C’est un peu comme si les conséquences de la mise en place des 35 heures n’avaient plus intéressé personne, dès lors qu’elles ont été progressivement mises en place dans la fonction publique. Marie-Anne-Lévêque, directrice générale de l’administration et de la fonction publique, s’est bien gardé de le reconnaître lors de son audition, ce mercredi 23 juillet, devant les députés de la commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail. Elle a simplement admis les nombreuses lacunes qui rendent tout bilan et chiffrage impossible, notamment dans la fonction publique territoriale.
1600 heures annuelles portées à 1607 heures depuis 2004 – Le cadre en vigueur a été fixé par le décret n°2000-815 du 25 août 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’Etat et dans la magistrature, suivi du décret n°2001-623 du 12 juillet 2001 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale sur la base de 1 600 heures annuelles, portées à 1 607 heures avec l’instauration, en 2004, d’une journée de solidarité. Ce décret, qui reprend la durée légale du travail établie par le Code du travail, précise les cycles de travail, les heures supplémentaires, les astreintes, mais aussi les horaires variables qui entraînent l’obligation d’un décompte exact des heures effectuées. Au total, 150 textes réglementaires ont été produits pour régir le temps de travail selon différentes situations : « La fonction publique se caractérise par une place relativement significative des horaires atypiques et des astreintes » a précisé la directrice générale au vu des rares informations disponibles. Dans la fonction publique territoriale, là ou des négociations sur le temps de travail ont eu lieu dès 1998 pour aboutir à des accords avant 2001, les collectivités ont pu conserver leurs acquis au delà de 2001. En l’absence d’accord, depuis 2001, les règles relatives au temps de travail sont fixées par délibération, dans la limite de ce qui est appliqué aux agents de l’Etat, selon le principe de parité. « Les collectivités ne peuvent donc plus prendre de délibération où le temps de travail serait inférieur à 1607 heures » a encore indiqué Marie-Anne Levêque, reconnaissant que nombre de dispositions plus favorables ont pu être préservées, ce qui explique qu’un certain nombre de collectivités ont en toute légalité un temps de travail annuel inférieur aux 1607 heures « légales ».
Aucun chiffre pour la territoriale – Interrogée sur les créations de postes consécutives à la mise en place des 35 heures, Marie-Anne Lévêque a également reconnu l’impuissance de ses services à avancer le moindre chiffre. « Dans la FPT, on ne sait pas identifier les créations d’emploi » a-t-elle ajouté, tout en précisant que 53 000 emplois ont été créés dans les deux autres versants, dont 45 000 pour des infirmières et aides-soignants et 3 000 personnels médicaux dans la fonction publique hospitalière. « Dans la territoriale, la DGAFP ne dispose d’aucun élément sur les créations d’emplois, si ce n’est le rythme de création des emplois par les collectivités sur la période » a-t-elle encore admis. Conséquence de ces informations lacunaires, le coût du passage aux 35 heures est tout aussi incertain et impossible à reconstituer pour en tirer un bilan.
Favorable – en dépit de ces nombreuses lacunes – à l’idée, lancée par Bernard Pêcheur dans son rapport remis le 4 novembre 2013, d’objectiver un constat sur l’aménagement et la réduction du temps de travail dans la focntion publique, la DGAFP a expliqué aux députés qu’une enquête permettrait de briser des représentations infondées, comme l’idée que les fonctionnaires travaillent moins que les salariés du secteur privé. « La ministre (Marylise Lebranchu) n’a pas arrêté son orientation mais tout le monde voit l’utilité de ce type de travail » a-t-elle ajouté. Pour l’heure, les seuls audits réalisés figurent dans les rapports de la Cour des comptes et des Chambres régionales des comptes, ainsi que dans le rapport 2013 de l’Observatoire des finances locales. Les données qui pourraient être disponibles à partir des systèmes d’information RH sont trop parcellaires pour autoriser des extractions fiables. Ainsi les heures supplémentaires sont mentionnées dans les données de paie mais pas les cycles de travail, le travail du soir ou de nuit par exemple. Et les jours de congés n’apparaissent pas dans les systèmes d’information des ministères.
Des écarts qui se réduisent entre les secteurs privé et public – Pour se faire une idée plus précise de la réalité du temps de travail des fonctionnaires, la direction générale de l’administration et de la fonction publique a dû se résoudre à consulter les enquêtes déclaratives externes. Ainsi l’enquête « Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels » (Sumer) de 2010 mentionne que 17 % des agents de la fonction publique déclarent travailler plus de 40 heures dans la semaine précédant l’enquête (soit 23 % dans la FPE (hors Education nationale), 18 % dans la FPH et 12 % dans la FPT), pour 18 % des salariés du privé. Tous secteurs confondus, l’enquête Emploi de l’Insee qui établit à 1 346 heures la durée moyenne annuelle du travail pour les femmes et à 1 470 heures pour les hommes, montre que dans le secteur privé, il faut ajouter à ces chiffres 92 heures pour les femmes et 102 heures pour les hommes. « Si en moyenne il y a un écart,(entre secteurs public et privé), si l’on compare ce qui est comparable, les écarts ont tendance à se réduire » a encore affirmé lors de son audition la DGAFP, prenant pour exemple les horaires atypiques, plus fréquents dans la fonction publique, avec 42 % des agents qui travaillent le dimanche, même occasionnellement (31 % dans le secteur privé) et 18 % la nuit (14 % dans le privé). Autre leçon à tirer sur le temps de travail, une récente enquête de la Dares montre que l’intensification du travail – reconnue comme facteur de risques psycho-sociaux – est plus prégnante dans la fonction publique notamment hospitalière a indiqué dans son constat la DGAFP qui a tenu a souligner que les agents de la fonction publique de l’Etat, notamment dans les ministères, ne connaissent souvent pas de limite à la durée du travail, 42 % des cadres étant rémunérés au forfait sans référence à un décompte horaire quotidien.
Un effet positif sur le dialogue social et la conciliation vie personnelle – vie professionnelle – De ce panorama à trous sur l’impact des 35 heures dans la fonction publique, il apparaît que si les lois Aubry ont eu un effet positif et mesurable, c’est avant tout sur le dialogue social mené tambour battant depuis que la possibilité a été donnée aux fonctionnaires, comme aux salariés du privé, de négocier le temps de travail. « Sur les conditions de travail, je serais beaucoup plus prudente » a estimé Marie-Anne Lévêque rappelant que la réduction du temps de travail a été menée en parallèle à deux autres que les fonctionnaires ont dû également absorber : les effets des politiques d’emploi public qui ont depuis 2002 supprimé des postes se sont en effet conjuguées avec le développement des technologies de l’information qui ont largement contribué à réorganiser les missions, compétences et services. Seule note vraiment positive pour les budgets publics en fin d’audition : les agents publics ont reporté un certain nombre d’arrêts courts, soumis à autorisation d’absence, sur leurs jours de « RTT », signe que les « 35 heures » permettent de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle et familiale.
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