Officiellement présentées à Edouard Philippe, mardi 18 février, les propositions contenues dans le rapport Thiriez sur la réforme de la haute fonction publique, ont déjà retenu l’attention de Matignon. Le Premier ministre a exprimé, dans un communiqué daté du mardi 18 février, sa volonté de mettre sur pied un plan d’ici la fin du mois d’avril.
Edouard Philippe a détaillé cette stratégie d’action, qui s’articulera autour de 5 axes présents parmi les 42 propositions du rapport. Le tout sera piloté par Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat de l’Action et des Comptes Publics pour une entrée en vigueur en 2022.
Diversification et tronc commun
Le projet du gouvernement s’attachera d’abord à la notion de « diversification sociale et géographique », préconisée par la mission Thiriez, avec, notamment, la création de classes « égalité des chances » et l’instauration d’un quota de boursiers dans l’ensemble des écoles de la fonction publique.
Deuxième orientation retenue parmi les propositions du rapport : « le décloisonnement des formations de hauts fonctionnaires » et l’instauration d’un tronc commun de formation d’une durée de 6 mois. La mesure phare de ce décloisonnement étant le remplacement de l’ENA au profit d’une nouvelle « Ecole d’administration publique ».
Troisième préconisation retenue par Matignon : « le renforcement opérationnel de la formation » qui passera par une modification de la nature des concours dans un sens « moins académique » dans le but de valoriser l’expérience de terrain et le savoir-faire.
L’avant-dernier axe de ce plan s’attaquera au développement et à l’avancement des carrières des agents de la fonction publique des trois versants qui sera désormais conditionnée à une mission réussie de terrain.
Enfin, le plan se penchera sur la mise en place d’un Institut des hautes études du service public (IHESP) destiné à la formation continue des cadres.
Mobilité oubliée et tronc commun inadapté
Pour l’AATF, si le rapport Thiriez va dans le bon sens, « insufflant une modernisation de la haute fonction publique », les propositions retenues par Edouard Philippe auraient mérité d’être plus nombreuses.
« Nous comprenons que le gouvernement souhaite aller vite sur cette réforme, mais il faut faire vite et bien. Il manque indéniablement un sixième axe à ce plan, celui de la mobilité, regrette Clothilde Fretin-Brunet, vice-Présidente de l’association. Je rappelle qu’environ 25% des administrateurs territoriaux font carrière dans les deux autres versants de la fonction publique. Les agents de la territoriale veulent pouvoir évoluer, changer de collectivité ou de métier mais nous en sommes empêchés. Il est nécessaire d’aller plus loin sur cette question ».
Concernant la scolarité des futurs hauts-fonctionnaires, si la fusion de l’Inet avec la nouvelle EAP, avait été envisagée, elle n’a finalement pas été retenue. Le rapport préconise à la place, la création d’un tronc commun de formation pour favoriser l’émergence d’une culture commune entre les écoles. Une option qui rassure mais ne convainc pas tout à fait.
Pour Philippe Laurent, président du CSFPT, et tête de pont de la Coordination des employeurs territoriaux, ce temps partagé d’une durée de six mois, dont quatre de stage sur le terrain, ne doit pas être le prétexte à l’instauration d’une influence plus forte de l’Etat sur la formation des hauts-fonctionnaires territoriaux : « Je ne suis pas favorable à trop de cours théoriques en commun. L’idée n’est pas d’aller dans le sens de la fonction publique d’Etat, de sa culture dominatrice sinon on perdrait de vue la notion de décentralisation », prévient celui qui est également secrétaire général de l’AMF.
Une formation continue commune sans intérêt ?
Concernant la création d’un IHESP chargé de la formation continue des agents, piste retenue par Matignon, les employeurs territoriaux se montrent, encore une fois, très réservés sur la question.
« Nous avons déjà tout un pan de l’Inet qui permet une formation continue, je ne vois pas l’intérêt d’un institut commun, tranche Philippe Laurent. Les besoins ne sont pas les mêmes pour les DGS d’une grande collectivité et un haut fonctionnaire au service de l’Etat. Si c’est pour former des dirigeants qui perdent le sens de la relation avec les élus, cela va sérieusement poser problème ».
Inet, CDG et fusion des cadres d’emploi
Statut de l’Inet
Parmi le reste des préconisations issues la mission Thiriez, d’autres pistes soulèvent des interrogations, voire de la méfiance, bien que pour l’heure, rien n’indique qu’elles figureront dans la future stratégie d’Olivier Dussopt. Parmi ces hypothèses, le changement de statut de l’Inet préconisé dans le rapport, qui deviendrait un établissement public autonome (EPA), a été vertement critiqué par le CNFPT, dont dépend l’école.
« Il n’y a aucun argument qui justifie de confisquer l’INET pour participer à un GIP (qui chapeautera l’organisation du tronc commun, ndlr) – dont le CNFPT, par ailleurs établissement public administratif, peut être partie prenante – ou mettre en œuvre un tronc commun pour les seuls 25 administrateurs territoriaux externes. Est-il besoin de créer des structures administratives supplémentaires quand on peut l’éviter ? », s’interroge François Deluga, président du CNFPT dans un communiqué dans lequel il taxe le rapport Thiriez, « d’esquisse d’une réforme non aboutie, faisant de la territoriale une victime collatérale ».
Pour l’AATF, plus mesurée sur cette option, le changement de statut de l’Inet permettrait, au contraire, d’ouvrir l’école sur l’international « à l’instar de l’ENA ». Autre avantage pour Clothilde Fretin-Brunet, la création d’un conseil d’administration propre à l’école qui serait un plus et réunirait autour d’orientations communes, « anciens élèves, syndicats et employeurs ».
Centre de gestion
Du côté des emplois fonctionnels, le rapport évoque la création d’un centre national de gestion de la FPT (CNGFPT) afin que les cadres de la fonction publique territoriale en fin de détachement et momentanément privés d’emploi puissent être pris en charge et percevoir un salaire. Calqué sur le modèle de celui mis en place en 2005 dans la fonction publique hospitalière, la mission Thiriez propose que la gestion de ce futur centre soit confiée au CNFPT, qui, lui, ne l’entend pas de cette oreille.
« Indépendamment du fait que la façon de « mutualiser » cette nouvelle charge n’est pas abordée, il est curieux de vouloir créer dans la territoriale, ce que le Président de la République souhaitait supprimer dans la fonction publique d’Etat, critiquant sévèrement « les rentes de situation », tacle ainsi François Deluga, faisant référence aux déclarations d’Emmanuel Macron sur la haute fonction publique au plus fort de la crise des gilets jaunes.
Front commun contre la fusion des cadres d’emplois
Une autre proposition issue du rapport concernant la fusion des cadres d’emplois d’administrateur territorial et d’ingénieur en chef, suscite l’incompréhension. L’AATF, le CNFPT et la Coordination des employeurs emmenée par Philippe Laurent sont unanimes : pas question de mélanger ces filières qui préparent à des métiers tout à fait différents.
« Un ingénieur en chef a également une fonction d’expertise. Former de la même façon des administrateurs territoriaux et des ingénieurs chefs n’a pas de sens. Ce sont des filières bien différentes, certes, regroupées au sein de l’Inet, mais qui ne mènent pas aux mêmes métiers », s’étonne Clothilde Fretin-Brunet. On veut bien décloisonner, mais il faut respecter les spécificités des métiers », tient-elle à rappeler.