La mesure des écarts deux à deux de réponse aux candidatures en fonction des différentes adresses met en avant un effet très fort du département », pointent d’emblée les auteurs de l’étude (1): « les CV localisés à Paris ont plus de chances d’accéder à l’entretien d’embauche que les CV localisés en Seine-Saint-Denis. »
Ainsi, un serveur non qualifié qui répond à une offre avec une adresse parisienne a 20% de chances de décrocher un entretien, alors que ses chances tombent à 10% avec une adresse dans le 93.
Discrimination davantage liée au département – Réalisée pour le compte de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus), les résultats de l’étude se basant sur la méthode de mesure de la discrimination dit du « testing » est sans appel : ils ont été obtenus suite à l’envoi de 3.000 CV fictifs, en réponse à des offres d’emploi de serveurs ou cuisiniers, entre octobre 2011 et février 2012.
Si l’effet de quartier peut également être discriminant, il reste moins significatif que celui du département. A qualification égale, le quartier joue un rôle à Paris selon que le candidat réside dans un environnement favorisé ou non, mais n’a que peu d’incidence en Seine-Saint-Denis : le candidat résidant au Raincy et non dans une cité de Bondy souffre, quoi qu’il advienne, de la mauvaise réputation de son département.
Pas de « prime à la proximité – Contrairement à l’alibi qui pourrait être avancé par les patrons auteurs de discriminations, cette prégnance de l’effet département ne se justifie pas par une « prime à la proximité des candidats » (2) : « on constate que la différence dans les taux de réponse est plus importante lorsque la différence de temps de transport est supérieure à 10 minutes. Cependant, un effet persiste tout de même pour les offres où l’écart de temps de transport est inférieur à 10 minutes. L’effet de la localisation géographique des candidats par rapport aux offres n’invalide pas l’existence d’un effet du département sur l’accès à l’emploi » préviennent les auteurs.
Les serveurs plus discriminés que les cuisiniers – Autre fait qui ressort de cette analyse : l’écart est plus important « pour les profils de serveurs que pour ceux de cuisiniers », ajoutent-ils.
Cela peut s’expliquer, selon les auteurs, par le manque de cuisiniers disponibles sur le marché de l’emploi – et du fait le risque plus grand de discriminer pour l’employeur – ou parce que le métier de serveur « est plus en contact avec les clients », et qu’en l’espèce, il demande « la maîtrise de codes de communication spécifiques, sur lesquelles les préjugés des employeurs pourraient être plus importants. »
Pour rappel, le ministre délégué à la Ville qui présentera dans les semaines à venir un projet de loi portant réforme de la politique de la Ville – ensemble de dispositions et de moyens publics ne disant pas leurs noms : fléchés en direction des banlieues et autres quartiers paupérisés, et non vers l’ensemble de la ville ni toutes les villes – est également en charge d’une mission interministérielle sur la lutte contre les discriminations, « liées à l’adresse et à l’origine réelle ou supposée », intervenant à l’embauche ou lors d’une demande de logement.
Par ailleurs, les entreprises installées dans dix intercommunalités (3) expérimentent depuis le début du mois 2 000 « emplois francs » (et 10 000 d’ici fin 2015) : elles reçoivent une subvention à hauteur de 5 000 euros pour l’embauche de jeunes de moins de 30 ans issus des quartiers prioritaires, quel que soit leur niveau de qualification.
Méthodologie :
L’étude se limite au secteur de la restauration, qui a l’avantage de présenter plusieurs professions – dont les métiers testés de serveur et cuisinier – suffisamment en tension pour que les offres d’emploi disponibles soient nombreuses.
Ces candidatures se distinguent par une seule caractéristique qui pourrait potentiellement donner lieu à des discriminations. Ici : l’adresse.
Six profils identiques ont donc été construits, à l’exception de l’adresse des demandeurs située dans des quartiers huppés, moyens ou populaires de Paris ou Seine-Saint-Denis (4).
Ces trois niveaux d’adresse permettent de tester différents effets : la réputation du département (Paris par rapport à la Seine-Saint-Denis), la réputation de la commune, et enfin celle du quartier.
Suite au testing, les différences de réponses aux candidats quant à l’accès à un éventuel entretien d’embauche doit permettre de valider, ou non, l’hypothèse de l’existence d’une discrimination liée à l’adresse.
In fine, cela signifie que d’autres discriminations susceptibles de se produire plus tard dans la chaîne de l’embauche – comme lors de l’entretien lui-même par exemple – n’ont pas été mesurées.
Références
Régions
Notes
Note 01 intitulée "Effets de quartier, discrimination territoriale et accès à l'emploi" et publiée sur le site du ministère délégué à la Ville). Retour au texte
Note 02 si les offres disponibles sont plus accessibles pour les candidats parisiens, les employeurs auront objectivement plus d’intérêt à retenir ces candidats. Retour au texte
Note 03 Fort-de-France, Sarcelles, Clichy/Montfermeil, Amiens, Saint-Quentin, Lille/Roubaix, Grenoble, Marseille, Toulouse, Perpignan Retour au texte
Note 04 quartier favorisé : Place du Tertre pour Paris, Le Raincy pour la Seine-Saint-Denis ; quartier intermédiaire : rue Championnet pour Paris, Bondy hors Zone urbaine sensible pour la Seine-Saint-Denis ; quartier classé en Zone urbaine sensible : La Goutte d’Or à Paris, cité Blanqui à Bondy pour la Seine-Saint-Denis Retour au texte