Que sont donc devenus les chefs de projet de la politique de la ville ? Telle est la question à laquelle s’est efforcé de répondre le cabinet Fors-Recherche sociale à la demande de l’Agence nationale de cohésion sociale. Dans une enquête datée du printemps 2011 qui vient d’être mise en ligne, le cabinet dresse une photographie des métiers de l’ingénierie locale et mesure leur évolution professionnelle. Il en ressort quatre archétypes différents, correspondant aux différentes approches de la politique de la ville mises en œuvre par les collectivités :
- « Les chefs d’orchestre » : proches du terrain et des élus, ils encadrent souvent un service dédié à la politique de la ville, porteur d’une stratégie de territoire.
- « Les animateurs de territoire » : plus proches du terrain que du maire, ils travaillent à l’échelle de quartiers et la politique de la ville constitue un outil dans leur boîte à outils pour animer le territoire.
- « Les ingénieurs » : proches ni du terrain, ni du maire, ces chefs de projet se concentrent sur le suivi administratif et financier des Contrats de cohésion urbaine (CUCS).
- « Les superviseurs à distance » : proches du maire, mais pas du terrain, ils se spécialisent dans le management, l’encadrement et la supervision de la politique de la ville. Ils occupent souvent une place importante dans la hiérarchie (DGA), en l’absence de professionnels dédiés à la politique de la ville.
Partant de ces quatre figures, l’enquête met l’accent sur les capacités d’action de ces professionnels, le besoin de formation et la transformation des relations avec l’Etat.
Un métier en mutation – « Cette étude confirme ce que nous constatons tous les jours parmi nos collègues », se réjouit tout d’abord Marc Vallette, chargé de développement à l’IR-DSU. L’inter-réseau souligne, en outre, une évolution substantielle qui traverse tous les profils-types de l’étude : « en 15 ans, le poste de chef de projet politique de la ville est passé d’un isolement certain à un fonctionnement d’équipe, quelle que soit l’échelle de territoire sur lequel il est intervient. »
Ce qu’on pourrait interpréter comme une certaine reconnaissance de la politique de la ville achoppe cependant aujourd’hui sur l’attentisme dans laquelle elle se trouve plongée. « Le report des réformes crée des postures d’attente, dans un contexte où les financements sont tendanciellement en baisse », remarque le chargé de développement. D’où une tension sous-jacente de plus en plus importante, entre fonctions initiales d’animateur, de développeur de projet et les fonctions de gestion du personnel et de budget « Il est nécessaire, pour le chef de projet, de trouver des financements. Mais son poste ne peut se réduire à cet aspect-là. Tout l’enjeu consiste donc à retrouver des marges de manœuvre au profit des projets » nuance alors Marc Vallette.
De nouvelles relations avec l’Etat – Reste que l’enquête s’achève sur le constat d’un malaise entre les chefs de projet employés par les collectivités et les représentants des services déconcentrés de l’Etat, qui peinent à parler le même langage ou partager les mêmes objectifs. L’Inter-réseau y lit tout d’abord les conséquences de la réforme générale des politiques publiques : du fait du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, dans certains cas, l’interlocuteur des chefs de projet employés par les collectivités a tout simplement disparu. Mais au final, les évolutions du métier de chef de projet politique de la ville révèlent en filigrane un changement de positionnement de l’Etat quant à la politique de la ville : « dans les années 1990, l’Etat se concevait en animateur de territoire et distillait un esprit de partenariat avec les collectivités. Ces dernières se sont d’ailleurs appropriées la politique de la ville. Aujourd’hui, ce sont les grandes agences qui définissent les critères. La qualité des projets noués avec les collectivités dépend de leur capacité à définir leur propre projet et à négocier les dispositifs et les programmes qui le servent».
Quelles équipes-projet pour les politiques de la ville de demain ?
Tribune de Sylvie Rebière-Pouyade, présidente de l’Inter-réseaux des professionnels du développement social urbain et directrice du GIP DSU de l’Agglomération Bayonnaise, et d’Etienne Varaut, vice-président de l’IRDSU, membre du Conseil national des villes et chef de projet politique de la ville à Bobigny.
« Les trois prochaines années seront stratégiques pour la Politique de la Ville. Entre les élections nationales de cette année et les élections locales de 2014 elle sera repensée. Et parce qu’il n’y a pas de Projet de Territoire de qualité sans “équipe-projet” de qualité, la question de l’ingénierie et des métiers du développement local doit être aussi au cœur de ces débats.
Or, de même que la “Politique de la Ville et de développement social urbain” a changé depuis son apparition dans les années 80, les équipes qui la mettent en oeuvre ont évolué. Les formations se sont structurées, la reconnaissance de ces métiers s’est affirmée et les profils même des professionnels ont changé au fur et à mesure que leurs principes et leurs méthodes faisaient évoluer les politiques territoriales.
Cette ingénierie s’est également étoffée pour s’adapter aux développements DES Politiques de la Ville. La figure historique du chef de projet généraliste, responsable de la “Maîtrise d’Oeuvre Urbaine et Sociale”, laisse progressivement place à des “équipes-projet” pluridisciplinaires, parfois inter-institutionnelles. Elles réunissent des agents de développement de quartier comme des directeurs territoriaux, des chefs de projet généralistes comme des spécialistes (développement social, rénovation urbaine, éducation, santé, prévention, lutte contre les discriminations, économie,…). Et c’est en prenant en compte cette diversité qui apporte de nouvelles dimensions au développement social urbain qu’il faut maintenant poser la question de l’ingénierie.
Mais ce développement est également marqué par des inégalités entre territoires : par manque de moyens ou de volonté certaines villes sont démunies et n’ont pas les équipes nécessaires. Elles ont donc besoin d’incitations, de solidarités locales et d’un soutien renforcé de l’État pour développer leur ingénierie.
Le débat à venir devra donc porter à la fois sur le rôle des professionnels, sur l’organisation des équipes, sur l’articulation entre toutes les dimensions des Politiques de la Ville et sur les moyens à y consacrer. Cela permettra d’élaborer les futures politiques de développement local en s’appuyant sur une ingénierie à la hauteur des enjeux et au service des habitants ».