Suite aux agressions dont ont été victimes de nombreux élus dans l’exercice de leurs fonctions, le gouvernement a annoncé la mise en place d’un plan national de prévention et de lutte contre les violences. Principalement basé sur des mesures à caractère répressif et de protection juridique, ce plan n’est pas critiquable en temps que tel mais apparaît bien formel eu égard aux causes profondes de ce phénomène et qui questionne la République toute entière. Le malaise est évidemment profond.
Ce qui est remarquable dans l’inflation de ces violence c’est le fait que, lorsqu’elles ne sont pas le fruit d’individus isolés comme ce fut le cas de l’assassin du maire de Signes en 2019, elles émanent de groupes sociaux très disparates. Qu’il y a-t-il de commun entre les agressions contre des ministres et députés de la majorité durant les gilets jaunes, le Covid et parfois durant la bataille contre la réforme des retraites avec les agissements de groupes d’extrême droite à Saint-Brévin les Pins et ceux attribués à des jeunes de banlieue à Thiais notamment ?
L’extrême droite étant consubstantiellement anti républicaine, les agressions contre les élus sont inscrites dans son histoire politique. Il n’est qu’à rappeler l’assassinat de Jean Jaurès ou l’attentat du Petit Clamart contre le Général de Gaulle. Nous n’en ferons donc pas cas.
Mais les autres, tous les autres ?
Si ces violences semblent « archipellisées » pour paraphraser Jérôme Fourquet, elles ont en commun le fait que, comme suggéré par Pierre Rosanvallon, « Nous serions entrés dans une démocratie de sanction, où le rejet se manifesterait plus visiblement et directement que l’adhésion à un projet. » Jacques Chirac en son temps, Emmanuel Macron à deux reprises, ne doivent en effet leurs élections qu’au rejet des idées d’extrême droite mais en aucun cas à une adhésion à leurs propositions.
Ainsi se télescopent les frustrations démocratiques ressenties par ces groupes sociaux disparates : déçus du tournant de la « rigueur » en 1983, électeurs se sentant volés de leur votre négatif au référendum sur le traité européen en 2005, fermeture méthodique des services publics ressentis cruellement par les citoyens des espaces ruraux et des quartiers populaires, aggravation des inégalités sociales et territoriales.
Entre 1983 (année charnière) et 2014, le taux de participation aux élections municipales a chuté de 18 %. (Les scrutins de 2020 et 2021 n’étant pas significatifs du fait du Covid). Le constat était clair et il est bien dommage que les alertes émises par les universitaires en sciences sociales n’aient pas été entendues.
A cette désaffection électorale se sont ajoutés d’autres phénomènes convergents :
- La marchandisation du service public qui s’est traduite par la notion de « client » en lieu et place « d’usager » corrélativement aux ravages du new public management dans les administrations
- La recentralisation à marche forcée avec pour point d’orgue la loi Notre dont nuls, même ses créateurs, n’arrivent à prouver de quelconques bienfaits mais dont chacun déplore l’éloignement croissant entre les décisions et les citoyens.
- La primauté de l’intercommunalité en lieu et place d’une véritable coopération inter collectivités.
- Le brouillage du message républicain par la suppression de la clause de compétence générale et de l’autonomie fiscale, la restriction des moyens.
Face à des élus de base pour beaucoup dépouillés de leurs compétences et de leurs pouvoirs, considérés comme prestataires de services auxquels on achète une prestation, il ne faut pas donc s’étonner que la dévalorisation de leurs fonctions vienne télescoper parfois violemment un individualisme érigé en valeur.
L’espace imparti ce jour est insuffisant pour développer des axes de solutions mais on pressent bien que, au-delà de mesures formelles et institutionnelles et constatant les volontés tenaces de démantèlement du ciment de la Nation que fut longtemps le Programme National de la Résistance, c’est un véritable pacte politique et social basé sur les valeurs de notre République qu’il nous faut construire pour restaurer consécutivement la belle mission que constitue un mandat électif.
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