquoi je t’ai choisie, tu as un savoir–faire que je ne pouvais trouver ailleurs, et la mutualisation que nous avons mise en œuvre reflète notre volonté citoyenne commune plutôt que des stratégies de circonstances.
C’est tout le bien que je te souhaite.
Ar vère (« au revoir », en patois de chez nous).
Daniel Suszwalak,
DGS du Syndicat des Eaux du Bassin de l’Ardèche, ardéchois au cœur transpercé.
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