Quel bilan tirez-vous trente ans après l’instauration d’un statut de la fonction publique ?
Je note surtout un enrichissement des sources du droit. Le statut ne constitue pas tout le droit de la fonction publique. Certains textes, même s’il n’y a rien de véritablement nocif, « bavardent » quelque peu, en introduisant des éléments qui ne sont pas forcément utiles.
C’est le cas par exemple de l’article 6 ter A du statut, qui concerne les lanceurs d’alerte, une disposition introduite par la loi du 6 décembre 2013 sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
On observe aussi un mouvement de constitutionnalisation du droit de la fonction publique. En trente ans, les exceptions au statut se sont en outre multipliées. Ainsi, la réforme territoriale introduit des dispositions statutaires non plus dans le statut mais dans le code général des collectivités territoriales.
Sous couvert de pragmatisme, le législateur a prévu des situations juridiques inédites sans prévoir les conséquences pour les directions de ressources humaines. Que vaut juridiquement par exemple la fiche d’impact mentionnée dans la loi « Maptam » ? Ce type de dispositions ne rend pas service au statut.
Quelles autres évolutions le droit de la fonction publique a-t-il connues ?
Le droit européen joue un véritable rôle sur l’évolution du droit de la fonction publique. Il constitue un levier de changement, mais aussi une contrainte qui pèse sur la conception française de la fonction publique.
Toutefois, il faut être conscient de l’utilisation qu’en font les pouvoirs publics français. En 2005, ces derniers ont expliqué que l’introduction du CDI dans la fonction publique était imposée par le droit communautaire. Or c’est faux : celui-ci interdit d’installer les travailleurs dans la précarité, ce qui n’est pas la même chose.
La loi du 12 mars 2012 sur les non-titulaires a-t-elle « dénaturé » le statut ?
En réalité, la France n’a pas un mais deux statuts. On observe un enracinement du dualisme statutaire, qui provient de la banalisation du CDI et de la mise en place d’un « statut bis ». Et ce phénomène va continuer. Avec l’introduction de la mise à disposition pour les salariés en CDI, on est déjà dans une logique de carrière.
Cette sorte de deuxième statut est réglementaire mais aussi législatif : certaines lois mentionnent que telle disposition est applicable aussi aux agents non-titulaires. Avec la création des commissions consultatives paritaires, on reconnaît bien d’une certaine manière à ces derniers un accès à la carrière.
Dans le même temps, la jurisprudence n’a fait qu’accroître les droits des non-titulaires. C’est le cas par exemple pour l’obligation de reclassement pour les salariés en CDI, dont peuvent également bénéficier parfois les CDD.
Il faut une certaine cohérence. Soit on organise une sorte de « ménage à trois », comme cela commence à se faire aujourd’hui. Soit le principe reste pour les titulaires uniquement, et les non-titulaires demeurent à un niveau supplétif. Le principe voudrait alors qu’on ne reconnaisse pas trop de droits à ces derniers, ce qui serait un choix rude mais stimulant pour inciter à devenir fonctionnaire.
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