« C’est et cela restera un moment exceptionnel dans ma carrière, confie-Oriane Latour. En 2024, alors qu’elle travaille depuis 15 ans comme graphiste et chargée de communication à Pont-de-Claix (Isère), une commune de près de 11 000 habitants, l’information tombe : le site historique de la plateforme chimique est menacé de fermeture. « Cette annonce a plongé des centaines d’hommes et de femmes dans l’incertitude. Plus de 400 emplois étaient en jeu, des familles allaient se retrouver fragilisées, parfois contraintes d’envisager un départ. Et c’étaient aussi 120 ans d’histoire industrielle, des générations de savoir-faire locaux qui risquaient de disparaître en l’espace de quelques mois».
Dans les heures qui suivent, le maire et président (Place publique) de Grenoble-Alpes Métropole, Christophe Ferrari, décide de s’engager pour soutenir les salariés et défendre le maintien de l’activité. « C’est une démarche « touchy » pour une collectivité : une commune n’est pas un syndicat et ne doit se substituer à personne. Il fallait être présent aux côtés des salariés et des organisations, visibles mais humbles, sans jamais s’approprier un combat qui n’était pas celui de la Ville. À ce moment-là, en termes de communication, on ne savait pas bien comment avancer. »
« En apnée »
Pour le service communication, la pression est forte. « On a été sollicité un vendredi matin par le cabinet pour produire des supports en urgence. Il a fallu tout mettre en pause, laisser de côté les dossiers en cours et réagir vite. En quelques heures, je conçois un “bout” de charte graphique mais surtout il me fallait trouver un gimmmick immédiatement appropriable. L’usine, reconnaissable parmi mille dans le paysage pontois, devient une silhouette stylisée. Je l’ai dessinée à la main, un peu en apnée, sans trop savoir par quel bout la prendre, mais avec en tête les affiches militantes de mai 68 et la spontanéité qui s’en dégage.
Les couleurs jouent un rôle déterminant. La palette devait être impactante, lisible, fédératrice, tout en évitant les écueils de la stigmatisation politique. J’opte finalement pour une bichromie noir et violet, traversée de deux larmes blanches qui traduisent à la fois l’attachement et l’émotion. Le slogan retenu “Sauvons la plateforme, sauvons les emplois” prend vie d’abord sur un badge de 85 mm. Très vite, il est décliné en stickers, banderoles, bâches, tours de cou : chacun devait pouvoir s’approprier ce symbole.
« Combats humains »
Et c’est ce qui s’est passé ! Salariés, habitants, commerçants, élus locaux et même nationaux se sont emparés de ce visuel. Le petit rond violet dessiné à la va-vite un vendredi de novembre est devenu un signe d’unité, le symbole d’un territoire mobilisé autour de valeurs profondément humaines et sociales. J’ai travaillé sur des centaines de projets, mais celui-ci restera particulier : il a montré à quel point l’image peut rassembler autour de valeurs communes et que le service public sert aussi à ça. »
Pour Oriane Latour, cette expérience réaffirme le sens de son métier dans la fonction publique territoriale. «Nos compétences en graphisme et communication ne sont pas seulement techniques : elles participent à la cohésion, à la mobilisation collective, à la valorisation des actions municipales. Tous les jours, à différents degrés, ce sont des combats humains que je porte, et ça c’est la force du service public. »
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