Près de six mois après la clôture de la concertation, que vous inspire le retard pris par le gouvernement ?
Réformer en profondeur la politique de la ville demande du temps : en effet, cela suppose une forte coopération interministérielle tant son champ d’application est multidimensionnel. Mais tout de même, l’ordre de passage en conseil des ministres comme au Parlement est surtout une question de volonté politique ! Si la politique de la Ville est réellement prioritaire, le gouvernement doit être cohérent avec lui-même !
Le flou au niveau national retarde la mise en route des préparatifs dans nos territoires, voire démobilise des partenaires dont le contrat urbain de cohésion sociale est à l’arrêt en attendant la réforme… Les acteurs locaux doivent anticiper la mise en œuvre de cette réforme, sans attendre la clarification des règles du jeu. Susceptibles d’être commencée dès aujourd’hui, l’élaboration d’un diagnostic partagé, la modification de nos méthodes de travail, la mobilisation du droit commun local sont, par exemple, des “plus” évidents pour bâtir un projet de territoire.
Selon vous, la préparation en amont de cette réforme ne concerne pas seulement les collectivités ciblées par l’expérimentation ou celles étant assurées de faire partie de la future géographie prioritaire…
Vu la concentration des crédits “politique de la ville” sur un petit nombre de quartiers et les difficultés prévisibles de territorialiser les politiques de droit commun des ministères comme des partenaires, les inclus comme les futurs exclus de la géographie prioritaire ne devraient pas attendre le vote de la loi ou les élections municipales pour solliciter les collectivités locales ou l’Europe, dont les fonds structurels dépendent également du projet de territoire.
En effet, leurs subventions procèdent de la même intention, selon une logique transversale de projet intégré promouvant des politiques multidimensionnelles participant à la vie des habitants : le projet de territoire est indispensable, car l’Europe ne financera pas un équipement supplémentaire si son rôle-moteur dans l’agglomération n’est pas démontré»
En tant que tête de réseau, comment les professionnels jugent-ils les principales pistes connues de cette réforme de la politique de la Ville ?
La demande des professionnels d’arrêter de segmenter et juxtaposer les dispositifs a été entendue par le gouvernement. Mais au-delà de l’intention, maintenant nous attendons de voir ce qui va en sortir : il ne faut pas qu’une réforme soit réalisée tous les trois ans, une concertation tous les ans, une convocation tous les deux mois, et des statistiques à remplir et autres tableaux à rendre toutes les deux semaines, il faut s’en tenir au projet de territoire, partagé par les différents acteurs et nous permettre de travailler sur le long-terme.
Le seul point qui ne fait pas totalement consensus, c’est la refonte de la géographie prioritaire parce qu’elle est revue sur la base de statistiques – dont un des travers est qu’ils ne prennent pas toujours en compte la réalité d’une année sur l’autre –et d’un seul critère, celui de la pauvreté. Alors que la politique de la Ville ne se résume pas à une politique de lutte contre la précarité. Cette révision affecte durement les territoires et élus, en pleine période électorale.
Autre point sensible: la mobilisation du droit commun. Les services de l’Etat sont encore plus inquiets que les professionnels des collectivités locales, puisque ce sont eux qui vont être amenés à gérer la pénurie et être confrontés à un véritable casse-tête.
Si l’injonction nationale est de mettre des moyens sur les quartiers prioritaires, qui concentrent des populations aux problématiques socio-économiques fortes, tant mieux, mais cela se fera au détriment d’autres territoires notamment ruraux. Et là, on retombe sur l’ambition de l’égalité des territoires, auquel la politique de la ville est étroitement liée…